« Tous ceux qui errent ne sont pas perdus [1]. »
« Ne demande pas ton chemin à qui le connaît car tu ne pourrais pas t’égarer [Nachman Braslaw, rabbin ukrainien.]]. »

Observant le duo de ceux qu’il appelle les « deux crapules en chef unis dans le pillage du pays martyrisé [2] », le syndicaliste italien Piero Bernocchi écrit qu’il lui semblait que la nouvelle situation devrait « au moins mettre fin à la litanie des “pacifistes” qui réclament “la paix, la paix, la paix” en feignant d’ignorer ce que Poutine entend par paix ». Il poursuit en demandant aux pacifistes en question s’ils veulent que la « paix se fasse au prix de la capitulation totale de l’Ukraine, de sa […] et de sa soumission ». Avant de rédiger ces lignes quelque peu grinçantes, Piero les avait regardés brûler… des drapeaux européens, « plutôt que ceux des agresseurs russes et peut-être de leurs complices américains actuels ». Comme si, ajoute-t-il, « c’était l’Union européenne et l’Ukraine qui avaient déclenché la guerre ». La sérénité de Piero s’abîme ensuite dans la lecture de la convocation à cette action pacifiste qui ne comporte pas « une seule virgule contre Trump et l’obscène partage moitié-moitié de l’Ukraine avec Poutine. » Enfin, il reconnaît qu’il a pu penser, l’espace d’un instant, que la nouvelle alliance entre Trump et Poutine allait « enfin permettre de sortir du “dilemme” de savoir lequel des deux impérialismes était le pire […] et les placer, comme ils le méritent, sur le même plan ».
Rappelons-nous, hier, certains ne voulaient pas mourir pour Dantzig. Pour d’autres, mieux valait Hitler que le Front populaire. Le mélange des deux allait être explosif. Personne n’avait voulu non plus mourir pour Prague. C’est ainsi que Munich fut, un temps fugace, la capitale de l’Europe de la paix. De la paix hitlérienne. Il ne fallait d’ailleurs pas non plus livrer d’armes à l’Espagne parce que ça aurait pu provoquer une guerre mondiale.
Munich. Neville Chamberlain et Édouard Daladier y avait sacrifié la Tchécoslovaquie aux appétits nazis. Le chef de l’empire britannique n’avait pas hésité à déclarer que le Führer était « un homme sur qui l’on peut compter lorsqu’il a engagé sa parole ».
Aujourd’hui, dans certains cercles attachés à la paix, on se prend à espérer que le salopard de Washington, le seul le vrai, satisfera aux desiderata de son ami Poutine, en asphyxiant et en aveuglant la défense ukrainienne.
La paix vaut bien une messe
On ne manquera pas, en France, de convoquer les mânes de Jean Giono pour qui tout était bon « pour sauver la paix », par exemple un « arrangement équitable » ou un « nouveau statut européen aboutissant à la neutralisation de l’Ukraine [3] ». L’Ukraine ? Mais non, ballot, c’est de la Tchécoslovaquie dont il s’agissait… C’est encore ce brave homme du terroir bien de chez nous [4] qui se proposait de rencontrer Hitler « au milieu des champs » pour lui proposer de prendre « l’initiative d’un désarmement général, universel ».
Oui, je sais, mieux vaut le beurre que les canons. Qui pourrait prétendre le contraire ? Mais certains partisans du beurre devraient regarder ce qui se cache au bout du beurrier. Oui, camarades, il faut aller au bout ! Jusqu’au bout de la nuit, même. Nos canons, ai-je lu, sont faits pour défendre nos « nombreuses frontières dans le monde ». Oui vous avez bien lu, nos frontières sont aujourd’hui « sur l’Oyapock et le Maroni, dans l’océan Indien et dans les Caraïbes, dans l’Antarctique comme dans le Pacifique [5] … ».
Donc, nous avons bien compris. Les canons, ils n’ont rien contre mais pas pour assurer la survie de l’Ukraine indépendante envahie par l’impérialisme russe.
Passons notre chemin !
Nous ouvrons cette 37e livraison de Soutien à l’Ukraine résistante par trois voix. Les deux premières nous viennent de l’intérieur des puissances de l’Axe. La troisième nous vient du pays où, comme l’écrit Yana Bondareva, « la défense de notre pays fait partie de la lutte pour la justice sociale ».
L’Américain Peter Hudis nous rappelle que l’Ukraine reste « une pierre de touche de la politique mondiale » et que si les deux crapules « parviennent à réduire son combat pour l’autodétermination », il sera alors plus difficile de faire avancer les luttes pour la liberté ailleurs.
De leur côté, nos amis russes de la revue Posle insistent sur le sens de la rencontre entre « les représentants de puissances militaires » qui discutent « de la division du territoire d’un autre pays et de ses richesses naturelles ». Cet événement, écrivent-ils, « rappelle les événements les plus honteux et injustes du passé, tels que les partages de la Pologne à la fin du 18e siècle ou le pacte de Munich de 1938 ».
Ensuite, Viatcheslav Likhatchev, qui est ukrainien, invite les oublieux à prendre en compte une expérience historique partagée par les peuples d’Europe orientale : celle du knout russe et de l’oppression nationale.
Hinkel danse avec une mappemonde
(Le Dictateur, Charlie Chaplin)
Cette 37e livraison de Soutien à l’Ukraine résistante fait en partie résonner la géographie mondiale : Munich, Prague, Kyiv, Lisbonne, Bruxelles, Dantzig, Moscou, Paris, Budapest, New York, Londres, Varsovie, Panama, Pékin, Gaza, Madrid, Rome, Belgrade, Zimmerwald, Damas, Berlin, Hanoï, Kienthal, Toronto, Nuuk…
Les Brigades éditoriales ont la faiblesse de croire qu’elles dessinent, numéro après numéro, les contours d’une alliance internationale qui aurait aujourd’hui et demain l’Ukraine au cœur, comme d’autres, hier, avaient l’Espagne au cœur.
Ce sont en effet Denys et Ivanka, Taras et Katia, Iouri et Nina, Vitali et Svetlana, Vladyslav et Victoriia, Maksim et Sacha et les autres qui portent aussi l’avenir de nos propres combats. Dans les tranchées, aux commandes des drones, au volant des ambulances, devant leur ordinateur et leur établi, en lutte contre les oligarques et l’administration, dans les abris, à l’usine, au bureau et dans l’armée, ils et elles déclinent une pratique politique et sociale articulant, disons-le à nouveau, ce qu’on pourrait considérer comme des pièces essentielles d’un programme de l’émancipation du 21e siècle (avec d’autres, évidemment). De plus, tout en critiquant et combattant vigoureusement la politique sociale et économique de leur gouvernement, ils et elles le soutiennent en même temps contre l’envahisseur et le poutinisme.
Ils et elles savent que la dialectique peut casser des briques.
Patrick Silberstein