
Bottes de parachutistes, la tête rasée, moins de 18 ans : les jeunes néonazis ressemblent de plus en plus à leurs parents du début des années 1990. Participants à une marche anti-gay pride à Dresde le 31 mai de cette année. Photo : recherche-nord
La ville est représentative d’un phénomène qui touche l’ensemble du pays : dans de nombreux endroits, des centres de soutien et des groupes antifascistes tirent la sonnette d’alarme en raison de l’augmentation massive de ces agressions. En voici une petite liste pour ces dernières semaines : 15 à 20 personnes ont attaqué à coups de matraque le bar des milieux de la gauche alternative Hirsch Q à Dortmund. Six jeunes cagoulé.e.s ont attaqué la Rencontre ouverte antifasciste (OAT) dans le quartier de Hohenschönhausen à Berlin. Huit néonazis cagoulés ont tenté de pénétrer dans le bar de gauche Fischladen, également à Berlin. Des jeunes d’extrême droite ont attaqué à plusieurs reprises à Leipzig-Lößnig un foyer universitaire accueillant des résidents étrangers et queer. Entre 30 et 40 extrémistes de droite cagoulés ont attaqué le club de jeunes Jamm à Senftenberg et ont également tenté d’y pénétrer. On retrouve désormais ce genre d’informations presque tous les jours. Selon le centre de conseil « Opferperspektive » (« Le point de vue des victimes) », rien qu’entre mai 2024 et mars 2025, il y a eu dans le sud du Brandebourg vingt actes délictueux à motivation d’extrême droite dirigés contre des centres de jeunesse et des centres culturels.
Au total, les chiffres ne laissent aucun doute sur la tendance : pour 2024, les centres de consultation pour les victimes de la violence de droite et raciste ont recensé environ 3.500 agressions dans toute l’Allemagne - une augmentation de 20% par rapport à l’année précédente et un record. Même le ministère fédéral de l’Intérieur, qui recense moins de cas, a enregistré pour 2024 une augmentation de 48 % des délits d’extrême droite.
Les années « batte de baseball » sont-elles de retour ?
Du point de vue de l’effet psychologique, la comparaison peut sembler évidente. L’apparition de jeunes de droite dans les années 1990, avec leurs bottes de paras, leurs bombers, et leur position partiellement hégémonique dans la culture des jeunes, font également remonter de tels souvenirs. Certaines choses sont toutefois différentes : d’une part, il existe un réseau de centres de conseil pour les victimes de la violence de droite, certes financé de manière précaire, mais qui existe bel et bien. D’autre part, l’AfD, parti d’extrême droite, s’est imposé, normalisant les discours en la matière et encourageant une partie de la société à la violence.
Dorina Feldmann, qui travaille au sein du bureau de conseil Opferperspektive, dit comprendre les comparaisons de ce type, mais fait remarquer que « le niveau de violence global n’a pas encore atteint aujourd’hui le niveau des années 1990 ». En attendant, un grand nombre de ces agressions se distinguent par leur niveau élevé d’organisation militante. Les jeunes néonazis s’organisent en groupes tels que Elblandrevolte, Jung und Stark (Jeunes et forts), Deutsche Jugend Voran (Jeunesse allemande en avant) ou III. Weg (III.voie).
Il semble que des structures et des motivations terroristes de droite soient déjà en train d’émerger : En mai, le procureur général fédéral avait fait arrêter cinq membres du groupe terroriste d’extrême droite présumé Letzte Verteidigungswelle (Dernière vague de défense). Particulièrement troublant : une partie des inculpé.e.s sont encore des adolescent.e.s, le plus jeune a 14 ans. Mi-juin, il est apparu qu’un attentat contre une journée des fietés avait peut-être été déjoué à Wernigerode (Saxe-Anhalt). Un jeune homme de 20 ans avait annoncé vouloir utiliser des armes à feu contre les participant.e.s, et lors d’une perquisition, la police a trouvé des munitions.
La « Opferperspektive » souligne en même temps que seuls 15% des agressions sont le fait de partisans ou de membres d’organisations d’extrême droite - la plupart sont le fait de personnes qui se considèrent comme étant situées au centre dans la société. Dans les écoles, il est parfois à nouveau à la mode d’être néonazi. Le fait que de plus en plus de jeunes fassent partie des auteurs de ces actes inquiète les Centres de conseil. « Nous constatons qu’une culture jeune d’extrême droite de plus en plus solide est en train de se développer », explique Dorina Feldmann - dans les écoles, être néonazi est à nouveau à la mode. Elle en voit notamment les raisons dans le manque d’offres alternatives de loisirs, le stress de la crise après les confinements dûs au Covid et l’utilisation habile des médias sociaux par l’extrême droite. « Le sentiment d’absence de perspectives se heurte à une situation globale dans laquelle l’extrême droite propose de manière ciblée des explications simples et des représentations de l’ennemi », explique Feldmann.
La situation familiale est également un facteur. « De nombreux responsables d’agressions de l’époque précédente n’en ont guère subi de répercussions et sont aujourd’hui les parents de ces jeunes néonazis qui se radicalisent à nouveau ». Leur sentiment personnel d’avoir réussi quelque chose et la fierté d’avoir ainsi milité sont transmis à la génération suivante. Carsten Schulz, diacre, travailleur social et animateur culturel en théâtre, qui dirige depuis près de 14 ans l’OASE, une maison de jeunes de la paroisse évangélique de Rathenow, dans le Brandebourg, perçoit lui aussi un changement : « Ils ne sont en fait pas plus nombreux, mais ces jeunes d’extrême droite se manifestent avec plus d’assurance », dit-il. Ils ont le vent en poupe, ils se rendent compte qu’ils ne sont pas isolés. « Il y a cette petite musique que l’on entend désormais plus souvent : la classe politique est nulle, tout est nul, il faut que ça change ».
Quand on lui en demande les raisons, cet homme de 59 ans explique : « Les restrictions budgétaires dans l’éducation et la culture, l’absence de perspectives, le sentiment que tout est inutile. Des politiques peu présents et pas assez transparents ». Il estime que la responsabilité incombe autant aux médias classiques qui propagent des discours racistes qu’aux médias sociaux qui permettent un accès direct aux fausses nouvelles.
Enfin, l’AfD joue un rôle important : « Ils tiennent des propos simples et clairs, haut et fort, parfois des hurlements. Cela accroche. Et il est parfois difficile de les contrer - parce que tout cela est sans fondement ».
Une jeunesse politiquement divisée
L’état d’esprit des jeunes a également été analysé dans l’étude « Jugend in Deutschland 2025 », publiée mi-mai. Cette enquête largement représentative confirme que les jeunes sont soumis à une énorme pression. 62 % des personnes interrogées sont préoccupées par le risque de guerre ; 57 % expriment des inquiétudes sur le plan économique, par exemple à cause de l’inflation, et 48 % à cause de la cherté ou de la pénurie de logements. Le changement climatique fait peur à 47 %, la pauvreté des personnes âgées est un autre facteur d’anxiété. « Pour de nombreuses personnes, le fonctionnement en mode de crise permanente constitue toujours une réalité - le niveau de stress psychologique reste par conséquent élevé, et nous voyons près d’un quart des jeunes déclarer qu’ils ont le sentiment d’avoir besoin d’un soutien thérapeutique », commente Kilian Hampel, l’un des coauteurs de l’étude. Près d’une personne interrogée sur deux se plaint de stress, un tiers d’épuisement.
L’évaluation montre également que la confiance dans le système politique s’effrite : De nombreux jeunes ne se sentent plus représentés par les partis établis. Lors des élections fédérales de février, les partis établis ont perdu beaucoup de terrain chez les jeunes, tandis que Die Linke est devenu, à la surprise générale, la force la plus forte chez les moins de 25 ans. Mais l’AfD a également obtenu des résultats supérieurs à la moyenne : elle est devenue le deuxième parti chez les moins de 25 ans et le premier dans le segment d’âge supérieur (25 à 34 ans). Le fait de ne pas croire que l’avenir sera positif, la pression croissante et le sentiment que le gâteau se réduit globalement - pas pour tout le monde, mais pour beaucoup - conduisent manifestement à jouer des coudes et à se radicaliser vers la droite.
Il ne faut guère s’attendre à des réponses pertinentes de la part du monde politique établi. Parallèlement à l’inauguration du premier centre de documentation sur le réseau nazi "Nationalsozialistischer Untergrund’ (NSU, groupuscule actif dans les années 90 ndt) à Chemnitz, le ministre-président de Saxe Michael Kretschmer, qui n’était pas présent, a affirmé que les programmes démocratiques de prévention étaient inefficaces parce qu’ils étaient trop à gauche et qu’ils n’atteignaient pas le groupe cible. Dans le même temps, il a fait l’éloge des méthodes de travail en direction de la jeunesse pratiquées dans les années 1990, dont il est prouvé qu’elles ont favorisé la propagation de groupes d’extrême droite et ont contribué à l’émergence du NSU. Le ministre de l’Intérieur de Saxe, Armin Schuster, a même envisagé d’autoriser les services de protection de la Constitution à surveiller des enfants de douze ans. Plusieurs responsables politiques ont en outre demandé une interdiction générale des médias sociaux pour les moins de 16 ans. Cottbus a parallèlement annoncé vouloir réduire d’un cinquième les fonds alloués au travail social pour les jeunes à partir de 2026. La commission sociale de la ville est dirigée par l’AfD.
Explosion de la violence anti-queer
Entre-temps, à Cottbus, des discussions ont pu être menées entre la direction de la ville, les districts de Spree-Neiße et Oberspreewald-Lausitz ainsi que l’initiative auto-organisée Sichere Orte Südbrandenburg - un réseau de protection des projets alternatifs. On ne sait pas encore ce qu’il en adviendra, le scepticisme des militant.e.s sur le terrain est grand. Sichere Orte Südbrandenburg continuera donc probablement à compter sur ses propres capacités : les incidents seront rendus publics collectivement, un fonds d’aide pour les réparations sera créé et des mesures de soutien mutuel seront mises en place, par exemple sous forme de concerts de solidarité et de chantiers. La situation reste extrêmement tendue.
Cet été, les marches des Fiertés seront à nouveau un point central de confrontation.
Les centres d’aide aux victimes de la violence de droite ont enregistré pour l’année 2024 une augmentation de 40% des agressions à caractère homophobe par rapport à l’année précédente. L’année dernière, la fondation Amadeu-Antonio avait recensé 55 agressions lors de marches ou festivals des Fiertés- elle s’attend également à des agressions cette année. Kai Bölle, membre du conseil d’administration de l’association CSD Deutschland, explique que dès à présent, on assite à des tentatives de créer un climat de peur en envoyant des courriels de menace aux organisateurs et organisatrices. Dans de nombreux endroits, il y a déjà une collaboration avec les groupes antifascistes afin de garantir la protection des participant.e.s. La solidarité pratique sera ici une tâche centrale.
Sébastien Bähr est journaliste et vit à Berlin.
Europe Solidaire Sans Frontières


Twitter
Facebook