Que signifie le faible taux de participation ?
Ismail El Manouzi - L’abstention est de 63 %, et même plus dans les grandes villes. Avec l’abdication totale des partis de « l’opposition » bourgeoise, l’Istiqlal (Indépendance) et l’Union socialiste des forces populaires (USFP), qui ont renoncé à réformer la Constitution et participent au gouvernement, le régime n’a plus besoin, pour les élections, d’utiliser des méthodes grossières de falsification et de pression. Les élections ont fait apparaître l’indignation et l’indifférence politique des masses populaires. Rien n’a changé, les partis du Palais gardent la majorité. Les islamistes du Parti de la justice et du développement (PJD) n’ont pas réalisé ce qu’ils escomptaient, même s’ils représentent la première force politique du pays. Les élections ont confirmé que le danger islamiste n’était pas imminent, mais plutôt un épouvantail utilisé par les partis bourgeois pour justifier leur acceptation d’une Constitution donnant le pouvoir absolu au roi.
Comment est représentée la classe ouvrière ?
I. El Manouzi - Elle est politiquement inexistante. L’ancien Parti communiste, le Parti du progrès et du socialisme (PPS), n’est plus qu’un groupe d’intellectuels sociaux-libéraux et monarchistes, qui n’ont rien fait pour amender la Constitution et font partie du gouvernement depuis 1988. Les centrales syndicales se sont alignées sur l’Istiqlal et l’USFP. C’est est le cas de l’UGTM [Union générale des travailleurs marocains, NDLR], de la FDT et d’une frange de la bureaucratie de l’UMT [Union marocaine du travail, NDLR]. La Confédération démocratique du travail (CDT), organisation la plus combative pendant les années 1980 et 1990, a appelé à voter pour une coalition de petits partis d’opposition. La bureaucratie de la CDT n’a pas respecté l’indépendance du syndicat, en engageant ses structures dans la campagne des partis politiques. Les militants de la IVe Internationale ont défendu la position socialiste révolutionnaire vis-à-vis des institutions bourgeoises en période non révolutionnaire et de dénonciation du pouvoir absolu. Efforts limités par la modestie de leurs forces et leur répartition, géographiquement inégale.
Quelle est la situation des luttes sociales actuellement ?
I. El Manouzi - Depuis 2000, il y a un creux dans les luttes ouvrières. Les marches du 1er Mai ont été les plus faibles depuis des décennies. Les luttes, comme celle en cours à Jbel Aouam (lire Rouge n° 2219), sont isolées. La combativité se manifeste surtout dans des luttes rurales, qui revendiquent des infrastructures et des services sociaux. La deuxième composante est le Réseau de coordination des luttes contre la vie chère. Les manifestations récentes, à Bouarfa et Sefrou, ainsi que la crainte d’une contagion générale, ont obligé le gouvernement à revenir sur l’augmentation du prix du pain. Ce mouvement offre une chance de rajeunir les forces du mouvement social et de sortir du climat morose dû à la capitulation des directions syndicales.