NancyNancy (Meurthe-et-Moselle).– Le congrès du Parti socialiste (PS), qui s’est achevé dimanche 15 juin à Nancy, a offert son lot de scènes ordinaires de la vie d’un mouvement en proie à la décomposition. Les harangues, conciliabules et dérapages incontrôlés ont participé, trois jours durant, à accroître la fracture entre le camp d’Olivier Faure, dont la réélection comme premier secrétaire n’avait pourtant pas été contestée, et celui de ses opposant·es conduit·es par Nicolas Mayer-Rossignol, le maire de Rouen (Seine-Maritime).
Alors qu’Olivier Faure leur avait tendu la main pour participer à une direction collective, ils et elles lui ont tourné le dos brutalement, mettant fin à l’espoir de recoudre les cicatrices mal fermées du congrès de Marseille (Bouches-du-Rhône) en 2023. La minorité du parti a fait de la rupture avec La France insoumise (LFI) le motif de ce divorce, en demandant à écrire cet amendement noir sur blanc dans un texte commun : « Nous ne ferons pas d’accord national et programmatique aux législatives avec LFI. »
La majorité s’y est refusée, pensant au risque de victoire du Rassemblement national (RN) en cas de dissolution. « Alors qu’on voulait nous faire croire que ce sujet était derrière nous, cet amendement très simple a été nettement refusé par la direction sortante. Ce qui montre qu’il y a deux lignes : une de clarté et une de confusion », cinglait Nicolas Mayer-Rossignol dimanche matin.
Olivier Faure entouré de ses soutiens au congrès du PS de Nancy, le 14 juin 2025. © Photo Sébastien Di Silvestro / Hans Lucas pour Mediapart
« Si vous avez une dissolution avec un risque RN, vous ne faites plus d’accord ? Vous ne protégez pas les sortants ? Je ne mettrai jamais d’équivalence entre l’extrême droite et LFI,a répliqué le député fauriste Arthur Delaporte. Les partisans de Nicolas Mayer-Rossignol flattent leur base, ils travaillent l’identitarisme de parti. Moi, je cherche des chemins de rassemblement dans le parti et au sein de la gauche. »
La veille, les partisans d’Olivier Faure comme ceux de Boris Vallaud, le troisième homme du congrès, pensaient encore parvenir à une grande synthèse à l’ancienne. Mais le maire de Rouen et ses soutiens en ont décidé autrement, replongeant le PS dans les affres de ses divisions.
Retournement de situation
La scène clé a eu lieu à la tribune samedi soir. Nicolas Mayer-Rossignol s’emploie alors à faire l’éloge de l’apaisement et du rassemblement, mais très vite le ton monte et le discours de celui qu’on surnomme « NMR » se transforme en réquisitoire. « Il faut dire et écrire et affirmer unanimement qu’il ne peut plus y avoir, sous aucun prétexte, ni au plan national, ni au plan local, ni en cas de dissolution, d’alliance avec LFI ! »,lance celui qui est devenu le grand artificier d’une implosion programmée. La moitié de la salle exulte et l’ovationne.
Au premier rang, la sidération gagne les soutiens d’Olivier Faure à mesure que le maire de Rouen monte dans les tours pour dénoncer « les ambiguïtés qui subsistent et qui sont insupportables ». Le poing levé, il lance : « Nous ne baisserons jamais la tête ! » À l’étage, Luc Broussy, secrétaire national du PS proche du premier secrétaire, est littérairement sonné. Et exprime son incompréhension : « On est tombés de haut. Il fait comme s’il n’y avait pas eu de congrès. »
Boris Vallaud, qui espérait un congrès de la réconciliation, convoque la presse en catastrophe. La mine grave, le président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale évoque lui aussi son « incompréhension » : « Nous voulons que l’esprit de parti l’emporte sur l’instinct du clan », assure-t-il face aux journalistes. Mais ses tentatives de pourparlers seront vaines.
Pour être totalement transparent avec vous, “de Ruffin à Glucksmann”, ça ne veut pas dire “de Glucksmann à Rebsamen”.
Un peu plus tôt, avant le discours de Nicolas Mayer-Rossignol, le député Jérôme Guedj avait déjà ravivé les braises de la division dans un discours aussi fulgurant que partiellement incontrôlé. Cet ancien proche de Jean-Luc Mélenchon, avec qui la rupture est consommée depuis le 7-Octobre, déclarait ainsi : « J’ai une meurtrissure terrible à dire devant ce congrès que, pour la première fois de ma vie, j’ai dû dire de l’homme que j’ai aimé profondément qu’il est devenu un salopard antisémite, avec des propos qui sont pour nous absolument insupportables. »
Ces derniers mois, Jérôme Guedj a été hué tantôt par des pro-israéliens lui reprochant, en avril 2024, d’être en alliance avec LFI, tantôt par des manifestant·es du 1er-Mai le qualifiant de « vendu » et de « traître » – les mêmes avaient attaqué ce jour-là le stand du PS. Les accusations entre les socialistes et les Insoumis sont symétriques sur le sujet. Les premiers reprochent aux seconds d’avoir euphémisé l’attaque terroriste du Hamas ; les seconds reprochent aux premiers d’avoir euphémisé la guerre génocidaire à Gaza.
Au congrès du PS à Nancy, le 14 juin 2025. © Photo Sébastien Di Silvestro / Hans Lucas pour Mediapart
Ces accusations mutuelles ont pris un tournant plus grave entre Jérôme Guedj et Jean-Luc Mélenchon après l’épisode de l’annulation d’une conférence de ce dernier et de Rima Hassan à Lille (Nord) au printemps 2024. Le député PS avait exprimé des réserves sur le logo de Libre Palestine, l’association organisatrice de la conférence, sur lequel figure une carte fondant dans un même territoire Israël, Gaza et la Cisjordanie. Le chef de file de LFI avait par la suite écrit sur son blog, à propos de Jérôme Guedj et en le renvoyant à sa judéité : « L’intéressant est de le voir s’agiter autour du piquet où le retient la laisse de ses adhésions. »
« Je nous adjure collectivement : ne vendons pas notre âme au nom de ces huées fanatiques. Il n’est plus possible d’avoir le moindre point de contact avec ceux qui abîment la gauche, l’universalisme, la laïcité, la république sociale chère à notre cœur », a lancé samedi Jérôme Guedj devant une salle de congrès mi-abasourdie, mi-électrisée. « Ce n’était pas prévu », confiait-il un peu plus tard, en se disant inquiet des « tergiversations » de la direction de son parti vis-à-vis de LFI.
Les « orphelins » de la social-démocratie
Cette même direction a pourtant plusieurs fois répété que le lien avec les Insoumis n’était plus le sujet. « Nous voulons construire un rassemblement de la gauche non mélenchoniste, de Ruffin à Glucksmann », répète Pierre Jouvet, bras droit d’Olivier Faure, qui voit dans la saillie de Nicolas Mayer-Rossignol « une volonté tribunicienne d’exciter un congrès ».
Jean-Luc Mélenchon a réagi dans un message posté sur le réseau social X quelques heures plus tard : « Vous ne pourriez pas vous disputer à propos d’autre sujet que LFI ou moi ? […] Ayez un débat sur la “radicalité quand elle est nécessaire” d’Olivier Faure ou avec Boris Vallaud sur la “démarchandisation” de l’économie de marché ? […] Bref, quelque chose d’utile, de clair, de matière à discussions sérieuses. »
En aparté, des socialistes regrettaient un congrès encore focalisé sur LFI, sans réel débat de fond. « C’est un sujet qui conditionne le paysage à gauche en cas de dissolution et de présidentielle », défend pour sa part la maire de Vaulx-en-Velin (Rhône) Hélène Geoffroy, opposante à Olivier Faure. Celle-ci appelle désormais les « orphelins » de la social-démocratie, qui ont quitté le PS en désapprouvant l’union de la gauche depuis 2022, à le rejoindre.
Récemment, François Rebsamen, ministre de l’aménagement du territoire, a rejoint le micro-parti de Bernard Cazeneuve, dernier premier ministre socialiste, La Convention, qui espère accroître le périmètre d’un pôle dit social-démocrate.
Dans son discours de clôture, dimanche 15 juin, Olivier Faure a tenté de conjurer la fracture. « Parfois j’ai eu le sentiment que vous vouliez organiser ce congrès que LFI ne convoque pas elle-même », a-t-il ironisé avant de déclarer : « J’assume tous les désaccords avec son principal inspirateur, mais je confesse très laïquement que je ne m’interroge pas chaque matin sur ce que dit, pense, tweete Jean-Luc Mélenchon. »
Puis il s’est adressé directement à la minorité du PS : « Alors que l’extrême droite est aux portes du pouvoir, j’entends que certains ont la tentation de faire de ce congrès un référendum pour ou contre LFI. Mais tant qu’ils auront pour obsession unique LFI, ils ne feront que la démonstration de la domination psychologique que la gauche radicale exerce sur eux. »
Tout en réaffirmant sa distance avec le mouvement mélenchoniste, le premier secrétaire a aussi tenu à assumer l’union déjà faite avec lui au moment du Nouveau Front populaire (NFP) : « Je ne répondrai pas aux injonctions de la droite et de l’extrême droite qui diabolisent la gauche radicale. Si nous n’avions pas réalisé le NFP, Bardella serait à Matignon. » Enfin, il a rappelé le périmètre de l’union de la gauche qu’il espère, avec d’autres, fédérer : « Pour être totalement transparent avec vous, “de Ruffin à Glucksmann”, ça ne veut pas dire “de Glucksmann à Rebsamen”. »
Olivier Faure, qui aspire à ramener la gauche au pouvoir, est surtout parti pour ramer, en interne, contre sa minorité tumultueuse.
Mathieu Dejean