
Au cours des quatre années et demie qui se sont écoulées depuis que les forces armées du Myanmar, ou Tatmadaw, ont repris le pouvoir politique direct, des universitaires, des journalistes, des activistes et toute une série d’autres spécialistes ont fait des prédictions très diverses sur l’issue finale de la guerre civile actuelle.
Au début, la plupart des prévisions étaient assez pessimistes, car le puissant appareil sécuritaire du pays avait été déployé pour réprimer le mouvement d’opposition naissant .
Malgré le vaste soutien, tant au Myanmar qu’à l’étranger, en faveur de la reconnaissance des résultats des élections nationales de 2020 (qui ont vu la Ligue nationale pour la démocratie d’Aung San Suu Kyi revenir au pouvoir avec une majorité écrasante) et du retour immédiat à un système de gouvernement plus démocratique, de nombreux observateurs avertis s’attendaient à ce que, comme cela s’était souvent produit auparavant, le soulèvement national contre la junte soit impitoyablement écrasé.
Les forces hostiles à la junte se sont rapidement tournées vers la résistance armée et ont sollicité l’aide de plusieurs organisations armées ethniques (EAO) basées à la périphérie du pays. À mesure que ces groupes répondaient à l’appel et que la force et la cohésion du mouvement d’opposition se renforçaient, les analystes ont commencé à revoir leurs pronostics. Tout en continuant à mettre en garde contre un optimisme excessif, ils ont toutefois estimé que la résistance était bien plus efficace que par le passé.
À la fin de l’année 2023, après une série de victoires militaires remarquables remportées par une coalition d’EAO et de milices locales, certains envisageaient come quasiment certaine la chute imminente du régime militaire. Plusieurs observateurs étrangers s’accordaient à dire qu’il était dans une « spirale mortelle » et « au bord de l’effondrement ».
En janvier 2025, le gouvernement d’union nationale (NUG, shadow National Unity Government)) « fantôme »affirmait que la junte ne contrôlait que 32 % des 330 communes du pays. Une étude menée par la BBC est allée jusqu’à affirmer que le régime ne contrôlait que 21 % du pays. Cependant, ces affirmations doivent être considérées avec prudence. L’étude de la BBC, par exemple, omet de mentionner que la plupart des territoires prétendument « perdus » au profit des éléments de l’opposition comprenaient de nombreuses zones reculées et peu peuplées, caractérisées par des montagnes escarpées et une jungle dense.
Tout au long de cette période, les milieux militants et les partisans du mouvement d’opposition ont publiquement affiché un certain optimisme quant à l’issue de la guerre civile, optimisme difficile à justifier par une analyse objective de l’évolution de la situation. Sur la base de données inexactes, de désinformation et d’espoirs irréalistes, ils se sont livrés à de nombreuses spéculations sur le combat pour la démocratie qui ne pouvaient être justifiées. The Economist estimait que le risque était grand que l’opposition finisse par croire à sa propre propagande.
Comme l’histoire l’a clairement montré, les prédictions concernant la chute imminente du régime étaient plutôt prématurées. En effet, au cours des neuf derniers mois, la Tatmadaw a reconstitué ses effectifs affaiblis (principalement grâce à la conscription), s’est réarmée et a modifié son dispositif tactique, récupérant ainsi une partie du territoire qu’elle avait perdu auparavant. Certaines EAO du nord subissent une pression accrue, notamment de la part de la Chine, qui a menacé de couper leurs lignes de communication et d’approvisionnement.
Actuellement, les observateurs sérieux de la situation au Myanmar ont tendance à adopter un ton beaucoup plus mesuré, la plupart recommandant la prudence lorsqu’il s’agit d’envisager les évolutions à venir. La situation sécuritaire est très instable et nos connaissances présentent encore de nombreuses lacunes, mais des termes tels que « impasse stratégique » sont désormais de plus en plus courants. Peu d’analystes prédisent la victoire finale de la junte, mais beaucoup envisagent désormais sa survie sous une forme ou une autre.
Ils notent, par exemple, que l’évolution de la situation géopolitique donne aux généraux une plus grande marge de manœuvre sur la scène internationale. On a de plus en plus le sentiment que la junte, autrefois condamnée par la quasi-totalité de la communauté internationale, commence à bénéficier d’une certaine tolérance, voire d’une certaine acceptation. Le Myanmar est invité à davantage de réunions internationales. Les hauts responsables militaires effectuent davantage de visites à l’étranger, et pas seulement chez leurs alliés, la Russie et la Chine.
Les élections qui doivent se tenir en décembre 2025 seront une véritable farce en termes de représentation populaire, mais elles aboutiront à la formation d’un nouveau gouvernement. Certains signes indiquent qu’il se verra accorder une certaine reconnaissance par plusieurs pays, y englobant tous les voisins immédiats du Myanmar. Ces États sont déjà disposés à accepter que la Tatmadaw reste effectivement aux commandes des fonctions officielles essentielles dans un avenir prévisible, ce qui nécessite une sorte de modus vivendi.
À cet égard, il convient de noter que la Chine, après une période d’indécision apparente, se range de plus en plus fermement du côté des généraux. Pékin semble avoir décidé que ses intérêts vitaux résident dans le soutien à la junte et à ses élections truquées. Cela inclut la protection des actifs chinois au Myanmar par des forces de sécurité « privées » et l’exercice d’une pression accrue sur les EAO basées le long de la frontière nord du Myanmar.
Comme l’a noté l’observateur indépendant du Myanmar David Mathieson, entre autres, le NUG souffre actuellement d’une série de maux. Il est divisé, tant sur le plan politique que militaire, et manque d’une stratégie commune pour prendre le contrôle du pays. Il a fait des déclarations ambitieuses qui ne résistent tout simplement pas à un examen minutieux. Sa fenêtre d’opportunité semble se refermer et, sans un soutien plus important, il risque de dépérir. Cela rend également difficile pour les analystes de se projeter dans l’avenir.
Comme toujours, pour comprendre l’évolution de la situation au Myanmar, il faut disposer d’analyses objectives et fondées sur des faits — dans la mesure où ceux-ci peuvent être établis dans un environnement aussi instable et sensible — afin de parvenir à des évaluations réalistes. Un tel exercice ne permet pas d’espérer que la guerre civile au Myanmar prendra fin définitivement ou que les forces démocratiques prendront le contrôle total du pays dans un avenir proche.
Le Myanmar a toujours eu la faculté de surprendre les analystes, mais malheureusement, tout porte à croire pour l’instant que l’histoire va se répéter, que la junte va survivre, que l’opposition va se fracturer et perdre de son influence, et que les souffrances du peuple birman vont se poursuivre.
Andrew Selth
Europe Solidaire Sans Frontières


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