
Salam Wadi, huit mois, dans une clinique de l’UNRWA dans la ville de Gaza, le 9 juillet 2025. (Hussein Owda/UNRWA)
Adam m’occupe l’esprit ces derniers temps, plus que d’habitude.
J’ai rencontré Adam en 2018 dans la ville portuaire yéménite de Hodeida, alors assiégée et lourdement bombardée. Dans le service hospitalier délabré, il y avait Adam : 10 ans et à peine plus de 10 kilos. Incapable de parler ou de pleurer, tout ce qu’il pouvait faire, c’était émettre un râle à chaque respiration. Quelques jours plus tard, Adam est mort de malnutrition.
Quelques années auparavant, ma collègue Hanaa m’a appelée de Syrie, tard dans la nuit. Elle pleurait et n’arrivait presque pas à parler. Finalement, elle m’a dit qu’Ali, un garçon de 16 ans, était mort – lui aussi de malnutrition, dans une autre ville assiégée, pris au piège d’une guerre qui n’était pas la sienne. Le lendemain matin, mon superviseur, un épidémiologiste, m’a dit : « Qu’un garçon de 16 ans meure de malnutrition, ça veut tout dire. C’est pratiquement un homme. Ça signifie qu’il n’y a plus du tout de nourriture dans cette partie de la Syrie. »
De retour au Yémen, dans l’un des rares hôpitaux pour enfants encore fonctionnels de la capitale Sanaa, je me souviens d’avoir traversé le service pédiatrique au plus fort d’une épidémie de choléra. Des garçons de 15 ou 16 ans luttaient pour survivre. Ils étaient si faibles et émaciés qu’ils pouvaient à peine se tourner dans leur lit. Ces images et ces histoires m’ont hanté au fil des ans, comme elles ont hanté beaucoup d’entre nous qui avons travaillé dans des situations de faim extrême ou proches de la famine.
En 2022, quand je pouvais encore me rendre régulièrement à Gaza, je passais dans les écoles de l’UNRWA et je rencontrais des enfants, impeccablement vêtus, en bonne santé, souriants, avides d’apprendre, sautant et courant dans la cour au son de la musique.
À cette époque, Gaza subissait déjà un blocus depuis plus de 15 ans. Pourtant, la nourriture restait disponible ; importée via Israël ou produite localement. L’UNRWA apportait aussi une aide alimentaire à plus d’un million de personnes.

Et ainsi, les images d’Adam et d’Ali s’étaient reléguées au fond de ma mémoire, jusqu’à ce qu’elles reviennent en force.
Encore combien de temps ?
Il y a quelques semaines, nos équipes à Gaza ont commencé à envoyer des photos alarmantes de bébés émaciés. Plus de 50 enfants sont morts de malnutrition pendant le blocus total imposé par Israël entre mars et mai, selon l’OMS, et les taux de malnutrition continuent d’augmenter rapidement. Depuis le 24 janvier, l’UNRWA a dépisté plus de 242 000 enfants dans ses cliniques et postes médicaux, soit plus de la moitié des moins de cinq ans de Gaza. Un enfant sur dix dépisté est malnutri.
Parmi eux, il y a Ahlam, âgée de seulement sept mois. Sa famille a été déplacée chaque mois depuis le début de la guerre, cherchant sans cesse une sécurité qui n’existe pas. Comme beaucoup de bébés à Gaza, son petit corps est affaibli ; son système immunitaire a été endommagé par le traumatisme, les déplacements répétés, le manque d’eau potable, une hygiène précaire et très peu de nourriture. Pourtant, malgré tout cela, Ahlam peut encore survivre. Mais le pourra-t-elle ?

À Gaza, la nourriture thérapeutique et les médicaments manquent cruellement. Les autorités israéliennes ont imposé un siège strict, bloquant l’entrée de nourriture, de fournitures médicales, d’aides nutritionnelles et même d’articles d’hygiène comme le savon. Bien que le blocus soit parfois légèrement desserré, l’UNRWA, principal acteur humanitaire à Gaza, n’a pas été autorisé à faire entrer de l’aide depuis plus de quatre mois.
La semaine dernière, Salam, une autre petite fille, est morte de malnutrition. Elle n’avait que quelques mois. Lorsqu’elle est arrivée dans notre clinique, il était déjà trop tard.
Le 10 juillet, huit enfants ont été tués lorsqu’une frappe aérienne israélienne a touché la clinique où ils faisaient la queue pour recevoir une assistance nutritionnelle. Une de mes collègues est passée en voiture devant la clinique quelques minutes plus tard. Elle m’a raconté qu’elle avait vu des mères pleurer en silence, le regard perdu dans le vide, tout comme Adam autrefois.

Pourquoi des bébés devraient-ils mourir de malnutrition au 21ᵉ siècle, surtout quand c’est entièrement évitable ?
À l’UNRWA, nous avons plus de 6 000 camions remplis de nourriture, de produits d’hygiène et de médicaments, qui attendent juste à l’extérieur des frontières de Gaza. Nous avons aussi plus de 1 000 soignants prêts à fournir des services nutritionnels vitaux aux enfants de toute la bande de Gaza. Nous sommes prêts à intervenir pour aider des petites filles comme Ahlam.
Juliette Touma
Europe Solidaire Sans Frontières


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