Ces deux derniers jours, les Palestiniens·ne de la bande de Gaza sont descendu·es dans la rue pour exiger la fin de l’attaque génocidaire d’Israël et de la domination du Hamas sur le territoire. Commencées dans la ville de Beit Lahiya, au nord, les manifestations se sont rapidement étendues à d’autres parties de l’enclave, notamment Shuja’iyya, au nord, Nuseirat et Deir Al-Balah, au centre, et Khan Younis, au sud. Ces manifestations sont les plus importantes depuis le début de la guerre et constituent la plus grande manifestation publique de désaccord avec le Hamas à Gaza depuis des années.
Les manifestations ont été déclenchées par les nouveaux ordres israéliens d’évacuer Beit Lahiya et les zones environnantes, alors que l’armée étend sa dernière incursion terrestre. Les habitant·es sont sorti·es spontanément dans les rues mardi pour exprimer leur colère d’être à nouveau déplacé·es de force, ce qui reflète le désespoir croissant de la population après qu’Israël a rompu le fragile cessez-le-feu la semaine dernière.
Tout en tenant Israël pour responsable du massacre de plus de 50 000 personnes au cours de l’année et demie écoulée et de l’imposition à la bande de Gaza d’un blocus de longue date qui s’est encore intensifié pendant la guerre, les manifestant·es dirigent également leur colère contre le Hamas : elles et ils demandent au groupe de faire tout ce qui est en son pouvoir pour mettre fin aux bombardements avant de se retirer pour permettre l’organisation d’élections libres.
« J’ai participé aux manifestations dès qu’elles ont commencé », a déclaré Raed Tabash, 50 ans, de Khan Younis, à +972. « J’ai scandé et crié et j’ai exprimé ma rage intérieure. Nous vivons en état de siège depuis 20 ans. Il n’y a pas de travail et pas d’avenir pour nos jeunes. Nos enfants grandissent et nous ne savons pas ce qui les attend. Combien d’enfants ont été tués pendant cette guerre ? Sommes-nous en train de donner naissance à nos enfants pour que les missiles les tuent de la manière la plus horrible qui soit ?
« Je suis fatiguée d’être sans cesse déplacée », a poursuivi M. Tabash. « Je n’ai plus d’argent pour acheter de la nourriture pour mes enfants, et même si j’en avais, les marchés sont vides. Nous sommes devenu·es physiquement et psychologiquement malades. Nous voulons que la guerre cesse complètement et définitivement et que des élections soient organisées afin que nous puissions choisir un parti autre que le Hamas pour nous gouverner. Je ne cesserai de sortir et d’exiger la fin de nos souffrances jusqu’à ce que tout cela cesse et qu’il y ait un changement de gouvernement à Gaza ».
Malgré ses critiques à l’égard du Hamas, M. Tabash a toutefois souligné que son principal combat était celui contre l’occupation israélienne. « Si nous étions libérés des chaînes de l’occupant et de ses guerres répétées, nous et nos enfants vivrions en sécurité et en paix », a-t-elle déclaré. « L’occupation est responsable de nos souffrances ».
Ahmed Thabet, 29 ans, a participé aux manifestations de cette semaine à Beit Lahiya. « En tant que jeune homme, j’ai un avenir : Je veux travailler, me marier et fonder une famille », a-t-il déclaré à +972. « Un an et demi s’est écoulé depuis le début de la guerre et il n’y a eu aucun changement dans la réalité que l’occupation nous a imposée. Il n’y a qu’une routine quotidienne de tueries, de destructions et de pleurs sur nos proches. Si les missiles ne nous tuent pas, la famine le fera. Nous voulons changer cette réalité ».
« Le monde pense que toute la bande de Gaza appartient au Hamas, ce qui est faux », poursuit M. Thabet. « Le Hamas fait partie de Gaza ; certains d’entre nous sont d’accord avec lui, d’autres pas, c’est normal. Nous demandons des élections, pour changer qui nous gouverne. C’est notre droit en tant que peuple qui veut changer sa réalité et son avenir. La guerre doit cesser et le Hamas doit être remplacé ».
« N’oublions pas qu’en Cisjordanie, gouvernée par l’Autorité palestinienne, les Palestinien·nes sont victimes de déplacements, d’arrestations et de démolitions de maisons [par l’armée israélienne] », a-t-il poursuivi. « Cela signifie que l’occupation est dirigée contre le peuple palestinien, et non contre son affiliation politique. J’espère que les États-Unis nous soutiendront dans notre droit de vivre et cesseront de soutenir et de perpétuer la guerre. Nous aiderons les négociateurs à trouver une solution pour y mettre fin ».
Munir Baraka, un habitant de Deir Al-Balah âgé de 45 ans, s’est insurgé contre le soutien cynique apporté aux manifestations par les médias et les hommes politiques israéliens. « Nous nous moquons de ce qu’ils disent et du fait qu’ils nous encouragent à manifester. Nous sommes contre l’occupation et sa guerre. Nous appelons à un changement de gouvernement du Hamas, comme c’est notre droit, tout comme les Israélien·nes appellent au renversement du gouvernement de Netanyahou ».
« Le Hamas dirige la bande de Gaza depuis 2007 et il est temps que son rôle prenne fin », a-t-il poursuivi. « Nous ne voulons pas non plus de l’Autorité palestinienne, car nous voyons ce qu’elle a fait en Cisjordanie. Nous voulons un organe responsable qui se préoccupe de nos vies et de notre avenir. Aucune partie n’a le droit de nous forcer à vivre des guerres successives et continues ».
« Nous voulons que le monde considère les habitant·es de Gaza comme des êtres humains comme elles et eux – un peuple libre, pacifique et civil qui veut vivre », a poursuivi M. Baraka. « Aucun d’entre nous ne veut la mort. Quiconque nous qualifie de terroristes pour justifier l’occupation qui nous tue à l’aide de missiles lourds a tort. Nous soutenons toute négociation visant à mettre fin à la guerre et nous continuerons à manifester jusqu’à ce que nos demandes soient satisfaites ».
Il est clair que le bruit de nos estomacs vides vous a dérangé
Au-delà des manifestations dans les rues de Gaza, les Palestinien·nes se sont également rendu·es sur les médias sociaux pour défendre les manifestant·es contre les accusations selon lesquelles elles et ils étaient à la solde d’Israël ou de l’Autorité palestinienne.
« Celles et ceux qui ont pris part aux manifestations spontanées dans le nord de la bande de Gaza sont les mêmes qui ont souffert de la faim, survivant avec du fourrage et de l’herbe sauvage », a écrit Sami Abu Salem dans un message publié sur Facebook. « Ce sont elles et eux qui ont enduré et déjoué le plan de déplacement [d’Israël]. Ce sont elles et eux qui attendent toujours que leurs enfants soient retirés des décombres. Ce sont elles et eux dont les noms doivent figurer au tableau d’honneur. »
« Je pense que leur protestation était spontanée et qu’elle n’a rien à voir avec l’Autorité palestinienne ou qui que ce soit d’autre », a-t-il poursuivi. « Les accuser de trahison relève de l’impudeur et de la faillite morale et politique ».
D’autres se sont adressés directement à celles et ceux qui s’opposent aux manifestations. « Nous nous excusons pour cette surprise inattendue, car nous sommes des personnes de chair et de sang comme vous », a écrit Ahmed Mortaja sur Facebook. « Nous avons essayé de jeûner sans nous plaindre du manque de nourriture et de boisson pendant plus de 18 mois, mais il est clair que le bruit de nos estomacs vides vous a dérangés. Nous nous en excusons. »
Certains, comme Saleh Fayaz, ont exprimé leur colère et leur frustration à l’égard du Hamas, tout en reconnaissant que, dans les circonstances actuelles, c’est la seule chose qui empêche l’éradication totale de Gaza. « J’ai suffisamment de critiques à l’égard du Hamas pour écrire un livre de 500 pages ou plus », écrit-il. « Mais depuis le 7 octobre, le Hamas n’est pas la cible. Il n’a été que le prétexte ».
Si le Hamas avait été complètement anéanti, Israël aurait poursuivi sa guerre contre les Brigades des Moudjahidines et le Front populaire, transformant chaque fusil levé en « danger imminent », a-t-il poursuivi. « Israël ne veut pas le désarmement, mais plutôt l’anéantissement de l’existence. Si le Hamas rend ses armes sans garantie réelle d’un chemin vers la libération et la création d’un État, Israël transformera la bande de Gaza en une version plus sombre de Sabra et Chatila ».
M. Fayaz a également réagi aux messages publiés sur les réseaux sociaux par des influenceurs pro-israéliens exprimant leur soutien aux manifestations et exhortant les habitant·es de Gaza à les rejoindre. « Les appels à manifester lancés par des sionistes comme Edy Cohen sont probablement une tentative de détourner le mouvement et d’affaiblir les manifestant·es », a-t-il déclaré. « Celles et ceux qui auraient pu se joindre aux manifestations se retirent pour ne pas être perçu·es comme suivant les ordres d’Israël ».
« Je pense qu’Israël veut préserver l’image qu’il a projetée dans le monde, à savoir que tout Gaza est d’une seule couleur et mérite la mort parce que [sa population est supposée] soutenir le ‘terrorisme’ », a-t-il ajouté. « Ce qu’il ne veut pas montrer, c’est la véritable image qui se dessine, à savoir que Gaza est en fait multicolore. »
Ruwaida Amer