Dès 1998, le NPD a formulé un « modèle à trois piliers » dans son « document stratégique de Stavenhagen » : lutter pour gagner les rues, les têtes et les parlements. En 2004, un quatrième pilier a été ajouté : la lutte pour la »volonté organisée« [traduction littérale : dans leur jargon, ce sont les associations de tous types ndt] - notamment dans les entreprises et les syndicats. Depuis, les acteurs de la Nouvelle Droite se tiennent à cette stratégie avec constance. L’entreprise doit devenir la cellule où la normalisation autoritaire germera, car elle est un lieu prétendument »apolitique" favorable à l’implantation des conceptions et opinions de la droite dure.
L’AfD est encore souvent considérée comme le parti protestataire des laissés-pour-compte. Mais cela fait déjà longtemps qu’elle a pris pied au cœur de la société - y compris dans le monde du travail. Lors des élections fédérales de 2025, 38% des ouvriers ont voté pour l’AfD ; lors des élections régionales en Allemagne de l’Est, ce chiffre dépassait même les 40 %. Le parti est particulièrement fort chez les 25-44 ans - le groupe cible classique de la syndicalisation.
Consensus autoritaire dans l’entreprise
L’AfD n’a pas besoin pour cela de mettre en place des structures d’entreprise fortes. Son succès se nourrit de la frustration de beaucoup de salarié.e.s confrontés aux structures bureaucratiques, au manque de participation et de consultation ainsi qu’au détachement et à l’éloignement de la vie politique.
Le consensus de droite vient de l’intérieur : il se forme parmi les salariés qui s’opposent au « théories du genre", à l’immigration ou au politiquement correct. Les groupes d’extrême droite mêlent des préoccupations réelles, telles que les mauvaises conventions collectives ou la pression au travail, à des discours racistes et à des solutions autoritaires fantasmées, en évoquant « des élites occultes » et une « manipulation d’en haut ».
Depuis 2014, plusieurs organisations prétendument destinées aux salarié.e.s ont vu le jour au sein de l’AfD, comme « Arbeitnehmer in der AfD » ou « Alternative öffentlicher Dienst ». Ces structures ont été accompagnées par des organisations en amont comme « Ein Prozent » et des médias de droite comme Compact. L’éditeur de Compact, Jürgen Elsässer, a proclamé lors d’une conférence de ce magazine de la nouvelle droite après les succès électoraux de l’AfD en 2017 que le moment était venu de « porter le vent qui souffle sur l’Allemagne dans les entreprises ». Le pseudo-syndicat « Zentrum Automobil » (ZA), fondé par l’ex-néonazi Oliver Hilburger, est particulièrement actif. Depuis 2022, « Zentrum » agit non seulement dans l’industrie automobile, mais aussi dans le secteur des soins, dans les services publics et dans les services.
L’accession de l’extrême droite à la cogestion dans les entreprises se fait de plusieurs manières : par ses propres listes aux élections des comités d’entreprise, par des candidatures sur des listes de syndicats dissidents de droite comme le syndicat chrétien de la métallurgie (CGM) ou avec des candidats soi-disant indépendants. Ceux-ci évitent d’être ouvertement identifiés comme AfD, font de l’aide individuelle leur priorité et se présentent comme préoccupés par les problèmes pratiques. Leur feuille de route reste cependant bien claire : antidémocratique, antisyndicale et nationaliste.
Des groupes d’extrême droite se présentent aux élections des comités d’entreprise sous des noms tels que « Bündnis freier Betriebsräte »(alliance des délégué.e.s libres ), « Team Klartext » ou « CGM - Bündnis 2025 ». En 2025, l’ancien membre du comité directeur de ZA, Horst Schmitt, est entré au comité d’entreprise de Rüsselsheim sur la liste de la CGM. L’objectif : remplacer la cogestion démocratique par leur conception autoritaire de l’ordre. La droite se présente ainsi comme la nouvelle voix de la base - sans jamais améliorer quoi que ce soit sur le plan structurel. Car l’objectif n’est pas la justice sociale, mais l’hégémonie idéologique. La question sociale reçoit une réponse régressive, ethnique et anti-émancipatrice - dans le but de nier l’existence d’un contre-pouvoir collectif, de le ridiculiser et, là où il existe (dans l’entreprise), de l’affaiblir ou de le détruire.
Idéologie de la communauté d’entreprise
Les acteurs d’extrême droite s’appuient sur une longue tradition idéologique : l’idée de la « communauté d’entreprise ». Les nazis tentaient déjà de masquer les conflits sociaux au profit d’une unité ethnique en organisant des cellules d’entreprise. Aujourd’hui, on utilise le récit du « travailleur honnête », qui doit soi-disant se défendre contre les syndicats envahissants, les « utopies vertes de gauche » et la diversité. Les conventions collectives sont considérées comme superflues, les grèves comme nuisibles à la « paix du travail ».
Ce mode de pensée pourrait trouver un écho dans de nombreuses entreprises : Les comités d’entreprise de droite n’attaquent pas les intérêts du capital mais s’opposent à la cogestion et aux structures syndicales. Les comités d’entreprise apparentés à l’AfD se présentent comme les seuls capables de préserver le site de production et utilisent l’insécurité au sein de l’entreprise pour faire passer des solutions autoritaires pour les « seules viables ».
Le DGB a très tôt pris conscience de ce qui était en train de se passer - mais n’y a guère réagi. Dès 2000, une commission du DGB faisait le constat que les attitudes racistes et autoritaristes étaient tout aussi présentes parmi les membres des syndicats. Mais au lieu d’en tirer les conséquences, l’orientation favorable au partenariat social, le rapport à la base réduit à la gestion des adhérent.e.s et le choix de la neutralité politique ont dominé les années qui ont suivi.
Le rôle des syndicats
La politique tarifaire s’est technocratisée, la formation politique a été négligée. Dans la pratique, cela s’est traduit par l’obligation respecter la paix sociale pendant la durée de validité des conventions collectives, en lieu et place de la pratique et de la culture du conflit, le service au lieu de l’organisation, la politique du symbole comme substitut d’acquis solides. Il en résulte un vide que les militant.e.s de l’extrême droite remplissent - non pas avec de meilleurs concepts, mais avec des récits émotionnels et du ressentiment.
Cela vaut également pour la relance keynésienne entraînéepar l’armement, que soutiennent de nombreux syndicats. Dans un tel contexte, Oliver Hilburger peut se permettre de se présenter comme un syndicaliste antimilitariste et pacifiste : « c’est du cynique que de faire miroiter aux ouvriers menacés de perdre leur emploi « des emplois dans l’armement en Allemagne pour compenser les emplois qui ont été perdus à cause de leurs erreurs à eux [ceux d’en haut, en général ndr]... Cynique d’une part, parce que ce n’est pas le genre de message qui apporte quelque chose de positif à l’humanité, et cynique d’autre part, parce que les gens qui y travaillent... doivent eux aussi envoyer leurs fils à la guerre. Et c’est pourquoi je suis profondément convaincu que le syndicat doit, par principe, s’engager pour la paix », a déclaré Hilburger lors d’une conférence de presse à l’occasion de la création du bureau régional de« Zentrum » du nord-ouest le 24 avril dernier.
Pour contrer l’offensive de l’extrême droite, il faut une réorientation stratégique des syndicats : une formation politique, une politique tarifaire de défense de nos intérêts de classes, une démarcation conséquente par rapport à l’extrême droite et une politique anti-guerre tout aussi conséquente. Mais il faut surtout repenser l’identité du syndicat : non pas un prestataire de services neutre, mais un mouvement social actif qui fait à nouveau des entreprises des lieux de solidarité.
L’infiltration de l’extrême droite ne doit rien au hasard. Elle suit un plan - et elle se poursuivra si elle n’est pas combattue avec détermination. Les élections aux comités d’entreprise du printemps 2026 seront donc un test grandeur nature pour la capacité de mobilisation syndicale, la défense du droit de grève, la solidarité avec les collègues avec ou sans papiers allemands et la défense des conventions collectives.
Andreas Buderus
Europe Solidaire Sans Frontières


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