Ces arrestations et disparitions mettent en évidence le règne de la terreur auquel sont confrontés les titulaires de visas étudiants et même de cartes vertes. Elles combinent plusieurs aspects étroitement liés des cinq grandes situations d’urgence en matière de droits civils et humains aux États-Unis et au sein de l’empire américain dans le monde :
• Le génocide israélo-américain en Palestine, qui se traduit désormais par la menace ouverte de l’exode forcé de Gaza, le nettoyage ethnique de masse et l’annexion imminente de la Cisjordanie par Israël.
La criminalisation des actions de protestation contre le génocide, en particulier sur les campus universitaires.
La collusion entre l’extrême droite sioniste pro-israélienne et chrétienne-nationaliste, avec notamment Campus Watch, Betar USA et Canary Mission, qui recensent les étudiants et les professeurs militants pour les cibler, les expulser et/ou les déporter.
• L’intention de l’administration Trump de détruire les universités américaines en tant qu’institutions vouées à la pensée scientifique, culturelle et critique, et la lâcheté spectaculaire des administrations des universités de Columbia, du Michigan et d’autres encore qui ont capitulé face à ces attaques.
• La comportement illégal du gang Trump, y compris sa violation flagrante des ordonnances des tribunaux qui ont fermé les portes aux déportations.
• Les liens entre les campagnes d’extrême droite menées aux États-Unis et en Israël, visant à consolider un régime autoritaire dans les deux pays.
Nous aborderons certains cas en particulier. Mais tout d’abord, il s’agit de bien prendre conscience que les groupes ciblés aux États-Unis, sans parler de la Palestine, vivent un épisode terrifiant, tout comme les dizaines de millions de personnes dans le monde confrontées à des épidémies à grande échelle ou à la famine en raison de la suppression par les États-Unis du financement de programmes qui sont essentiels à leur survie.
Dans le même temps, les services vitaux fournis par les agences gouvernementales fédérales et leurs effectifs sont systématiquement démantelés, avec des conséquences désastreuses pour la santé publique, les soins aux anciens combattants, les écoles publiques, le service postal et bientôt la sécurité sociale et l’assurance maladie.
Comment résister à une attaque sur plusieurs fronts clairement conçue pour avoir un effet paralysant ? Tout d’abord, il est nécessaire de reconnaître le caractère systématique et coordonné des attaques, afin que les cibles ne se retrouvent pas cloisonnées et que les actions de défense ne restent pas isolées et divisées.

La résistance s’organise ! Photo : Dan La Botz
Les cibles
Mahmoud Khalil, le Dr Rasha Alawieh et le professeur Badar Khan Suri ne sont pas des cas indépendants de, par exemple, la menace de couper 175 millions de dollars de subventions fédérales à l’Université de Pennsylvanie pour le crime consistant à autoriser un athlète transgenre à participer à une compétition sportive féminine, ou d’un décret présidentiel annulant les conventions collectives et le droit de négociation du syndicat des employés fédéraux.
Ces interactions sont en partie à l’origine de la mobilisation de plusieurs millions de personnes le 5 avril dans les rues de centaines de villes américaines, grandes et petites, bleues, rouges ou violettes, qui ont scandé « Hands Off » (Ne touchez pas à nos droits), exaspérées par les crimes du gang Trump-Musk et sidérées par la chute libre stupéfiante des marchés provoquée par le déchaînement tarifaire de Trump contre l’économie mondiale.
La détermination de cette résistance populaire n’a pas encore été mise à l’épreuve, mais le 5 avril a été un sacré début.
Pour rappeler quelques faits essentiels : Mahmoud Khalil, diplômé de Columbia, détenteur d’une carte verte et dont la femme, Noor Abdalla, était enceinte de huit mois, a été appréhendé par des agents en civil du ministère de la Sécurité intérieure alors que le couple regagnait son logement en résidence universitaire.
Columbia avait ignoré les demandes de protection de Khalil, qui s’était senti suivi. Figure de proue du mouvement de protestation de l’année dernière et négociateur d’un règlement pacifique de l’occupation, Khalil n’a jamais été accusé d’aucun crime ni sanctionné de quelque manière que ce soit par l’université.
Après s’être vu signifier la « révocation » de son « visa étudiant » (inexistant) puis de sa carte verte, Mahmoud a été emmené dans le New Jersey et expédié dans un centre de détention isolé de Louisiane avant que les tribunaux n’aient pu intervenir. Un juge fédéral a ordonné le renvoi de l’affaire dans le New Jersey. À l’heure actuelle, il reste à voir si le régime Trump se conformera à cette décision judiciaire comme à d’autres.
Yunseo Chung, une étudiante de Columbia âgée de 21 ans, est une résidente permanente qui vit aux États-Unis depuis l’âge de 7 ans. Actuellement dans un lieu tenu secret, elle a intenté une action en justice pour empêcher son expulsion après que des agents de l’immigration ont perquisitionné et fouillé des résidences universitaires de Columbia sous prétexte que l’établissement ou ses résidences « hébergent et cachent des étrangers en situation irrégulière sur son campus ».
Ni « illégale » ni accusée de quoi que ce soit, en vertu de quelle hypothétique thèse juridique Mme Chung est-elle passible d’expulsion ? Supposément, sa participation à des manifestations pro-palestiniennes fait d’elle « un obstacle aux objectifs de la politique étrangère américaine » en vertu d’une loi de 1952 datant de l’ère McCarthy autorisant l’expulsion pour ces motifs.
Le Dr Rasha Alawieh, néphrologue, chirurgienne et professeure adjointe à la faculté de médecine de l’université Brown, de retour d’un voyage au Liban, a été détenue pendant trente-six heures puis placée sur un vol de retour, en violation d’une ordonnance d’urgence du tribunal interdisant son expulsion.
Les prétendus « motifs d’expulsion » : La présence du Dr Alawieh aux funérailles de Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah assassiné par Israël, en présence de dizaines de milliers de Libanais.e..
Ces cas sont loin d’être les seuls où les agents de Trump ont contourné une décision de justice, comme l’illustre l’expulsion collective de présumé.e.s « membres de gangs » vénézuéliens ou salvadoriens — sans preuve ni la moindre procédure légale — vers la prison mortelle « super-max » au Salvador.
Bien qu’il ait admis une « erreur administrative », le gouvernement affirme que les tribunaux n’ont « aucune compétence » pour ordonner le retour de Kilmar Armando Abrego Garcia, un père de famille bénéficiant d’un statut protégé aux États-Unis, qui a été arrêté le 12 mars à Baltimore après avoir terminé sa journée de travail en équipe à l’usine.
Ranjani Srinivasan, une étudiante indienne dont le doctorat en urbanisme est presque terminé, a été « désinscrite » de l’université Columbia après que des agents de l’immigration sont venus à son appartement et, n’ayant pas réussi à entrer pour procéder à son arrestation, ont déclaré que son visa était annulé et lui ont dit qu’elle avait 15 jours pour quitter le pays.
Elle demande maintenant l’asile au Canada, mais ne révèle pas où elle se trouve pour des raisons de sécurité. Elle a déclaré à CBC News qu’elle n’avait en fait pas participé aux manifestations sur le campus (elle aurait été aperçue dans la foule au printemps dernier, alors que l’accès à sa résidence universitaire avait été fermé).
Grant Miner, président du syndicat des étudiants de troisième cycle de Columbia et doctorant de cinquième année, a été licencié la veille du début des négociations sur le renouvellement de la convention collective et expulsé pour ses activités pro-palestiniennes.
Le comportement méprisable de Columbia, qui a réprimé et expulsé des étudiants l’année dernière, est désormais aggravé par sa lâche servilité face à une série de demandes draconiennes de la Maison Blanche et de Trump. Ces mesures comprennent le renforcement des pouvoirs de la police du campus, l’interdiction des masques et la mise sous tutelle externe de son très réputé centre d’études sur le Moyen-Orient, l’Afrique et l’Asie.
De forts soupçons pèsent sur les membres du conseil d’administration de l’université qui auraient balancé Khalil au gouvernement. Comme l’a écrit le professeur émérite et historien de renom Rashid Khalidi dans The Guardian (25 mars 2025) :
« Après la capitulation de vendredi, Columbia mérite à peine le nom d’université, puisque son enseignement et ses recherches sur le Moyen-Orient, et bientôt bien d’autres encore, seront bientôt contrôlés par un « vice-recteur principal pour la pédagogie inclusive », en réalité un vice-recteur principal pour la propagande israélienne.
« Les partisans d’Israël, furieux que les études sur la Palestine ait trouvé leur place à Columbia, l’ont surnommée « Bir Zeit sur l’Hudson ». Mais à supposer qu’elle mérite encore le nom d’université, elle devrait s’appeler Vichy sur l’Hudson. » [Bir Zeit est la principale université palestinienne de Cisjordanie. « Vichy » fait référence au régime fantoche français de la Seconde Guerre mondiale sous l’occupation nazie — ndlr.]
Badar Khan Suri est professeur à Georgetown et chercheur postdoctorant sur la religion et les processus de paix au Moyen-Orient et en Asie du Sud. Il se trouve légalement aux États-Unis grâce à une bourse de recherche et à un visa universitaire. De nationalité indienne, il vit avec sa femme, citoyenne américaine, et leurs trois enfants à Rosslyn, en Virginie. Lorsqu’il est rentré chez lui le 17 mars après un repas de rupture du jeûne du ramadan, des agents fédéraux masqués l’ont placé en détention sans qu’il ne soit accusé d’aucun acte criminel.
En un peu plus de 72 heures, il a été transféré dans plusieurs centres de détention pour immigrants, puis dans un centre de transit de l’ICE à Alexandria, en Louisiane. Les collègues du professeur Suri soupçonnent l’administration de viser en réalité son épouse palestinienne Mapheze Saleh, qui est citoyenne américaine et ne peut donc pas être arrêtée pour être expulsée.
Le 25 mars, des agents masqués du département de la Sécurité intérieure ont également appréhendé sur le trottoir Rumeysa Ozturk, une étudiante activiste de l’université Tufts, et l’ont fait monter de force dans une voiture banalisée. Comme Mahmoud Khalil, Rumeysa a été emmenée dans un centre de détention de l’ICE en Louisiane à l’insu de ses avocats et de sa famille.
L’invocation de la « sécurité des Juifs » et la nécessité de lutter contre un antisémitisme prétendument répandu et persistant (une exagération insensée, s’il en est) à Harvard, Columbia, etc., devraient également être considérées comme une version d’un stratagème classique de la droite.
Ce stratagème pervers vise à amener les cibles de ces attaques illégales et antidémocratiques à « en rendre les Juifs responsables ». Cela est fait pour détourner l’attention des objectifs de la droite (MAGA, sionistes chrétiens, etc.) qui cherchent à saper l’autorité des institutions universitaires libérales ; à détourner l’attention de l’antisémitisme qui existe réellement à droite et au sein même de l’administration Trump ; à empêcher que la vérité soit dite sur ce qui se passe à Gaza ; à mener une campagne visant à renforcer l’idéologie suprémaciste blanche dans l’éducation et ailleurs ; et bien plus encore.
Nous devons nous opposer aux esprits capitulateurs dans le monde universitaire et ailleurs qui accordent du crédit à ces mensonges, et ne pas permettre cette exploitation grossière de l’identité juive, et ce, tant dans l’intérêt des Palestiniens que pour l’avenir de tout le monde. Un exemple éloquent en a été donné le 2 avril par des étudiant·e·s juifs et juives de Columbia qui se sont enchaîné·e·s aux grilles du campus pour réclamer la libération de leur ami Mahmoud Khalil.
Contre-attaque face à la crise et à l’urgence
Ce qui se passe actuellement - du passage en force par décret à la terreur exercée sur les communautés d’immigré·e·s et les militant·e·s de la cause palestinienne, en passant par l’abolition du droit du sol - conduit à la destruction substantielle du gouvernement constitutionnel aux États-Unis, ne laissant qu’un papier peint décoratif pour dissimuler la pourriture.
À la lâcheté de nombreuses administrations universitaires s’ajoute celle de certains grands cabinets d’avocats qui capitulent devant Trump. À l’opposé, les organisations de défense des libertés civiles et les avocat·e·s des personnes menacées d’expulsion s’impliquent énergiquement dans les procédures judiciaires et tirent la sonnette d’alarme dans les médias. Mais les hauts dirigeants du Parti démocrate gardent un silence assourdissant sur la destruction de la Palestine.
Le discours-marathon du sénateur Cory Booker, du 31 mars au 1er avril, a mis en évidence de multiples exactions commises par Trump et Musk, mais n’a pas trouvé le temps de faire référence au massacre en Palestine. Ce nouveau héros des démocrates ne s’est pas non plus joint aux quinze sénateurs qui ont voté en faveur de la résolution de Bernie Sanders rejetant la nouvelle livraison massive d’armes américaines à Israël. Et si des dizaines de membres démocrates du Congrès ont signé une lettre contestant la détention de Mahmoud Khalil, le nom du dirigeant de la minorité Hakeem Jeffries brille par son absence.
Il est certain que la répression à laquelle nous assistons s’inscrit dans une crise beaucoup plus large. Elle englobe les attaques ouvertes des suprémacistes blancs contre les programmes de diversité, d’équité et d’inclusion ; l’effacement de l’histoire et de la lutte des Noirs dans les musées du Smithsonian, au Kennedy Center à Washington DC, sur le site web du ministère de la Défense et ailleurs.
Il est également possible que la frénésie tarifaire de Trump engendre un marasme économique aux États-Unis, en Amérique du Nord et dans le monde. Certains de ces problèmes sont abordés dans ce numéro d’Against the Current, notamment l’article de Kim Moody sur l’économie et l’incapacité des démocrates à réagir efficacement.
La riposte dépend de la base et commence par la défense de toutes les personnes prises pour cible par la frénésie répressive de Trump. Bien entendu, tout partisan des droits fondamentaux du Premier Amendement devrait exiger la libération immédiate de Mahmoud Khalil, quelle que soit leur opinion sur ce que doit être l’activité militante en faveur de la Palestine.
En même temps, l’agitation et l’engagement pour la liberté des Palestiniens et contre le génocide doivent se poursuivre, inspirés par l’exemple et le courage de Khalil.
Nous devons insister sur le fait que le sort du peuple palestinien, sacrifié en masse sur l’autel du cynisme politique, de l’impérialisme et du régime de peuplement colonial, n’est pas un cas isolé. Il est inextricablement lié aux luttes dans notre propre société et à notre avenir à tous.
Les éditeurs, Against the Current