« L’essentiel est que la nécessité de dépenser davantage pour la défense devrait être considérée non pas simplement comme un besoin, ni simplement comme un coût, même si ces deux aspects sont vrais. Si cela est fait correctement, c’est aussi une opportunité économique », écrivait récemment Martin Wolf dans le Financial Times. Avec une telle ambition, l’Union européenne avance dans son programme de réarmement, Rearm [1], trouvant soudainement 800 milliards d’euros, qu’elle avait tant de difficulté à trouver pour les pauvres de son continent (« crises de la dette », retraités) et pour les peuples qu’elle prétend soutenir, comme les Ukrainiens ou même les réfugiés sur son territoire.
Dans ce contexte, l’UE semble également sous pression, tant de la part des États-Unis que de la Russie, de manières légèrement différentes, la première se retirant principalement de son « bouclier défensif ». Cette dernière, particulièrement innovante non seulement dans les armements mais aussi dans leur utilisation, a procédé cette semaine à l’une de ses plus grandes mobilisations (augmentant les âges de recrutement et le nombre total de réservistes à 2,4 millions) [2] – irritant quelque peu son ami américain, Trump, qui a dit qu’il « ne joue pas » [3], mais a oublié d’imposer les droits de douane « supplémentaires » annoncés à la Russie [4]. Théoriquement, une économie de guerre peut offrir un réel élan, ajoutant aux deux secteurs de l’accumulation capitaliste un troisième (l’industrie militaire) qui ne nécessite pas nécessairement une validation par le marché.
Et en effet, les performances économiques de la Russie, contrairement à ce que les « sanctions » occidentales sont censées lui infliger, peuvent lui assurer « la poursuite de la guerre pendant de nombreuses années », comme nous l’explique Michael Roberts [5], même si les « faiblesses sous-jacentes en matière d’investissement, de productivité et de rentabilité du capital russe » se révéleront après la fin de la guerre – en Ukraine – et c’est peut-être pour cela qu’elle ne veut pas de nombreux « cessez-le-feu ». En bref, le problème avec la Russie est que son économie de guerre ne peut lui être bénéfique que tant qu’elle se traduit par une guerre réelle (bien que la même chose se produise avec le militarisme en général, selon le même auteur) [6].
Il n’est pas nécessaire de posséder des connaissances économiques particulières, cependant, pour comprendre que l’inverse est vrai pour les victimes, c’est-à-dire l’Ukraine (idem). Et, pire encore, la destruction économique de cette dernière constitue précisément une « opportunité pour de grands accords économiques » (à ses dépens, bien sûr), comme l’a expliqué avant-hier l’émissaire de Poutine, Kirill Dmitriev [7]. De ce point de vue, on comprend également pourquoi dans la revendication américaine du Groenland, Trump a trouvé son meilleur défenseur en Poutine, qui a expliqué que celle-ci est absolument « sérieuse » et a de « solides racines historiques » [8], comme d’ailleurs l’était sa propre revendication de « l’inexistence d’une nation ukrainienne », qui ne serait qu’une « erreur de Lénine » [9].
Cette renaissance du Lebensraum (espace vital) [10] constitue la principale contribution de la direction russe – Trump et l’UE suivent – même si cela a toujours été le rêve de tous les extrémistes de droite et même si, sous la forme de « sphères d’influence » « légitimes » ou même justifiables, cela a même érodé une supposée « Gauche ». Mais pour être mise en pratique, cette idée devait aussi être réalisée – par une guerre réelle. Et c’était précisément la résistance du peuple ukrainien à l’invasion qui a remis en question l’évidence des « sphères d’influence » et les « intérêts géopolitiques des grandes puissances » (Dionysi Vinokhradiv) [11].
Mais cela montre également à quel point cette contestation a besoin de la solidarité internationale pour vaincre leur logique même, précisément dans les programmes Rearm. Évidemment, à la puissance des armes, il faut également opposer des armes, mais pour ceux qui les détiennent (« grandes puissances »), ce qui compte n’est pas leur utilisation (pour vaincre l’invasion), mais leur valeur (la facturation des victimes, les conditions, les compte-gouttes, etc.), les flux vers d’autres « démocraties » (type Israël, Arabie Saoudite)...
Tasos Anastasiadis, Journaliste