RANGOUN ENVOYÉE SPÉCIALE
Brutalisée, blessée et meurtrie, Rangoun ne veut pas s’avouer vaincue. Il règne dans la première ville birmane un mélange de stoïcisme, de colère contenue et d’effervescence. Le refus encore de céder la place à la résignation. « Plus rien ne sera comme avant, promet un étranger, résident de longue date. Les gens ont pris conscience, pendant ces journées, qu’ensemble ils avaient du pouvoir. Ils ne sont pas prêts de l’oublier. »
Dimanche 30 septembre, pourtant, au terme de quatre jours d’une répression brutale, la junte militaire semblait avoir gagné une manche. L’armée et les forces anti-émeutes tiennent la ville et pour la première fois depuis le 19 septembre les manifestants sont restés chez eux. Samedi, de petits groupes d’hommes avaient encore bravé le danger, osé affronter les forces de l’ordre à mains nues, en robe et en tongs. Mais la futilité de ce sacrifice, aussi courageux qu’il soit, a fini par devenir évidente. « Ils ont des fusils, et nous, nous n’avons rien », dit simplement un homme d’une quarantaine d’années en regardant la rue subitement vidée par l’armée.
Les camions de soldats aux uniformes vert olive, foulard rouge ou vert clair selon la division, sillonnent les rues, fusil pointé vers les passants. Au moindre signe d’agitation, ils s’arrêtent. Les militaires sautent, ouvrent le feu si nécessaire pour disperser les récalcitrants, embarquent ceux qui n’ont pas couru assez vite. Les accès des deux pagodes aux coupoles resplendissantes d’or, fiertés des bouddhistes birmans, d’où sont parties les plus grosses manifestations au début de la révolte, sont barrés par des rouleaux de fils de fer barbelé et des rangées de militaires et de policiers.
L’armée a aussi renforcé le dispositif à l’entrée de la rue qui mène à la maison où Aung San Suu Kyi, icône nationale, figure de proue de l’opposition et prix Nobel de la paix, est toujours en résidence surveillée. Les monastères clés sont soit bloqués par les militaires, soit vidés d’une partie de leurs occupants. Plusieurs centaines de bonzes sont sous les verrous. Deux nuits de suite, les 28 et 29 septembre, à la faveur du couvre-feu qui court entre 21 heures et 5 heures, les forces de l’ordre ont investi des monastères et emmené les bonzes identifiés comme les meneurs, souvent les chefs du monastère. « Comme il est sacrilège d’arrêter un moine en robe, ils les ont obligés à mettre des habits civils avant de les emmener », raconte un religieux.
Ces raids nocturnes ont été efficaces : à Rangoun, les robes rouges et safran ont disparu des manifestations. Les raids ont continué dans la nuit de samedi à dimanche, mais désormais les moines alertent le voisinage en tapant sur le gong à l’arrivée des forces de l’ordre dont l’intervention, du coup, devient plus compliquée.
Depuis mercredi 26 septembre, début de la répression, au moins 10 personnes ont été tuées par balles. C’est le bilan officiel ; les habitants, des sources de l’opposition et plusieurs ambassades font état de chiffres plus élevés - 100 morts et plus. Les blessés, affirme un médecin, ont été ramassés dans les hôpitaux par l’armée qui les a rassemblés dans un établissement militaire. Dans ce pays où l’information fiable est une denrée rare, une seule chose est certaine : quiconque s’aventure dans un attroupement risque sa vie.
Samedi, lorsque la rumeur de l’arrivée d’un « important homme de l’ONU » au Traders Hotel, en plein centre, s’est emparée de la ville, l’espoir a repris. « Les gens vont manifester devant l’hôtel pour lui montrer qu’on est toujours mobilisés », promettait une jeune femme dans une boutique du quartier. Le scénario, évidemment, est aussi venu à l’idée des autorités, qui ont renforcé le dispositif aux abords du grand hôtel. Ibrahim Gambari, envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies, n’avait pas encore atterri que la police s’affairait dans le quartier. Scène de la vie désormais quotidienne à Rangoun, au carrefour en face de l’hôtel, des soldats ont raflé des hommes qui avaient tenté de se rassembler et les ont fait monter sans ménagement dans un camion bâché. Autour, plus personne n’ouvrait la bouche. La peur avait fait son œuvre. Aux ambassadeurs convoqués jeudi 27 septembre dans l’ubuesque nouvelle capitale de Nay Pyi Daw, à 400 km de Rangoun, un vice-ministre des affaires étrangères, Maung Myint, a affirmé que « 30 personnes » avaient été arrêtées depuis le 28 août. Tout le monde sait, pour avoir assisté à ces rafles, qu’en réalité les arrestations se comptent par centaines. Selon un travailleur humanitaire, personne n’a idée de l’endroit où sont détenues les victimes des rafles.
Plus question, donc, de grands défilés, de ces marches de bonzes et de civils côte à côte, drapeaux au vent et hymne national aux lèvres, qui ont donné aux Birmans l’ivresse de la liberté l’espace de quelques jours. L’ampleur de la réaction à la hausse des prix du carburant, annoncée le 15 août dans ce pays qui s’enfonce dans la misère malgré ses ressources naturelles, puis l’irruption des bonzes dans le mouvement, avaient visiblement pris de court les généraux, isolés dans leurs palais en pleine jungle : en octobre 2005, une hausse comparable était passée sans problème.
Le silence de la junte pendant les cinq premiers jours des grosses manifestations a révélé son désarroi, mais l’obsession du contrôle a vite repris ses droits. Ce que l’on appelle, en termes militaires, une riposte graduée, a rétabli l’ordre dans les rues. La suspension, depuis vendredi 28 septembre, du principal accès à Internet a freiné la diffusion des informations à l’extérieur. Les rares journalistes étrangers évoluent dans une quasi-clandestinité, leurs interlocuteurs ne leur parlent que dans la plus grande discrétion, l’anonymat est la règle.
Ici, le mouchard est partout. Même l’intimité du domicile est sous surveillance : à Rangoun, « on ne découche pas à l’improviste », explique un habitant. Tout changement dans le nombre d’occupants d’une maison ou d’un appartement, même pour une nuit, doit être notifié au chef d’immeuble ou de quartier. Les autorités locales opèrent régulièrement des contrôles surprises ; tout hébergement non préalablement notifié entraîne le contrevenant et le propriétaire au poste de police. Ce genre de règles à la George Orwell, lui-même ancien de la Birmanie au service de l’armée coloniale, ne facilite pas, on s’en doute, la circulation des opposants passés à la clandestinité.
« Il faut arrêter de manifester, ça ne sert plus à rien, constatait sombrement, dimanche, une opposante. Il faut changer de tactique. Lancer un appel à la grève des fonctionnaires, par exemple... » Cette femme d’une quarantaine d’années - dont plusieurs passées en prison - que nous appellerons Yin Yin, se prend soudain à rêver. « Une grève générale du secteur public, ce serait plus utile, ça paralyserait le pays ! Mais comment faire ? Il faudrait que le mot d’ordre parte ce soir, avant que le régime n’ait le temps de bloquer les gens sur leurs lieux de travail. Mais comment faire circuler le mot d’ordre ? Depuis mercredi, je n’arrive plus à joindre personne. »
Les amis de Yin Yin qui ont, comme elle, participé au mouvement de 1988, écrasé dans le sang (3 000 morts), se sont évaporés. Ils ont été arrêtés, sont en fuite ou tout simplement injoignables car beaucoup de téléphones ont été coupés. L’impuissance de Yin Yin en dit long sur le dénuement de « l’opposition » en Birmanie. Les deux mouvements, la Ligue nationale pour la démocratie (LND) et la « Génération 88 », qui se partagent le rôle d’opposition légale sont, de l’avis des observateurs indépendants, d’une pathétique faiblesse. Fondée par Aung San Suu Kyi, dévastée par l’annulation de facto d’élections où elle avait réuni 85 % des suffrages en 1990, la LND est aujourd’hui dirigée par un comité de vieux messieurs sans boussole ni programme. Ses membres se sont joints, lundi 24 septembre, aux marches de protestation des moines et de la population. « Leur rôle n’était pas de rejoindre les manifestants, enrage Yin Yin, il aurait dû être de les mener ! » Etudiants il y a vingt ans, les anciens de la Génération 88 sont plus jeunes mais, jetés en prison, beaucoup n’ont pas fini leurs études, n’ont pas voyagé à l’étranger, n’ont ni métier ni formation politique. Le constat s’impose, cruel : sans « plan C, ni B, ni même A », comme le reconnaît l’un d’eux, sans troupes ni stratégie, enfermée dans une camisole de force, l’opposition légale ne constitue ni une alternative ni même une menace sérieuse.
La comparaison avec le soulèvement de 1988 incite au réalisme. « En 88, le mouvement était beaucoup plus massif, se souvient un opposant d’une soixantaine d’années. Les gens étaient dans les rues par centaines de milliers, et pas seulement dans les grandes villes. » Autre différence, les intellectuels, artistes, écrivains, s’étaient joints nombreux au mouvement. Cette fois-ci, ceux qui se sont affichés avec les manifestants se comptent sur les doigts de la main.
La montée des bonzes en première ligne est, en revanche, un signe fort de ce mouvement de septembre. Même s’ils sont neutralisés à Rangoun, des informations fiables en provenance de Sittwe ou de Pakokku indiquent que les religieux ont continué à manifester dans d’autres villes ces derniers jours. La participation des moines bouddhistes à la révolte a non seulement enhardi la population, à laquelle ils sont très intégrés, mais a ouvertement montré leur opposition au pouvoir, qui avait tenté de les faire passer sous son contrôle à l’aide d’une hiérarchie artificielle, la Sangha. « En réalité, juge un responsable religieux à Rangoun, la majorité des bonzes se méfient de cette structure, et c’est apparu au grand jour. »
En face, les militaires, qui tiennent le pays depuis quarante-cinq ans, ont réussi à préserver une opacité presque totale. Rangoun, ces jours-ci, bruisse de rumeurs sur les divisions internes de la junte, la fuite au Laos voisin d’une partie de la famille du numéro un, l’influence croissante présumée du numéro trois, l’évacuation supposée vers Singapour de tel allié du numéro deux, le refus du commandant d’une unité de tirer sur les manifestants...
La vérité est que personne ne sait vraiment. Les diplomates n’ont accès qu’aux seconds couteaux du gouvernement, experts en langue de bois, jamais au premier cercle. Ceux qui cherchent des lumières dans l’organe du pouvoir, The New Light of Myanmar, feuille de propagande bilingue si primaire que la Pravda pré-glasnost aurait pu en comparaison aspirer au prix Pulitzer, en sont pour leurs frais. La position officielle, telle qu’elle y est exprimée, consiste en quelques points assez simples : le gouvernement applique « les 12 objectifs sociaux, économiques et politiques » nécessaires à la mise en œuvre de « nos trois causes nationales », au moyen d’une « feuille de route en sept points » ; la nation n’est pas encore mûre pour la démocratie et ne peut être acheminée que de façon progressive vers un modèle de « démocratie disciplinée » ; malheureusement, des groupes d’opposition « terroristes et assoiffés de pouvoir », et pour certains grassement payés par la CIA, cherchent à renverser le gouvernement en fomentant des troubles, avec l’appui des exilés birmans et des médias étrangers, au premier rang desquels la BBC et Voice of America, des « saboteurs ».
Cette rhétorique n’est pas ce qui choque le plus les Birmans - ils ont même appris à en sourire. Ce qui ne les fait pas sourire, c’est la richesse accumulée par cette élite corrompue. La traversée, dans un taxi défoncé comme tous les taxis de Rangoun qui ont au moins vingt-cinq ans d’âge, puisque l’importation de voitures est interdite, des quartiers cossus de Seven-Mile et Eight-Mile, dans le nord de la ville, où la végétation dissimule de grosses villas modernes, suscite spontanément chez le chauffeur de furieuses diatribes, dans un anglais approximatif mais oh combien éloquent, contre ces militaires si riches alors que le peuple est si pauvre. Et sans doute ces chauffeurs de taxi sont-ils encore loin de la vérité : un haut responsable du gouvernement vient de reconnaître candidement, devant des diplomates, que la majorité de la population vit aujourd’hui avec moins de 1 dollar par jour, alors que l’ONU estimait encore récemment cette proportion à 35 %. Le régime construit des ponts, mais n’investit ni dans la santé ni dans l’éducation, observent plusieurs travailleurs d’ONG occidentales.
La Birmanie n’est pas pour autant la Corée du Nord. La peur, héritée du traumatisme de 1988, est là, mais n’est pas paralysante. A Rangoun ces dernières semaines, les gens ont beaucoup pratiqué l’art du bouche-à-oreille. « Jamais, affirme une jeune femme birmane, on ne s’était autant communiqué des informations d’un quartier à l’autre, jamais la diffusion des nouvelles sur le terrain n’a été aussi coordonnée, aussi systématique. »
Un chef d’entreprise étrangère, à la tête de plusieurs dizaines d’employés locaux, décrit l’arrivée de son personnel le matin, l’excitation de l’échange des dernières informations avant même d’avoir posé ses affaires, les employés qui courent recueillir, à l’arrivée des bus, les nouvelles d’autres parties de la ville. Le pays est ouvert, l’industrie touristique fonctionne. Dans les rues sous surveillance ces jours-ci, les Birmans ne s’attarderont pas à de longues conversations, mais savent faire comprendre que la présence de l’étranger est appréciée, comme un signe de solidarité. Des regards complices, des sourires échangés, une petite phrase soufflée au passage - « You take care » (soyez prudents) -, un geste pour vous prévenir du danger qui arrive ou les recommandations du chauffeur de taxi en disent suffisamment long. Le régime peut couper Internet, mais le nombre de paraboles sur les toits des immeubles décrépis de Rangoun témoigne d’une ouverture au monde difficile à refermer. « On verra ce que dit la BBC », cette phrase souvent entendue fait sans doute enrager le pouvoir. Le fait est que les chaînes étrangères continuent d’être diffusées.
La « révolution safran » n’a pas eu lieu. « Ne rêvons pas, avertit un vétéran de l’opposition, ancien prisonnier, les choses ne se passeront pas comme ça. Ici, ce n’est pas un soulèvement populaire qui renversera le pouvoir. Nos espoirs de changement reposent davantage sur les divisions au sein de la junte et sur les pressions de la Chine. »
Pour l’heure, l’incendie a été maîtrisé et, non, le soulèvement n’a pas eu lieu. Mais à Rangoun, en cette fin septembre, le feu est loin d’être éteint.
« Ici, il y a un crime plus terrible que le meurtre : tenter d’entrer en contact avec Aung San Suu Kyi »
AU 54 University Avenue Road, à Rangoun, une jolie rue qui mène au lac Inya, se dresse une grande maison devenue célèbre sans qu’on puisse la visiter, ni même en approcher. L’entrée de la rue est barrée par des rouleaux de fil de fer barbelé, ou par de simples barrières, selon les jours. Ces jours-ci, le barrage, tenu par des policiers et des soldats en armes, tient de la forteresse.
Cette maison coupée du monde abrite une icône, celle que les Birmans appellent simplement « The Lady », avec une révérence immense. Une icône muette pendant douze des dix-huit dernières années. C’est là, dans cette maison, que vit Aung San Suu Kyi, prix Nobel de la paix, coupée du monde par une dictature qui semble autant la craindre que les Birmans l’adulent. « Ici, affirme un responsable religieux de Rangoun, il y a un crime plus terrible encore que le meurtre : c’est tenter d’entrer en contact avec Aung San Suu Kyi. »
« Personne ne sait ce qu’elle pense, ni ce qu’elle fait. On ne sait rien d’elle, tout simplement », dit un journaliste birman qui l’a connue pendant ses moments de liberté. Elle a aujourd’hui 62 ans, a perdu son mari, Michael Aris, universitaire britannique mort d’un cancer en 1999 sans qu’elle ait pu lui dire au revoir, est séparée de ses deux fils. Elle vit en compagnie d’une vieille militante de l’opposition qui lui tient lieu de gouvernante, et de la fille de celle-ci. Un autre ancien du mouvement lui fait ses courses. Son médecin a le droit de lui rendre visite une fois par mois. « Aucun risque que cette visite soit supprimée, ironise un expert étranger sur place. La junte veille précieusement sur la santé d’Aung San Suu Kyi : sa mort risquerait de provoquer une insurrection. » Il y a, à Rangoun, une autre maison où a vécu Aung San Suu Kyi, celle où elle a passé les deux premières années de sa vie avec ses parents, avant que son père, le général Aung San, héros de l’indépendance, ne soit assassiné en 1947. Cette maison a été transformée en musée. Mais elle aussi est fermée aux visiteurs.
Samedi 22 septembre, un miracle s’est produit. Pour des raisons que les plus fins observateurs du régime birman ont encore du mal à expliquer, les policiers ont laissé passer les bonzes qui manifestaient à Rangoun et se sont, tout naturellement, dirigés vers la maison d’Aung San Suu Kyi, « le phare de la démocratie ». Les policiers ont poussé la barrière et les bonzes se sont engouffrés dans la brèche, suivis des manifestants civils. « The Lady » est sortie de chez elle et, derrière les boucliers des policiers anti-émeutes, a salué les manifestants, les yeux remplis de larmes. Pour beaucoup, l’apparition de cette femme à la silhouette frêle et au caractère de fer a marqué un tournant dans le mouvement de révolte qui a secoué la Birmanie depuis la mi-août.
Dimanche 30 septembre, elle a été emmenée dans une résidence gouvernementale pour y rencontrer, pendant une heure et quart, Ibrahim Gambari, le représentant du secrétaire général de l’ONU. Dans cette nouvelle crise birmane, toutes les têtes se tournent, une fois de plus, vers Aung San Suu Kyi, sans laquelle aucune solution ne sera possible.
Article paru dans le Monde, édition du 02.10.07.
LE MONDE | 01.10.07 | 14h25 • Mis à jour le 02.10.07 | 09h15
BIRMANIE RAIDS DANS LES MONASTÈRES
4 000 bonzes birmans auraient été arrêtés par la junte militaire
LES BONZES birmans ont été les principales victimes de la répression qui a mis fin, au moins pour le moment, au mouvement de protestation populaire de septembre dans le pays, et qui semble avoir frappé les religieux bouddhistes à une échelle plus grande qu’il n’est d’abord apparu, selon des informations de diverses sources.
De nombreux témoignages sur place ont fait état, à partir du 27 septembre, de raids de l’armée dans les monastères en pleine nuit, alors que le couvre-feu en vigueur de 21 heures à 5 heures du matin empêchait la population de sortir de chez elle. Au cours de ces raids, des centaines de bonzes ont été arrêtés et emmenés vers des destinations inconnues. Les religieux bouddhistes avaient pris la tête de la révolte en défilant par dizaines de milliers dans les rues des principales villes de Birmanie à partir du 18 septembre, entraînant les habitants dans leur sillage.
DÉTENUS DANS UN CHAMP DE COURSES
Selon la BBC, jusqu’ici bien informée sur les événements de Birmanie, notamment grâce à son service en langue birmane, 4 000 bonzes au total auraient été arrêtés la semaine dernière et plusieurs d’entre eux ont été tués. Ils seraient aujourd’hui détenus dans un ancien champ de courses et un institut technologique à Rangoun, mais devraient bientôt être emmenés à l’extérieur de la ville.
L’envergure de la répression antireligieuse montre à quel point la junte s’est sentie menacée par l’irruption des bonzes dans ce mouvement, déclenché par la hausse des prix du carburant le 15 août. Leur nombre - près d’un demi-million, selon diverses estimations - et leur organisation, par monastères, où les moines sont regroupés autour d’un chef de monastère, en font l’institution la mieux structurée du pays après l’armée, à peu près aussi nombreuse.
Contrairement à cette dernière, ils sont très intégrés à la population, dont ils dépendent pour la nourriture : deux ou trois fois par jour, les bonzes sortent, leur bol de bois laqué noir dans les mains, et vont demander l’aumône aux habitants. La situation économique s’étant beaucoup détériorée ces derniers mois, de l’avis de plusieurs organisations humanitaires étrangères sur place, il est de plus en plus difficile aux gens de nourrir les bonzes.
Autre facteur d’intégration des bonzes : certains religieux sont permanents, mais d’autres sont des bonzes temporaires puisque dans le bouddhisme theravâda, tel qu’il est pratiqué en Birmanie, il n’existe pas de voeu perpétuel (puisque tout est « impermanent »). Les hommes sont bonzes pour de courtes périodes de leur vie : une fois avant l’âge de 20 ans et une fois après.
Pacifistes et non violents, les bonzes ne sont généralement pas politisés, indique une source religieuse à Rangoun, mais ils exercent un rôle social dans la communauté. Les travailleurs humanitaires étrangers, par exemple, s’efforcent toujours d’associer les bonzes des villages à leurs projets en raison de leur autorité morale. Pour tenter de les contrôler, le pouvoir militaire a officialisé leur hiérarchie nationale, la sangha, ce qui, d’après plusieurs experts, a eu pour résultat de la discréditer auprès des bonzes de base. Les événements de la semaine dernière semblent donc avoir consacré la rupture entre le régime et la communauté monastique bouddhiste.
Article paru dans le Monde, édition du 04.10.07 .
LE MONDE | 03.10.07 | 14h54 • Mis à jour le 03.10.07 | 14h54