Nos derniers congrès de la LCR et de l’Internationale avaient enlevé des premiers articles de nos statuts la référence à la dictature du prolétariat. Cela n’avait rien de comparable avec les révisions successives des sociaux-démocrates et des staliniens qui en enlevant ce terme traduisaient le renoncement, depuis longtemps entrés dans les faits, à la lutte révolutionnaire pour le renversement du capitalisme.
Pour notre part le but était tout autre : écarter d’abord une locution trop associée à la sinistre expérience stalinienne du siècle dernier dans les pays du « socialisme réel » ; marquer ainsi notre rejet de systèmes dans lesquels la « dictature du prolétariat » (que les révolutionnaires russes, après K.Marx qualifiaient de stade le plus avancé de la démocratie) était en fait devenue la dictature du parti et de sa direction sur la société et en premier lieu sur les travailleurs.
Cet aggiornamento ne dispense évidemment pas de nous prononcer sur ce que doivent être la transformation révolutionnaire de la société et un système dans lequel l’abolition du capitalisme serait réellement synonyme de libération économique et sociale.
Le Manifeste [de la LCR] explique à juste titre que cette transformation implique la mise à bas d’un Etat qui, construit pour le maintien du capitalisme, instaure la séparation entre le citoyen, bénéficiant de droits démocratiques plus ou moins établis, et le producteur, asservi à la domination permise par la propriété privée de moyens de production. C’est en cela que les marxistes ont toujours considéré que la démocratie bourgeoise contenait une dimension illusoire puisqu’elle était fondée sur le droit inaliénable des patrons de gérer la société et…les salariés.
Tout le défi auquel nous avons à faire face dans notre programme politique est de dessiner les contours de ce que pourrait être une réelle démocratie politique, économique et sociale.
Le cadre de cette perspective est plus ou moins contenu dans le mot d’ordre d’une société gérée par les producteurs et les productrices elles-mêmes.
Et ce cadre intègre à juste titre que les sociétés contemporaines sont composées essentiellement de salariés (actifs ou chômeurs) et que l’appropriation des moyens de production par la société elle-même traduirait directement une souveraineté des producteurs, les capitalistes disparaissant en tant que classe dès lors que leur système de domination disparaîtrait.
Cette réalité « algébrique » ne peut évidemment faire l’économie de la réalité d’une crise révolutionnaire, de ses lendemains en cas de succès et des garanties qui permettraient une transformation des rapports sociaux et une démocratie politique.
Le renversement du capitalisme ne déboucherait pas sur une société dans laquelle la lutte de classes, nationale et internationale aurait disparu comme par enchantement . Dès lors, la question de la mobilisation consciente et active de la classe ouvrière (au sens le plus large défini dans notre Manifeste) est évidemment cruciale. Les expériences les plus récentes (même si déjà lointaines) du Chili, du Portugal, du Nicaragua sont là pour montrer que le capitalisme est tout sauf démocratique et qu’il n’a de cesse que de rétablir sa domination. Même si des processus révolutionnaires, en Europe par exemple, auraient sans doute une dimension internationale, le problème resterait entier.
Nous pensons toujours que la classe ouvrière, le prolétariat est la seule force sociale capable de conduire ce processus. Dès lors, le défi est d’entrevoir les formes de démocratie qui permettraient le succès durable d’un processus révolutionnaire.
La première leçon du siècle dernier est que la garantie majeure est le contrôle démocratique par l’ensemble de la société et que tout système basé sur l’autorité « du parti » est synonyme non seulement d’échec mais de renoncement à l’émancipation. C’est au contraire la démocratie la plus large qui doit présider à tout processus révolutionnaire.
Le manifeste prend, à juste titre, comme outil démocratique le suffrage universel, c’est à dire l’exercice permanent du droit de décider dans des structures qui obéissent au principe de « une femme, un homme, une voix ». Mais ce principe intangible n’épuise évidemment pas la question. L’exemple portugais montre comment la social-démocratie a utilisé l’argument démocratique pour avancer la contre-révolution au milieu des années 70.
Le problème concret qui se pose est celui des lieux de pouvoir dans une société révolutionnaire.
Toute révolution ne peut être que le résultat d’une mobilisation populaire de grande ampleur, qui peut prendre à un moment donné la forme d’une grève générale, paralysant le pouvoir d’Etat, et jetant les bases d’une nouvelle société. Dans tous les cas, toutes les expériences révolutionnaires le confirment, émergent des structures de pouvoir populaire, dans les entreprises, les localités, et elles sont à la fois de lieux de démocratie et des lieux de mobilisation.
On ne peut jamais construire de mécanos pour les révolutions, de prêt à porter qui serait la recette pour éviter les écueils des révolutions passées. Mais quelques axes doivent nous guider pour garder une boussole dans des situations qui, si elles ont imprévisibles, sont néanmoins celles vers lesquelles convergent tous nos efforts.
Le premier axe est évidemment celui de l’auto-organisation démocratique, expression même d’une révolution représentée par les structures révolutionnaires créées dans les entreprises, les quartiers, les localités. Elles représentent la force sans laquelle le renversement du pouvoir n’est pas possible. Toute la gageure d’une révolution est de maintenir cette mobilisation, la vitalité de telles structures et de permettre qu’elles soient le soubassement stable d’une nouvelle société en construction. Sur ce plan, évidemment, le principe du suffrage universel, tout simplement de la démocratie totale dans les décisions, les formes d’organisation et de débat doit être respecté.
Ceci implique l’instauration de la démocratie ouvrière dans les entreprises : l’organisation de la production, de la vie dans l’entreprise par les salarié-e-s. C’est le cœur de tout processus révolutionnaire démocratique, et une des leçons fondamentales du reflux révolutionnaire en Russie dans les années 20. Du jour où les comités d’usines ne deviennent plus légitimes, où des directeurs sont nommés « par en haut », tirant un pouvoir d’un gouvernement central, le dépérissement du processus commence. Les tensions et contradictions économiques, écologiques, sociales doivent trouver des lieux et des moyens de règlements qui respectent le pouvoir des travailleurs dans l’entreprise. De même l’exercice permanent de la démocratie dans l’entreprise, la prise en charge directe par les travailleurs des entreprises est la condition du changement radical de leurs conditions de travail, mais aussi de leur participation à la vie politique dans et hors de l’entreprise. Sous le capitalisme, ce sont essentiellement les patrons, les professions libérales et les professionnels de la politique qui dirigent la société.
Une autre question épineuse est évidemment comment concilier ces formes d’organisation et la construction de nouveaux lieux de décisions à une échelle plus large, régionale, nationale, pour le moins. Question épineuse car elle soulève plusieurs problèmes : celui de la représentation politique permanente, des « dangers professionnels du pouvoir ». Des structures régionales, nationales, peuvent avoir deux légitimités : celle d’une centralisation des structures démocratiques locales, d’entreprises, de quartiers, telles qu’on pu être dans diverses expériences des comités centraux de grève, mais qui doivent vivre sous un contrôle démocratique permanent. L’autre légitimité est celle du suffrage universel individuel à une échelle large par l’élection d’assemblées nationales ou régionales, à partir de listes présentées par des partis. Lorsque de telles assemblées ont un pouvoir qui supplante celui des structures locales et d’entreprises, elles tendent évidemment à échapper au contrôle démocratique.
L’ensemble de la population doit en même temps pouvoir avoir le droit direct, sans intermédiaire de décider sur des grands choix, à commencer par celui d’élire une constituante qui fixe les objectifs sociaux et politiques correspondants aux besoins de la population et les règles démocratiques de fonctionnement de la société.
Aucune révolution n’a pu échapper, à un niveau ou à un autre à cette contradiction, qui n’est qu’une des tensions que déclenchent de tels processus.
Gérer cette contradiction ne pourrait être réglée par une deuxième chambre verticale rassemblant associations et partis. La voie à suivre serait plutôt celle de la subsidiarité généralisée laissant le maximum de pouvoir aux structures locales et d’entreprises et une centralisation de ces structures dans des cadres et des schémas que seuls les événements orienteront.