Nicolas Mayer-Rossignol, Hélène Geoffroy et Philippe Brun jubilent. Mercredi 28 mai au matin, lors d’une conférence de presse organisée dans un restaurant parisien, les trois figures du texte d’orientation (TO) « Changer pour gagner », rassemblées pour faire tomber Olivier Faure au congrès du Parti socialiste (PS), veulent se montrer triomphants.
Le résultat du vote sur les TO, qui détermine l’action menée par le parti pour les prochaines années, les donne au coude-à-coude avec le premier secrétaire sortant. La commission de récolement livrera le résultat définitif mercredi après-midi, mais l’entourage du premier secrétaire est formel : le TO d’Olivier Faure (« Le cœur de la gauche ») arriverait en tête avec 42 % des suffrages exprimés environ, suivi de celui du maire de Rouen (Seine-Maritime) Nicolas Mayer-Rossignol avec 40 %, et enfin de celui de Boris Vallaud, entre 18 et 20 %.
Même si le congrès du PS, qui se terminera à Nancy (Meurthe-et-Moselle) du 13 au 15 juin, ne fera pas l’économie de contestations sur l’ordre d’arrivée, le « fait majeur » pour Nicolas Mayer-Rossignol, est là : « La direction sortante n’est plus majoritaire. » C’est en effet une première : les sièges des instances nationales du PS étant répartis à la proportionnelle du résultat, Olivier Faure n’aura pas la majorité au conseil national. « Si on veut être clair dans la représentation de cet acquis, il faut changer de premier secrétaire », estime dès lors Hélène Geoffroy.
Boris Vallaud, Nicolas Mayer-Rossignol et Olivier Faure. © Photomontage Mediapart
Et le maire de Rouen de lancer, dans la foulée, un appel « à une direction collective avec Boris Vallaud et ses amis ». Ces dernières heures, le président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale est en effet devenu le faiseur de rois du 5 juin, date à laquelle les adhérent·es du parti seront appelé·es à voter pour leur premier secrétaire.
Un résultat contrasté pour les deux camps
Derrière ces apparences se cache une réalité plus contrastée. Les partisan·es de Nicolas Mayer-Rossignol ont beau rappeler que le résultat de l’orientation portée par Olivier Faure n’a fait que baisser depuis le congrès de Villeurbanne (Rhône) en 2021 – où sa motion avait recueilli 72 % des suffrages exprimés – puis celui de Marseille (Bouches-du-Rhône) en 2023 – où il engrangeait 49 %, –, c’est la première fois que l’intéressé affrontait un rassemblement aussi large de son opposition.
La coalition emmenée par l’édile de Rouen regroupe en effet le courant de la maire de Vaulx-en-Velin (Rhône) Hélène Geoffroy, mais aussi des personnalités de poids qui se sont détachées d’Olivier Faure, comme les députés Philippe Brun et Jérôme Guedj, la présidente de la région Occitanie Carole Delga et le maire de Montpellier (Hérault) Michaël Delafosse ou encore le maire de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) Karim Bouamrane. Elle avait aussi reçu, dans la dernière ligne droite, le soutien de l’ancien premier ministre Lionel Jospin.
Ce qui est au cœur de ce congrès, c’est l’orientation stratégique : oui ou non, faut-il que le PS agisse tout le temps, partout, pour le rassemblement de la gauche et des écologistes ?
« Ce n’est pas bon pour un premier secrétaire, mais vu la tournure qu’a prise la campagne depuis quinze jours, ce n’est pas un résultat déshonorant », analyse le politiste Rémi Lefebvre. « L’apport que devait représenter cet élargissement devait en théorie faire plus de 50 %. Finalement, ce sera aux alentours de 40 %. Pour Olivier, la performance est donc intéressante et surtout, l’ordre d’arrivée est clair et sans contestation depuis hier soir. C’est un bon résultat », tempère ainsi Stéphane Troussel, président du département de Seine-Saint-Denis et soutien du premier secrétaire sortant.
De la même manière, l’idée défendue par Hélène Geoffroy selon laquelle « la ligne du PS a d’ores et déjà changé » après ce vote demande à être vérifiée. Compte tenu du positionnement de Boris Vallaud, « depuis toujours » en faveur du rassemblement de la gauche et des écologistes, Stéphane Troussel estime au contraire que la position d’Olivier Faure « est confortée ». En toute logique, il appelle de ses vœux « un rapprochement avec Boris Vallaud pour construire cette majorité confortée ».
Olivier Faure lui-même s’est tourné vers Boris Vallaud, dans une déclaration à l’AFP : « J’appelle Boris et celles et ceux qui l’ont accompagné à nous rejoindre pour former cette nouvelle direction, faire en sorte que nous puissions améliorer tout ce qui doit l’être », a-t-il déclaré, ajoutant qu’il a partagé avec Boris Vallaud « pendant ces sept années l’ensemble des orientations que nous avons prises ».
D’ici au vote du 5 juin, le débat qui était déjà central dans ce congrès va donc prendre encore plus d’ampleur : « Sur les questions économiques, sociales, sociétales, 80 % des socialistes pensent la même chose. Ce qui est au cœur de ce congrès, c’est l’orientation stratégique : oui ou non, faut-il que le PS agisse tout le temps, partout, pour le rassemblement de la gauche et des écologistes ? », résume le président du département de Seine-Saint-Denis.
Un parti en état de déliquescence, comme tous les partis
Olivier Faure s’est en effet distingué depuis la formation de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) en devenant une incarnation de l’union de la gauche, pour laquelle il a plaidé maintes fois malgré ce qu’il lui en a coûté en interne – ce qui lui a valu des inimitiés en interne. Malgré sa prise de distance avec La France insoumise (LFI), le premier secrétaire sortant défend l’idée d’une primaire de la gauche et des écologistes pour présenter une candidature commune en 2027 et battre l’extrême droite. C’est sur ce point qu’il y a une différence avec Nicolas Mayer-Rossignol et ses soutiens.
« On est tous pour l’union de la gauche, mais il y a différentes façons de la faire. Veut-on une primaire ou une union de la gauche sincère ? La primaire entre la carpe et le lapin, non merci », affirme ainsi le maire de Rouen, se défendant toutefois d’être « la motion de Raphaël Glucksmann », en écho aux récents propos de l’eurodéputé qui a rejeté l’idée de primaire dans une interview au Monde et affirmé vouloir « discuter avec le Parti socialiste d’une offre commune, dans le mouvement des européennes et avec un cap clair ».
Comment des partis politiques aussi faibles, aussi peu implantés, peuvent décider du sort électoral et stratégique de la gauche aux yeux des électeurs ?
Reste à savoir quelle orientation les adhérent·es du PS vont choisir majoritairement. « On est dans un congrès où il y a beaucoup de nostalgie pour le PS d’antan, c’est ce que porte Nicolas Mayer-Rossignol, un discours très identitaire, commente Rémi Lefebvre. Olivier Faure prône pour sa part un dépassement, ce qui est mal perçu par les militants qui restent, qui voudraient entendre un discours triomphaliste. »
Pour Stéphane Troussel, la fierté socialiste n’est pourtant pas contradictoire avec la défense du dépassement : « Je suis habitué à manier l’affirmation socialiste et l’affirmation du rassemblement, c’est ma culture mitterrandiste. Je ne le vis pas comme un paradoxe », sourit-il.
Quel que soit le résultat le 5 juin, le tableau reste sombre pour le PS. Le taux de participation au vote du 27 mai a été encore une fois très faible : 23 000 adhérent·es environ ont voté sur 39 000 inscrit·es – peu ou prou comme en 2021 et en 2023. Alors que le parti se félicitait, fin 2024, d’avoir engrangé 10 000 nouveaux adhérent·e après les élections législatives de 2022, puis celles de juillet 2024, cette stagnation interroge. D’autant plus qu’ils et elles étaient souvent présenté·es comme de jeunes adhérent·es attaché·es à l’union de la gauche.
« Sur un congrès aussi décisif, avoir aussi peu de participation donne le ton d’un parti qui reste très fragile, pas capable de mobiliser ses militants », observe Rémi Lefebvre. « Je pense depuis longtemps qu’il faut rénover nos pratiques, nos votes, et par exemple associer du vote physique et électronique. C’est la preuve qu’il faut aller plus loin là-dessus », convient Stéphane Troussel.
Le congrès des Écologistes, qui a réélu aisément Marine Tondelier il y a quelques mois, avait lui aussi été marqué par le même phénomène de désaffiliation (49 % de participation seulement). Plus largement, c’est la question de la représentativité des partis qui refait donc surface. « Comment des partis politiques aussi faibles, aussi peu implantés, peuvent décider du sort électoral et stratégique de la gauche aux yeux des électeurs ? », interroge ainsi Rémi Lefebvre.
Mathieu Dejean