
Nous avons rédigé ce texte en réponse à l’article « Sectarisme, maladie infantile du mouvement étudiant » écrit par Rafael Leal et Camila Ribeiro, tous deux membres de l’Exécutif national de lUnion de la jeunesse socialiste (UJS). Nous pensons qu’il s’agit d’une occasion importante de mettre en évidence les « deux tactiques » au sein du mouvement étudiant dans le contexte de l’affrontement que suscite le congrès de l’Union national d’étudiant.e.s ()UNE, et c’est pourquoi nous ouvrons ici le débat.
Le texte de Leal et Ribeiro se présente comme un texte de polémique avec l’opposition au sein de l’UNE, affirmant à certains moments qu’il s’agit d’une critique « contre la force qui impose son hégémonie » mais, dans une grande partie de son argumentation, il conteste l’existence d’une opposition de gauche au sein de l’UNE. À cette fin, le texte tente de présenter le conflit autour du congrès de l’UNE comme opposant deux secteurs politiques : le « sectarisme », qui correspondrait en pratique à l’opposition de gauche, et une « nouvelle majorité » au sein du mouvement étudiant, représentée par le camp majoritaire de l’UNE – une « caravane qui passerait pendant que les sectaires aboient ». Selon cette logique, les sectaires auraient pour caractéristiques de refuser de construire l’unité avec le reste des forces de gauche dans les universités et serviraient, par leurs critiques, d’instrument à l’impérialisme et à l’extrême droite, alors que c’est leur propre camp politique qui serait le principal animateur des mobilisations dans le pays.
Qu’est-ce que le sectarisme ?
Pour mener ce débat, il est important de rappeler que le sectarisme, comme cela a été mentionné à plusieurs reprises dans le texte, mais oublié dans sa conclusion, n’est pas une tendance politique, mais une position. Le sectarisme peut provenir aussi bien des secteurs révolutionnaires que réformistes, de la gauche comme de la droite. C’est l’idée qu’il n’est pas possible de construire des initiatives unitaires communes à des acteurs politiques divergents au sein de la société. Le sectarisme peut en effet être un problème. Que ce soit dans les moments de mobilisation, comme lors des grèves universitaires, ou dans la construction de nos organisations étudiantes, on se heurte souvent à cette logique, car nous sommes convaincus que ni nous, ni aucun secteur politique du pays, ne peut à lui tout seul parvenir à conquérir effectivement les droits des étudiant.e.s et proposer une alternative à la société actuelle.
Cependant, l’accusation de sectarisme a également été utilisée à plusieurs moments de l’histoire, non pas pour renforcer l’unité autour d’une lutte concrète, mais comme une étiquette pour masquer des divergences politiques. Toute unité doit s’articuler autour d’un objectif à court terme ou, pur le long terme, autour d’un programme ; Pour se constituer, un espace politique au sein de l’UNE doit disposer d’un minimum de repères stratégiques communs, ce qui semble totalement absent du texte des camarades de l’UJS. Nous pensons que c’est là que réside le fond du débat.

Deux tactiques du mouvement étudiant au sein de l’UNE
Aujourd’hui, le mouvement étudiant se focalise sur deux débats centraux : 1) comment construire un rempart contre l’extrême droite, une nécessité sur laquelle tous les secteurs du mouvement étudiant organisé s’accordent largement ; et 2) quel sera le programme revendicatif du mouvement étudiant face à l’aggravation de la précarité dans l’éducation qui se poursuit sous le gouvernement Lula, un débat qui met plus ouvertement en évidence les divergences existantes.
En ce qui concerne l’extrême droite, nous pensons qu’il existe un consensus clair sur la nécessité d’une lutte continue de la part du mouvent. nNous dénonçons et combattons ensemble le gouvernement Bolsonaro et tous les projets qui émergent de ce secteur. Mais ce qui doit être dit, c’est qu’il n’est pas possible de débattre de la lutte contre l’extrême droite de manière isolée, car ni au Brésil, ni dans le monde, l’extrême droite n’est apparue comme un éclair dans un ciel bleu. Elle est le fruit de la frustration du peuple vis-à-vis des gouvernements libéraux ou sociaux-démocrates, qui sont devenus les gestionnaires de la crise capitaliste.
Le décret sur le gel des dépenses dans l’éducation ne fait que mettre en évidence un problème qui existe depuis longtemps : la stratégie du gouvernement qui consiste à laisser se poursuivre la destruction de l’éducation publique brésilienne. Le budget approuvé pour 2025, même sans le décret sur le gel, est inférieur à celui qui avait été fixé en 2019 sous le gouvernement Bolsonaro. C’est une réalité objective. Tenter de cacher que le débat sur l’unité du
En d’autres termes, la manière d’empêcher l’extrême droite de gagner du terrain serait de ne pas critiquer les contradictions que tout le monde connaît. C’est pourquoi ils n’ont pas tenté de faire davantage pression sur le cadre fiscal ou sur les budgets de plus en plus réduits alloués à l’éducation. Nous, nous nous situons sur l’autre bord du mouvement étudiant, celui qui pense que nous devons mener ce débat de fond et que nous ne pouvons pas faire un pas en arrière, laisser la « caravane passer », alors qu’elle piétine les droits des étudiants. Il faut construire un mouvement étudiant indépendant.
Alors que nous alertons sur le fait que l’UNE devrait mettre au centre de ses préoccupations la lutte contre le programme économique mis en œuvre à travers l’encadrement budgétaire, la centrale étudiante a proposé de lancer un débat abstrait sur la réforme universitaire, sans tenir compte de la situation budgétaire réelle des universités. Dans le même temps, la détérioration des universités s’est poursuivie. Contrairement à ce qu’affirment Leal et Ribeiro, l’absence de de mobilisation de l’UNE à cet égard a également été une décision politique, qui ne peut être justifiée par le seul argument selon lequel le mouvement étudiant n’a participé à aucun mouvement de lutte significatif.

Que faire ?
En ce sens, nous pensons qu’il s’agit d’une question d’horizon stratégique. Nous croyons que la lutte contre l’extrême droite ne peut se faire qu’à partir d’un programme qui s’attaque au système et qui soit ancré à gauche. Présenter une option qui ne soit pas fermement opposée à la privatisation croissante de l’éducation brésilienne encouragée par le gouvernement, qui ignore l’impact climatique de mesures telles que le forage dans l’estuaire de l’Amazone et la privatisation des plages, et qui ne mise pas sur l’auto-organisation étudiante, c’est la recette imparable pour brider le potentiel qu’ont les étudiante·s dans la lutte pour un autre agenda politique dans le pays et dans le monde.
Les exemples du Bangladesh et de la Corée du Sud démontrent le potentiel que le mouvement étudiant continue de posséder à l’échelle mondiale. En cette période de crise, nous devons nous concentrer sur la manière dont nous construisons notre propre agenda et non seulement sur l’impact que notre lutte peut avoir sur lacote de popularité du gouvernement. S’il existe actuellement des difficultés pour coordonner le mouvement étudiant au niveau national au Brésil, ce que nous ne nions pas, nous devons nous attacher en priorité à le réactiver, plutôt que de nous préoccuper de la gêne qu’il peut occasionner.
C’est précisément pour cette raison que nous pensons que le fait que les principales mobilisations de ces dernières années aient été menées par l’opposition n’est pas une coïncidence. Des exemples tels que la reprise desmobilisations de rue en 2021 à travers une manifestation organisée par le DCE de l’UFRJ, ou la grève générale de l’USP en 2023, la plus grande grève depuis des décennies dans la plus grande université du pays, ont été des événements très importants qui ont démontré leur force, mais qui n’ont pas été menés par les secteurs majoritaires de l’UNE.
Dans le même ordre d’idées, la grève des universités fédérales a illustré plus ouvertement cette contradiction. L’année 2024 a été marquée par une grève qui a eu un poids important parmi les techniciens et les professeurs en raison de la précarisation qui existait déjà sous le gouvernement Lula. La volonté de boycotter ces grèves de la part des dirigeants de l’UNE a été observée à plusieurs reprises et a révélé une conception objectivement différente de ce qu’est le point de vue de l’opposition. Jusqu’à aujourd’hui, et cela se reflète dans le texte de nos camarades, la défense de l’UJS est que les critiques suscitées par les grèves ont renforcé l’extrême droite. En d’autres termes, même s’ils disent qu’il faut « faire pression sur le gouvernement par la gauche », dans la pratique, lorsqu’ils le font, ils choisissent de démoraliser les secteurs qui luttent pour leurs droits légitimes.
Nous nous demandons si nos camarades croient vraiment que la mobilisation des techniciens, des enseignants et des étudiants est réellement le facteur qui renforce le bolsonarisme, et non la poursuite de la politique fiscale de démantèlement de l’éducation menée par le gouvernement. S’ils y croient vraiment, alors ils devraient faire un pas en arrière et se positionner en défense du décret sur le gel des budgets de l’éducation, mais ils ne le font pas parce qu’ils connaissent la situation critique dans laquelle se trouve l’éducation et parce que la pression réelle exercée par les universités à partir de la situation concrète créée par le gouvernement les oblige à prendre position. Si le gouvernement permet la fermeture des universités au prochain semestre, non seulement il ouvrira la voie à la montée de l’extrême droite en démontrant les contradictions du projet du PT, mais il démantèlera également l’un des principaux remparts de résistance à l’extrême droite.
La possibilité de conclure des compromis, des alliances et de savoir manœuvrer tactiquement entre les secteurs, comme l’explique bien Lénine dans le livre auquel se réfèrent les camarades de l’UJS, n’a rien à voir avec la défense d’un projet stratégique dont l’horizon de classe se limite aux contours du néolibéralisme. Affirmer qu’on ne peut pas critiquer le gouvernement depuis la gauche revient à dire, dans la pratique, qu’il n’y a « pas d’alternative », comme on a tenté de nous le faire croire dans les années 1980. Nous pensons cependant que la réalité objective s’impose, et le décret sur le gel des budgets de l’éducation montre clairement qu’il est impossible de ne pas débattre du modèle économique en place et souligne l’urgence de construire une gauche qui n’ait pas peur de défendre ses positions.
Quelques conclusions
Ce débat doit donc être mené de manière honnête, sinon l’agitation autour du thème de l’unité ne sera que du vide sans programme ni projet. Le débat de fond n’a jamais opposé les sectaires aux non-sectaires. Si tel avait été le cas, les moments d’unité comme le Tsunami de l’éducation n’auraient même pas été possibles. La véritable discussion porte sur la place que prendra l’UNE dans les combats les plus décisifs de notre génération : en abandonnant le potentiel du mouvement étudiant au profit d’un projet adapté (qui ne peut même plus être qualifié de réformiste, mais plutôt de capitulard) qui ne cherche que des justifications à nos difficultés ; ou en encourageant la rébellion et la confrontation, avec un projet indépendant qui ne lâche pas nos bannières, afin de permettre l’émergence de nouvelles mobilisations de masse.
Enfin, il est nécessaire de faire un pas en avant. Comme pour tout ce que nous avons construit jusqu’à présent, nous pensons que la lutte contre le décret sur les coupes budgétaires dans l’éducation doit être la plus large possible. Le Tsunami de l’éducation a été, en effet, un exemple d’unité, qui a eu un poids considérable grâce à l’opposition, mais qui a rassemblé tous les secteurs de l’UNE. Nous pensons que le décret a le même niveau de gravité et nous espérons que l’ensemble du mouvement étudiant se joindra à cette lutte et tirera les conclusions de ce que ce décret signifie : il n’est plus possible de banaliser la politique économique du gouvernement fédéral. Nous serons ouverts à construire l’unité avec toutes celles et tous ceux qui veulent faire tomber ces mesures, car nous pensons que l’unité est extrêmement nécessaire, mais qu’elle doit servir à renforcer la lutte des étudiantes et des étudiants. Nous devons ouvrir un espace pour débattre d’un autre modèle d’économie et de société : un projet écosocialiste qui s’articule autour de la fin du cadre fiscal, du forage dans l’estuaire de l’Amazone et de « l’échelle 6×1 »(6 jours de travail un jour de repos ndt), pour une réforme agraire et urbaine et pour construire une véritable alternative pour notre génération.
Fabiana Amorim fait partie de la Coordination nationale de l’organisation de jeunesse Juntos ! et directrice des politiques éducatives de l’UNE.
Theo Louzada Lobato est membre de la Coordination nationale de Juntos !
Europe Solidaire Sans Frontières


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