Montreuil, le 11 septembre 2007
Monsieur Jean-Louis BORLOO
Ministre d’Etat, Ministre de l’Ecologie, du Développement et de l’Aménagement durables
Hôtel de Roquelaure
246, boulevard Saint Germain
75700 Paris
Monsieur le Ministre,
Au regard des exigences du développement, la situation en matière de pollution, de changement climatique, de préservation de la biodiversité et de prévention sanitaire est aujourd’hui insoutenable.
Les salariés sont, depuis longtemps, sensibles à ces questions dont ils mesurent l’impact dans leur vie et dans leur activité professionnelle. Le travail au sens large est la médiation principale entre l’homme et la nature. Les salariés sont, dès lors, des acteurs essentiels et légitimes pour mettre en œuvre « une nouvelle croissance dans le cadre d’un développement durable, conciliant progrès social, respect de l’environnement et efficacité économique ». Cette ambition de transformation des modèles de production et de consommation que la CGT a de nouveau réaffirmée lors de son dernier Congrès - au même titre que la Confédération Européenne des Syndicats et que la Confédération Syndicale Internationale – nécessite l’intervention de tous les acteurs sociaux. Elle peut permettre de créer des centaines de milliers de nouveaux emplois, de développer de nouveaux secteurs d’activité, de conforter une nouvelle politique industrielle. C’est un enjeu national et européen qui implique de nouvelles relations économiques et sociales à l’échelon international.
C’est le sens de la forte implication de notre Confédération dans les travaux préparatoires du « Grenelle de l’environnement » dont la tenue est programmée dans la deuxième quinzaine d’octobre.
Cette conférence doit, selon nous, déboucher sur des mesures tout à la fois « concrètes, réalisables et socialement justes ». Des mesures « concrètes », tout simplement parce que la situation environnementale nous oblige à ne pas en rester aux constats, aux formules incantatoires ou, pire, aux effets de communication. Des mesures « réalisables », car il ne s’agit pas d’afficher des objectifs louables sans prendre les mesures pour les faire aboutir, c’est-à-dire sans organiser les transitions sociales nécessaires en termes d’emploi, de formation, de financement. Des mesures « socialement justes » parce que si la préservation de l’environnement, la promotion d’un développement durable dépend de tous, les efforts doivent être proportionnels aux capacités contributives de chacun. Sur ce point nous insistons pour que l’accent soit mis sur une véritable « responsabilité sociale des entreprises ».
Ces mesures doivent combiner : règles publiques d’application obligatoire, fiscalité et incitations financières ainsi qu’outils de régulation. Elles prendront en compte le cadre européen et les accords internationaux existants.
Nous vous avons déjà fait parvenir, courant juillet, les propositions détaillées de la CGT sur plusieurs thèmes abordés par les 6 groupes de travail préparatoires au « Grenelle », notamment sur les questions de l’énergie, des transports, de l’eau, de la biodiversité, et des droits et pouvoirs d’intervention des salariés. Avant l’achèvement des travaux des 6 groupes, nous souhaitons vous préciser la cohérence de nos propositions.
Concernant ce qui est appelé « gouvernance environnementale », nous revendiquons l’élargissement des droits des salariés et des populations leur permettant d’intervenir efficacement sur les enjeux environnementaux et les choix économiques et sociaux.
Pour les salariés, cet élargissement passe par la combinaison de plusieurs mesures. Nous proposons ainsi :
– que les institutions représentatives des personnels soient dotées de prérogatives nouvelles en matière environnementale. Nous demandons, en particulier, l’instauration d’une compétence « environnement » explicite des CHSCT qui deviendraient CHSCTE ;
– que les Comités d’entreprise soient dotés de moyens pour réaliser des expertises environnementales et que soient inclues dans les plans de formation des salariés des thématiques environnementales ;
– que soit institué un droit d’alerte environnementale pour tous les salariés (voire un droit de refus dans certaines situations). Un droit d’alerte garanti collectivement (débat en CHSCT ou CE) et assorti d’une protection réelle du salarié lanceur d’alerte (sur le modèle des protections des délégués syndicaux et/ou du personnel). Ce droit d’alerte, de caractère suspensif, pourrait concerner en particulier toute décision des employeurs contrevenant à l’objectif de réduction des émissions de CO2 ;
– que les rapports environnementaux annuels des entreprises, obligatoires aujourd’hui au titre de la loi NRE, fassent l’objet d’une consultation formalisée et d’un avis public du Comité d’entreprise. Nous proposons également l’extension du périmètre d’application de la loi NRE.
Pour les populations, nous voulons assurer la transparence sur les conséquences des choix de gestion des entreprises. Ceci suppose à nos yeux :
– que soit garanti l’exercice d’un véritable droit à l’information environnementale des populations. Cette exigence démocratique, qui s’adresse tout autant aux entreprises qu’aux pouvoirs publics, passe par exemple par l’accès à l’information et la consultation sur les conséquences des activités de ces organismes, sur les rejets des établissements industriels, sur les changement de site ou de mode de fonctionnement des entreprises à risques ;
– que les populations, les associations et collectivités territoriales concernées par l’activité d’une entreprise soient périodiquement consultées en participant à des conférences citoyennes organisées par les Comités d’établissement.
La mise en place d’une « gouvernance environnementale » exige cependant d’aller au-delà de l’entreprise et de la localité. Elle passe par des réformes institutionnelles.
Nous proposons, en particulier, l’extension des compétences du Conseil Economique et Social aux questions environnementales. Cette proposition – qui nécessite une concertation approfondie – devrait s’accompagner d’un renforcement des compétences et attributions du CES (possibilité de saisine par le Parlement, obligation pour le Gouvernement de rendre compte des suites données aux avis,…) et d’une refonte de sa composition pour tenir compte des évolutions de la société et de l’influence des organisations participantes. Une démarche parallèle devrait concerner les CESR. Dans ce cadre, nous demandons le renforcement du nombre de conseillers issus du monde syndical et, parallèlement de ceux issus du monde associatif, afin de permettre une représentation significative des associations de l’environnement.
Concernant l’énergie, nous insistons sur la nécessité d’une politique énergétique publique qui intègre une forte dimension environnementale. Cette politique énergétique publique doit être calée sur l’objectif d’une réduction très significative des émissions de CO2. Cela passe notamment par :
– le développement d’un bouquet énergétique à faible taux d’émission de CO2, s’appuyant sur les atouts de la France et optimisant les moyens financiers disponibles au regard du critère du prix de la tonne de CO2 évitée (hydroélectricité, énergies renouvelables, nucléaire, charbon propre) ;
– l’accroissement des économies d’énergie dans le domaine de l’habitat, des transports et de l’industrie avec l’objectif d’augmenter l’efficience énergétique et favoriser la consommation finale d’énergies limitant les rejets de CO2 ;
– le renforcement conséquent de la recherche sur les technologies les plus performantes pour réduire les émissions de CO2 et assurer le captage et la séquestration du CO2 émis par les installations industrielles.
Sous réserve des résultats d’études d’impact à réaliser dans les meilleurs délais, nous sommes favorables à une mise à plat de la fiscalité énergétique actuelle et à la mise en place d’une taxe sur les émissions de carbone. Nous récusons, par contre, l’idée d’une nouvelle taxe générale sur l’énergie qui serait inefficace et inégalitaire.
Dans le domaine de l’habitat, nous sommes partisans de la mise en place d’un programme ambitieux d’isolation thermique notamment dans l’habitant ancien, parallèlement à l’effort pour atteindre les objectifs BBC (bâtiments basse consommation) pour les logements neufs. Le chiffrage exact en nombre de bâtiments par an de ce programme est toujours en débat. Toutefois, nous attirons d’ores et déjà votre attention sur le fait que la réalisation d’un tel programme nécessite, d’une part que soient intégrés les besoins correspondant d’emplois et de formation dans un secteur du bâtiment déjà en déficit de main d’œuvre et que, d’autre part, des moyens adéquats de financement pour les ménages et organismes du logement social soient précisés (crédits bonifiés par exemple). Sur ce dernier point, il nous apparaît essentiel que les organismes financiers, remarquablement discrets dans les groupes de travail préparatoires, soient largement mis à contribution.
Dans le domaine des transports – premier émetteur de gaz à effet de serre, deuxième consommateur d’énergie dont 67% d’énergie fossile –, nous considérons qu’il faut s’engager résolument dans :
– une politique publique multimodale favorisant le fret ferroviaire, fluvial et maritime, avec les équipements et financements correspondants ;
– une politique de développement des transports collectifs et la mise en place rapide des syndicats mixtes régionaux d’organisation des transports collectifs ;
– la mise en œuvre d’une tarification sociale et environnementale obligatoire pour les transports routiers, assumée par les donneurs d’ordre et chargeurs, permettant d’internaliser les coûts externes et réduire les nuisances (réforme de la taxe à l’essieu et euro vignette) ;
– la réforme de la fiscalité des carburants pour en faire un outil efficace en matière de préservation de l’environnement ;
– la généralisation et l’élargissement de la prise en charge par les employeurs des frais de transport collectif domicile/travail des salariés.
Dans le transport routier, toutes les mesures doivent être socialement accompagnées de façon à empêcher tout impact de celles-ci sur les conditions de travail déjà désastreuses des salariés du secteur.
La CGT ne voit pas sans inquiétude la multiplication des propositions de créations de taxes et de prélèvements, qu’ils soient ou non affectés à des finalités précises. Nous récusons toute mesure qui aboutirait à réduire le pouvoir d’achat des salariés (en particulier celui des plus modestes) par l’accroissement des prélèvements sur la consommation.
En vous rappelant l’attachement de la CGT à une fiscalité qui tienne effectivement compte de la faculté contributive des foyers, nous demandons :
– que la priorité soit donnée à des prélèvements qui incitent les entreprises à adopter des combinaisons productives favorables à l’environnement et à la sécurité des travailleurs et des consommateurs ;
– que les profits spéculatifs ou exagérés, liés aux rentes d’exploitation des énergies fossiles, soient taxés ;
– que soit mis en place un contrôle public et collectif des fonds spécifiques dédiés à telle ou telle action en faveur du développement durable.
Nous considérons indispensable de faire de la santé au travail et dans la société un axe fort du Grenelle. Cela devrait se concrétiser par un renforcement des moyens de recherche en épidémiologie et toxicologie selon les 4 priorités que sont les effets des faibles doses (et des nanoparticules), les effets différés, les multi-facteurs agissant en synergie, les inégalités des individus devant les polluants industriels (amiante, éthers de glycol…) et agricoles (pesticides,…).
Pour engager un grand pas en matière de santé publique il faut, selon nous :
– étendre les droits des salariés (droits des CHSCT évoqués plus haut et mettre en place de véritables CHSCT dans l’agriculture) et des populations (accroissement par exemple des compétences des CLIC) ;
– garantir l’indépendance des experts (statut de l’expert à promulguer) et le pluralisme des évaluations.
Pour protéger la biodiversité et adapter les modes de production agricole plusieurs axes s’imposent :
– engager une révision en profondeur de la PAC au profit d’une agriculture économe en consommations intermédiaires. La priorité de l’agriculture, dans le cadre d’un objectif de « souveraineté alimentaire », doit être l’alimentation et non les productions industrielles type agro carburants sur lesquels nous exprimons les plus fortes réserves ;
– faire des salariés les acteurs d’une agriculture de qualité, de la sécurité alimentaire, de la protection de la biodiversité, ce qui impose qu’un effort considérable soit réalisé pour réduire drastiquement la précarité des emplois dans ce secteur de l’agriculture (800 000 salariés en contrats précaires) ;
– initier un programme d’inventaire et de suivi de la biodiversité, la mise en œuvre d’un plan national (et de plans régionaux) de restauration des continuités écologiques, un renforcement des moyens humains et financiers affectés à la gestion du réseau Natura 2000, une relocalisation de l’approvisionnement en bois (limiter les importations de bois exotiques à celles offrant des garanties de durabilité) et une gestion durable des forêts sont indispensables ;
– poursuivre les recherches, notamment publiques, sur les OGM tout en excluant les cultures en plein champ tant que les conséquences sur la santé et la biodiversité de ces organismes n’auront pas été pleinement évaluées.
Dans un souci de cohérence et de développement solidaire des territoires, nous estimons indispensable de préserver les services publics de proximité et de renforcer les moyens humains et les compétences des organismes publics chargés de missions environnementales. Dans ce contexte, nous refusons la perspective de voir s’installer un plan de « rigueur » dans la Fonction publique et, évidemment, la réduction drastique des moyens du Ministère de l’Ecologie, du Développement et de l’Aménagement Durables ainsi que des établissements publics concernés par ces problématiques (ONF, Météo-France, IGN…).
Dans le domaine de l’eau, nous demandons que notre pays se dote des moyens nécessaires afin de retrouver une eau de qualité en quantité suffisante à l’objectif 2015 - objectif qu’il s’est fixé en signant la directive cadre en 2000 - ce qui suppose de :
– renforcer la gestion publique de la ressource en eau (Onema), de son renouvellement et de sa qualité (réduction des nitrates, pesticides,…) ;
– prévenir les inondations et les pollutions des eaux, protéger les zones littorales notamment en accroissant les moyens de surveillance, le nombre des personnels de la Sécurité civile et en élargissant les compétences des agences de l’eau et du conservatoire de l’espace littoral et rivages lacustres.
En matière de déchets nous considérons que, dans un contexte de raréfaction des ressources, ceux-ci sont une matière première secondaire. Nous souhaitons privilégier la réduction à la source, l’éco-conception des produits, le tri et le recyclage.
Enfin, nous considérons que dans tous ces domaines une attention particulière doit être apportée à la résolution des problèmes posés dans les départements et territoires d’outre-mer.
Pour conclure ce résumé des propositions que nous avons eu l’occasion de présenter dans les groupes préparatoires du « Grenelle » de l’environnement, nous souhaitons insister sur un point : le levier essentiel pour affronter les défis d’aujourd’hui tient au développement, au renouvellement de la démocratie sociale et environnementale dans notre pays. Pour que les citoyens, les salariés soient les acteurs des transformations profondes, ils doivent disposer de droits d’intervention accrus. En ce sens, il serait inconcevable que, parmi les mesures retenues lors du « Grenelle », ne figure pas cette exigence. C’est la condition, pour que la réunion d’octobre passée, les chantiers lancés à cette occasion puissent se concrétiser dans les meilleurs délais.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de ma considération distinguée