Le Courrier de la Baleine : Pourquoi avez-vous accepté de représenter les Amis de la Terre sur l’agriculture et les OGM ?
Guy Kastler : « Les Amis de la Terre me l’ont proposé en juin. La période électorale était derrière nous, il s’agissait de répondre à une consultation officielle et non plus de rentrer dans un jeu politique que j’avais auparavant refusé. Il n’y avait alors pas d’autres représentants des agriculteurs que la FNSEA dans les groupes de travail du Grenelle. Dans ce contexte, j’ai accepté, avec un objectif double : aller le plus loin possible sur un certain nombre de dossiers – semences et OGM notamment – et aider les milieux environnementaux à une prise de conscience sur l’agriculture.
LCB : Quelle est l’ambiance au sein des groupes de travail ? Peut-on aborder tous les sujets ?
G.K. : Les choses sont dites correctement dans l’ensemble. La nouveauté a été d’élargir la représentation de la société civile – syndicats et entreprises jusqu’ici – à un nouveau collège, celui des ONG environnementales. Dans le Grenelle, ce sont ces dernières qui font des propositions, avec une certaine concurrence entre l’Alliance et FNE pour devenir l’interlocuteur privilégié de l’Etat. La volonté d’apparaître comme un négociateur institutionnalisé de cette mise en scène politique et non en simple représentant de la société civile pousse certains représentants de FNE à rentrer dans les compromis avant même de commencer à débattre. En face, les lobbyings sont sur la défensive de façon à empêcher tout consensus. Pour eux, les négociations se déroulent à l’extérieur, directement avec l’Etat. Courant juillet, une réunion s’est tenue au ministère de l’Agriculture mobilisant l’ensemble des représentants de l’agriculture au Grenelle (syndicats, Etat…). L’idée : éviter que le Grenelle ne débouche sur des mesures contraignantes. Il a été affirmé que certains dossiers, tels que la PAC, ne seraient pas discutés. Et à ce jour, ils ne l’ont pas été ! Or, la PAC est la première cause des dégâts environnementaux de l’agriculture moderne, rien ne changera qu’à la marge si elle n’est pas modifiée. Il a également été demandé de refuser tout débat transversal : celui des OGM a été maintenu, mais nous avons perdu sur les agrocarburants.
LCB : Que s’est-il passé sur cette question ?
G.K. : Nous n’obtiendrons pas de moratoire sur les agrocarburants industriels, même si leur bilan énergétique est négatif. Ils dispersent un nuage de peinture verte sur la poursuite du gaspillage énergétique auquel on ne touche pas. Ils entraînent l’augmentation de l’effet de serre et élèvent le prix des céréales. Les subventions qui leurs sont accordées justifient la suppression des stocks alimentaires et des politiques de maîtrise des marchés. Le coût de l’alimentation animale augmentera, ce qui accélérera la délocalisation des productions animales dans les pays du Sud. Ces pays, contraints par la dette, renoncent à leurs cultures vivrières au profit de champs destinés à nourrir nos animaux ou à faire du carburant pour les 4x4 et sont dépendants pour se nourrir des surplus agricoles occidentaux, de plus en plus chers. Au lieu de développer les productions locales alternatives (biogaz, huile végétale brutes…) qui sont les seules à avoir un bilan énergétique, financier et social positif, les pays riches perfectionnent ainsi leur arme alimentaire.
LCB : Et dans les autres domaines – OGM, pesticides – peut-on attendre des mesures concrètes ?
G.K. : Sur les OGM, le moratoire est à l’ordre du jour, mais on ne touche pas au monopole de l’industrie semencière qui interdit les semences paysannes et traditionnelles. La biodiversité reste un slogan pour quelques plantes et animaux sauvages pendant qu’on continue à détruire la biodiversité « domestique » entretenue par les paysans dans leurs champs, alors qu’elle seule est apte à s’adapter aux changements climatiques en court. Sur les pesticides, la FNSEA accepte de dire qu’il faudrait en réduire l’utilisation, mais bloque tout engagement chiffré. Elle cible une certification qui reprendrait l’agriculture raisonnée sous l’appellation « haute efficacité environnementale » (HEE). La restauration collective bio sera recommandée, mais pas financée par la PAC, et les barrières normatives ou sanitaires qui interdisent son développement à partir des productions locales sont maintenues. Malgré les louanges qui lui sont accordées, la bio n’aura droit qu’au marché pour se développer, sans aucune correction des distorsions de concurrence qui laissent l’agriculture chimique facturer aux contribuables ses dégâts environnementaux, sanitaires et sociaux.
LCB : On est donc bien loin des enjeux affichés publiquement par le gouvernement ?
G.K. : Tout dépend de quels enjeux on parle. Des enjeux pour qui ? Le Grenelle va rendre obligatoire une qualification des exploitations agricoles nécessitant des investissements inaccessibles aux petits agriculteurs diversifiés. Le réchauffement climatique va justifier des agrocarburants (qui contribuent à le renforcer) ou un plan de rénovation de l’habitat qui ne pourra pas être financé par une majorité de citoyens s’il n’est pas accompagné de mesures sociales. C’est donc le gouvernement qui est ici à la hauteur de ses propres enjeux. L’écologie est devenue un outil au service des bénéfices des entreprises et de l’exclusion sociale. Il ne faut pas être naïf quand on va dans ce genre de réunions. L’Etat vise à instrumentaliser les ONG pour faire du business économique. Faire prendre conscience de cette manipulation est aussi ce qui m’a incité à intégrer les réunions de travail du Grenelle. »