Il y a quelque chose d’indécent à affirmer, comme le fait Jean-François Bouhours, in « N’ayons pas peur des OGM » Libération, 18 octobre 2007), que la « parole a été monopolisée par les militants anti-OGM », ceci juste au moment sensible (Grenelle) où les pro-OGM s’offrent de pleines pages de pub payante dans les médias. Si on entend davantage les opposants aux plantes transgéniques (PGM), ce n’est pas qu’ils auraient des complicités en haut lieu (ni dans les ministères, ni dans les académies, ni chez les chroniqueurs économiques polysavants), c’est seulement qu’ils sont très majoritaires et de plus en plus indignés. Jean-François Bouhours prend la posture scientifique pour affirmer que nous sommes tous des OGM puisque nos gènes préexistent chez l’anémone de mer ou le loup. Ces analogies modernistes, en vogue aujourd’hui (voir Yves Chupeau dans OGM : quels risques ?, éditions Prométhée, 2007), n’apprennent rien aux écolos qui savent depuis toujours que nous sommes « de la nature », elles montrent seulement que la mystique du gène est si prégnante qu’elle peut induire cette même évidence jusque chez les scientistes ; et si ceux-là trouvent 99 % d’homologie entre les génomes du chimpanzé et de l’homme, cela devrait suffire à prouver que l’ADN n’est pas le meilleur moyen d’apprécier l’humanité.
Il est beaucoup de raisons de s’opposer aux PGM – et non aux OGM dont les représentants captifs et utiles (bactéries en fermenteurs ou souris de laboratoire) ne sont pas en cause, bien qu’autant « contre nature » que le seraient les PGM. Nombre d’opposants aux PGM ne sont pas motivés par la « transgression inacceptable des règles immuables ». Il reste que la référence à des gènes de méduse partagés par l’homme, malgré 500 millions d’années d’histoire séparée, a peu de rapport avec des chimères innombrables répandues par force sur des milliers d’hectares en quelques mois. L’évolution lente sait faire le ménage et élimine à tout moment presque toutes les nouveautés aléatoires. Sans le support terroriste de l’agriculture intensive, combien de ces PGM survivraient à l’identique plus de quelques générations ? D’autres caractéristiques des PGM devraient ébranler tout scientifique qui veut bien consulter une analyse critique, c’est-à-dire non exclusivement générée par les multinationales du transgénique. Par exemple : si la protéine insecticide codée par un gène de haricot devient gravement allergène chez le petit pois, qu’en est-il de l’innocuité des autres bricolages chimériques ?
Peut-on ignorer les travaux montrant des effets délétères de l’alimentation de rongeurs avec des PGM au prétexte que les différences significatives rapportées « n’ont pas de signification biologique », un concept révolutionnaire pour la science expérimentale ! Certes ces travaux sont rares, mais combien de nos chers collègues s’émeuvent quand leurs auteurs s’en trouvent excommuniés ? Peut-on négliger les effets démontrés (et reconnus, ceux-là) des PGM insecticides sur l’environnement, ou encore les résistances acquises des « mauvaises herbes » dans les champs de PGM tolérantes aux herbicides ? Jean-François Bouhours nous sert un discours scientifique exact mais déconnecté des réalités. Même des réalités scientifiques puisqu’un récent travail monumental de généticiens américains (Encode, 2007) en vient à douter de tout ce qu’on prétendait savoir sur le fonctionnement du génome, et pose une question qu’on croyait résolue depuis un demi-siècle : qu’est-ce qu’un gène ? Devant un doute aussi immense, le scientifique peut-il affirmer que le déplacement d’un fragment d’ADN d’une espèce à une autre produira un effet prévisible et maîtrisé ?
On ne peut pas considérer que la menace du monopole des multinationales sur le vivant, par le biais du brevet sur les OGM, n’est qu’un « argument technique », sauf à négliger les ravages du libéralisme économique sur la vie des paysans et sur la liberté des citoyens. Surtout, Jean-François Bouhours ne pose pas la question qui annule toutes les autres : en quoi les PGM sont-elles utiles aux consommateurs ?
Puisque la réponse est « décidément à rien ! » malgré dix années de culture et jusqu’à plus de 100 millions d’hectares, pourquoi se référer aux grands personnages de la science (de Galilée à Darwin) pour défendre des marchands d’illusions ?