La décision de l’Union européenne de lever le moratoire qui interdisait la culture d’OGM, comme les actions du Collectif des faucheurs volontaires constitué cet été (voir Rouge n° 2074) ont relancé le débat sur les OGM. Ces dernières semaines, la répression s’est accentuée, que ce soit par le biais de la violence policière (voir Rouge n° 2077), les relevés d’identité systématiques ou les mises en examen (les dernières en date concernent François Dufour, ex-porte-parole et Jean-Émile Sanchez, actuel porte-parole de la Confédération paysanne)
Le motif officiel avancé par le gouvernement en mai 2004 pour justifier les essais OGM en plein champ porte sur les « connaissances scientifiques ». En fait, scientifiquement parlant, de telles expériences permettent seulement d’effectuer des mesures afin de préparer la culture en masse d’OGM. Si ces études sont parfois menées par des laboratoires publics, il faut savoir que la recherche publique est aujourd’hui entièrement dépendante des crédits privés (même l’équipe nommée par l’Académie des sciences pour étudier les OGM était subventionnée par Aventis).
Une marée noire en plein champ
Et si les OGM peuvent être un outil utile en laboratoire (les diabétiques sont aujourd’hui soignés avec de l’insuline fabriquée par des bactéries OGM), ils constituent une pollution dans la nature. C’est un peu comme le benzène, qui est un composé très utile en chimie, mais qui, hors laboratoire, est cancérigène et classé parmi les pires polluants. Cultiver les OGM en plein champ, c’est affecter durablement l’environnement.
Si une plante OGM se reproduit avec une plante non OGM, la plante fille sera OGM. D’autre part, le gène de la plante OGM peut aussi être transmis à une autre plante par l’intermédiaire de bactéries du sol. Les végétaux non cultivés (« sauvages ») sont susceptibles d’être contaminés. Dès 1998, des chercheurs en écologie à Orsay ont montré que la culture de betteraves transgéniques conduirait à la disparition de toutes les betteraves sauvages en moins de trois ans. En France, au moins une quinzaine de plantes sauvages peuvent se croiser directement avec des plantes OGM de la même espèce cultivée. Ceci entraînerait une perte majeure pour la diversité végétale.
Les cultures peuvent aussi être contaminées, ce qui a des conséquences sociales importantes. Un chercheur étatsunien a montré qu’au Mexique, un maïs local était contaminé par du maïs OGM à hauteur de 35 % (ce scientifique a été viré par son université suite à la publication de son article). Même l’Union européenne reconnaît que la coexistence de l’agriculture biologique et des OGM est impossible : dans un rapport révélé par Greenpeace, elle explique qu’éviter la contamination des cultures non OGM entraîne un surcoût important (41 %). Or le commissaire européen à l’Agriculture a déclaré que c’est à ceux qui refusent de cultiver des OGM de prendre en charge ces coûts : on comprend à quel point l’agriculture propre est menacée.
La faune et la flore dévastées
Ce n’est pas seulement la diversité au sein des espèces de plantes cultivées qui est menacée. Une étude anglaise commandée par Blair à la Royal Society a montré qu’en trois ans, la diversité des insectes et des plantes sauvages à côté de champs d’OGM résistant aux herbicides avait diminué par rapport aux champs non OGM. On imagine les conséquences à côté de champs d’OGM produisant en plus de l’insecticide. Or cette biodiversité est indispensable au fonctionnement et à la stabilité des écosystèmes.
Si les plantes cultivées aujourd’hui n’ont pas grand-chose à voir avec les plantes sauvages, il ne faudrait pas en conclure que le problème des OGM est le même que celui des plantes cultivées classiques. L’étude citée ci-dessus montre qu’à une échelle de trois ans (ce qui est très peu), tout l’écosystème avoisinant est perturbé par une culture OGM. De plus, il n’y a absolument aucune maîtrise des effets à long terme. Les rares études qui parviennent à travailler sur ce sujet (en France 1 % du budget de « recherche OGM » est consacré à étudier l’impact des OGM, tandis que 99 % servent à en développer de nouveaux) pointent toutes des risques environnementaux majeurs (apparition de plantes résistant à tous les herbicides connus, apparition d’insectes ultra-résistants, perturbation du fonctionnement des écosystèmes, etc.).
Ce refus, de la part des commissions d’experts, de prendre en compte les risques est dû à la spécialité des scientifiques qui y siègent : la plupart sont des biologistes moléculaires, qui n’envisagent pas le vivant hors d’un laboratoire et n’étudient pas les impacts environnementaux. Il est urgent de financer et de prendre en compte des études écologiques, toxicologiques, socioéconomiques, pour prendre en compte tous les niveaux de risque des OGM.
Vendre
L’autorisation des cultures en champ est le point pivot pour les lobbies OGM. Si les OGM étaient cultivés en plein air, les plantes non OGM avoisinantes seraient contaminées (le pollen de colza peut disséminer jusqu’à cinq kilomètres). Une fois les OGM banalisés et présents partout, qui viendrait empêcher les semenciers d’en vendre ?
« Vendre » ! Voilà le point central : les OGM sont brevetés. Planter une graine OGM sans payer, c’est violer la propriété intellectuelle de la firme agroalimentaire. Cette notion de « propriété intellectuelle » sur des semences est un véritable pillage. Toutes les variétés de plantes cultivées ont été sélectionnées depuis des millénaires par les paysans, qui, à chaque saison, gardaient les meilleures graines. C’est par ce processus qu’on a obtenu des fruits beaucoup plus sucrés que les fruits sauvages, des légumes plus gros et, surtout, des variétés de plantes bien adaptées à leur milieu [1]. Qu’ont fait les firmes agrochimiques dans tout ça ? Elles ont ajouté un gène dans une plante. Avec cette simple opération technique qu’un étudiant en thèse peut réaliser en une semaine, ils s’approprient le travail de générations de paysans.
Ce pillage du vivant a reçu cette année l’appui de la justice canadienne dans l’affaire Percy Schmeiser. Cet agriculteur bio canadien a vu son champ pollué par des graines génétiquement modifiées de Monsanto, et le géant de l’agrobusiness lui a intenté un procès pour viol de propriété intellectuelle. Le 21 mai dernier, après cinq ans de procédure, la Cour suprême a reconnu que Schmeiser était coupable (mais elle l’a exonéré de royalties car il n’avait pas utilisé le pesticide de Monsanto). Avec les OGM, c’est à la victime de payer les droits de brevet. C’est le principe pollué-payeur ! Conscients qu’ils peuvent difficilement avoir un gouvernement plus favorable, les pro-OGM tentent aujourd’hui de passer en force, malgré l’opposition d’une très large majorité de la population [2].
Le problème n’est pas de produire plus mais de produire moins et mieux. Actuellement, l’Europe et les États-Unis ruinent les paysans du Sud en y exportant leurs surplus subventionnés (au passage, la plupart des OGM des États-Unis partent dans l’aide « humanitaire »). Entrer en résistance contre ce gouvernement, c’est aussi lutter contre la pollution OGM dans les champs et contre le brevetage du vivant.
Samuel Popof
Encarts
Qu’est-ce qu’un OGM ?
Un organisme est génétiquement modifié si on lui a ajouté de manière non naturelle un ou plusieurs gènes provenant d’une autre ou de la même espèce. Ce(s) gène(s) vont permettre à l’individu de synthétiser une ou des nouvelle(s) protéine(s) lui conférant ainsi de nouvelles propriétés. Fabriquer un OGM, c’est donc un peu comme gonfler son moteur de voiture, à la différence près que pour le vivant, on ne sait pas bien comment fonctionne le moteur...
99 % des OGM végétaux sont cultivés pour produire un insecticide et/ou résister à un herbicide. Le marché des OGM est contrôlé par cinq entreprises et quatre espèces sont concernées (soja, maïs, coton, colza).
S. P.
Désobéir pour résister
La désobéissance civile est constitutive des luttes du Larzac des années soixante-dix. Cette notion reprend aujourd’hui de la vigueur grâce aux luttes altermondialistes. Elle est tout indiquée face aux OGM. La désobéissance civile part d’une idée simple : lorsque la légalité est illégitime, les militants et militantes peuvent s’arroger le droit de l’enfreindre à travers des actions non violentes mais résolues. C’est ce qu’ils ont fait à Solimac, dans le Gers, le 5 septembre et à Valdivienne, dans la Vienne, le 25 septembre, se heurtant à des interventions des forces de l’ordre d’une grande brutalité.
La seule façon d’éviter la dissémination des OGM est de les arracher, bien que ce soit illégal ; en effet, aujourd’hui, alors que les dangers de la contamination ont été prouvés scientifiquement, le principe de précaution ne suffit plus. Surtout, même les chercheurs l’ont reconnu, les arrachages ont permis de sortir ce problème de la sphère scientifique pour le mettre sur la place publique, pour en faire une question politique.
Les actions du Collectif des faucheurs volontaires avaient pour but de faire prendre en charge les arrachages par d’autres secteurs de la population que les agriculteurs, car tout le monde est concerné. Les arrachages de cet été ont montré que cet objectif était atteint. Reste maintenant à organiser la solidarité avec les inculpés, avec l’aide de toutes organisations démocratiques, et à poursuivre les arrachages avant la fin de la saison. Au-delà, l’existence d’un cadre unitaire articulant expertise et actions de terrain doit permettre de faire de la lutte contre les OGM un axe permanent de lutte contre la marchandisation du monde, et en particulier du vivant.
Vincent Gay
OGM et Europe :
le recul programméLa direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) vient de publier les résultats sur la présence d’OGM dans l’alimentation animale de bien curieuse façon. Elle annonce que 45 % des échantillons de matière première (maïs, soja, etc.) seraient exempts d’OGM ! Et le reste ? Il faut lire plus attentivement l’article : on s’aperçoit alors que 43 % des aliments testés sont contaminés à raison de 0,01 à 1 % et qu’en plus, un nombre non précisé d’aliments contient plus de 1% d’OGM, ce qui les rend illégaux. Mais nulle sanction pour les entreprises coupables. Juste un « rappel de réglementation ».
Comment a-t-on pu en arriver à un tel degré de contamination ? Il faut rappeler qu’avant d’adopter leur récente posture rebelle, les Verts, du temps de la gauche plurielle, avaient autorisé « à titre expérimental » les cultures de maïs transgénique en champ libre : les premières contaminations remontent donc au moins à 1999. Dans la foulée, le Parlement européen préparait le terrain en avançant le concept de traçabilité : vous ne voulez pas d’OGM ? Vous en aurez quand même ; on vous concède juste le droit de savoir. Et encore, il n’existe aucune obligation pour les agro-industriels de nous informer sur ce qu’ont mangé les animaux qui atterrissent dans nos assiettes.
Des filières avec et sans OGM étant ainsi constituées, il ne restait plus qu’à lever le moratoire. C’est maintenant chose faite grâce à la Commission européenne, qui a récemment autorisé l’importation du maïs transgénique BT-11. Face à ces reculs programmés, l’heure est à l’unité d’action et à la désobéissance civile.
Laurent Grouet