Des articles ont déferlé sur ce qu’il fallait faire, mais dans l’ensemble la diaspora se sent impuissante à changer la situation sur le terrain. Il aurait fallu que les Palestiniens de la diaspora comprennent qu’il leur faut évaluer clairement leur propre situation s’ils veulent avoir la moindre influence.
Les derniers événements ont éclairé de sombres agissements, à savoir la collaboration entre Mahmoud Abbas et ses partenaires comme Mohammed Dahlan d’une part, et Israël d’autre part ; le transfert d’armes par les Etats-Unis et d’autres pays à certaines milices palestiniennes et l’entrainement de ces milices dans le but d’annuler le résultat des élections de janvier 2006. Les Palestiniens voient à l’évidence qu’Abbas - qui embrasse les dirigeants israéliens tout en refusant de parler aux autres factions palestiniennes - a été l’auteur des accords d’Oslo qui ne mentionnaient même jamais le mot « occupation » et que maintenant Abbas discute d’un nouvel « accord de principes » ; celui-ci annulera le droit au retour, légitimera les colonies israéliennes et menacera d’autres droits fondamentaux. Bref, nous avons maintenant une clique de collaborateurs contrôlée par le Fatah , la « présidence » de l’Autorité palestinienne et une bonne partie de ce qui reste de l’OLP.
Par contre, dans la diaspora occidentale - Canada, Etats-Unis et Europe - les Palestiniens ont connu une espèce de renouveau. Les effectifs, les institutions et les activités ont augmenté et ce souvent par le fait de jeunes. Par exemple, les réseaux d’étudiants tels que Solidarité pour les droits humains palestiniens (SPHR) au Canada , le Comité palestinien de solidarité (PSC) aux Etats-Unis et Al-Awda sont composés majoritairement de jeunes de moins de 35 ans. Ces réseaux ont vu le jour après l’effondrement des institutions palestiniennes de la diaspora suite à la signature des Accords d’Oslo en 1993. A cette époque, les institutions de l’OLP ont été évincées par le leadership issu d’Oslo en faveur de la création de l’Autorité palestinienne (ressuscitée récemment pour entériner la collaboration d’Abbas avec Israël le mois dernier) ; en fait la diaspora est restée privée de droits.
Beaucoup de groupes palestiniens locaux établis de longue date, spécialement ceux qui ont des liens avec les factions dominantes, n’ont pas pu s’adapter aux nouvelles réalités. Ils n’ont pas fourni les services de base, l’assistance et la représentation que tout centre de communauté d’immigrants doit fournir à ceux qui en ressortissent. Ils ont aussi déçu la communauté sur le plan politique, n’ayant pas pris de positions publiques fermes pour contester les défauts d’Oslo, ni organisé d’action effective. Il s’est ensuivi une baisse du nombre d’adhérents dans nombre de centres communautaires : de milliers, le nombre de leurs membres est tombé à quelques douzaines.
En l’absence de structures de représentation alternatives et grâce à l’émergence d’Internet, des groupes comme SPHR et Al-Awda entre autres, ainsi que des médias indépendants comme The Electronic Intifada ont commencé à surgir dans toute l’Amérique du Nord autour de 1995 et au début des années 2000. Après l’éclatement de la deuxième Intifada, ils sont devenus les forces les plus visibles qui se font le mieux entendre ; ils contrecarrent la propagande israélienne et sioniste et donnent aux jeunes Palestiniens de la diaspora le moyen de se parler et de s’organiser. Ces groupes ont aussi fourni un précieux service à la communauté dans les domaines de sa mise en valeur et de l’auto éducation.
Les institutions sionistes ont reconnu avec réticence que ces projets réussissaient à contester le monopole qu’elles avaient occupé dans la présentation des faits auprès des médias occidentaux ; il leur était à présent plus difficile de diffuser la propagande israélienne sans essuyer une réaction d’un nombre croissant de personnes convaincantes.
Bien entendu, ces succès ne sont pas allés sans épreuves. Après 2001, il y eut une période sombre : des groupes pro israéliens se lancèrent de tout leur poids contre les partisans les plus visibles des droits des Palestiniens. Au Canada, des étudiants militants ont été frappés d’expulsion et de poursuites criminelles ; aux Etats-Unis des campagnes intensives de diffamation et d’intimidation ont visé des professeurs au parler jugé trop franc. Simultanément, les autorités états-uniennes ont essayé de faire passer un message en intentant des poursuites à motivation politique contre des personnes comme le Professeur Sami al-Arian. Malgré de telles manœuvres, l’ensemble de la communauté ne s’est pas laissé effrayer.
Une lutte qui a moins retenu l’attention est celle qui s’est déroulée au sein de la communauté. Ses prétendus dirigeants et associations de la vieille garde ont largement évité de soutenir publiquement nombre de ceux qui se trouvaient à l’avant-garde de la lutte, et se sont même employés clandestinement à saper leur action. Dans certains cas, ce sabotage prenait la forme d’avertissements innocents lancés par des parents effrayés à leurs enfants : « N’adhérez pas à SPHR ! » disaient-ils. Dans d’autres cas, on essayait d’organiser des groupes de « dialogue » dans lesquels on présentait l’Arabe « civilisé » comme une alternative. Par exemple, juste après le « soulèvement du Concordia » en 2002 où on refusa à Benjamin Netanyahu le droit de prononcer son discours de haine, l’administration du Concordia organisa une table ronde avec quelques sionistes et des Arabes. Un de ces Arabes de service a dit : « Nous sommes capables d’être civilisés, regardez, nous pouvons accepter nos désaccords ! ».
Pourtant, de tels obstacles n’ont jamais été qu’un dérangement mineur pour le mouvement palestinien en Occident jusqu’à ce qu’il commence vraiment à décoller. Les groupes paratonnerre visés par les organisations sionistes ont survécu. Cela ne n’a fait qu’encourager plus de personnes à s’engager et les a enhardies. Parallèlement à toutes les remarquables réalisations du mouvement au sein des syndicats et du mouvement contre la guerre, les Palestiniens ont gagné un espace de manœuvre sans précédent. C’est toutefois là que les problèmes ont commencé. Brusquement, tous ces individus « libéraux » et « civilisés » ont compris qu’ils restaient en rade. N’ayant pas réussi à arrêter le mouvement, certains ont désespérément essayé de recouvrer leur légitimité pour pouvoir prendre le contrôle de ce nouvel espace.
Aux Etats-Unis et au Canada, des appels ont été lancés pour la tenue de réunions au niveau national en vue d’élaborer des organisations faîtières qui s’exprimeraient au nom de tous les Palestiniens vivant dans ces pays. Mais pourquoi maintenant ? Et qui est impliqué ? Avant de répondre à ces questions, il convient de signaler deux choses. D’abord, les organisations de premier rang comme SPHR et Al-Awda sont qualifiés de « groupes de solidarité » bien qu’ils aient été fondés et dirigés par des Palestiniens et que leurs membres soient en majorité des Palestiniens. Deuxièmement, ces groupes ne sont aucunement affiliés à de quelconques camps ou factions du « pays », leurs membres, jeunes pour la plupart, n’ayant jamais appartenu à ces factions.
Ceci est pertinent car certains acteurs ont insisté pour que ces organisations naissantes soient articulées autour de ces vieilles factions en grande partie dépassées. D’autres insistent pour que seuls les Palestiniens soient autorisés à participer, recommandation qui a ouvert le débat sur « Qui est Palestinien ? ». C’est exprès que l’on exagère l’importance de ces questions pour arriver à exclure les groupes de solidarité et donner plus de voix aux « groupes communautaires » en échec. En insistant constamment sur la proportion de sang palestinien (« Seule ta mère est Palestinienne ») on veut faire psychologiquement pression sur les jeunes étudiants pour qu’ils se sentent mal à l’aise dans les réunions.
Pourquoi tout cela se passe-t-il maintenant ? Le jour où Abbas signera sur les pointillés - et renoncera aux droits des Palestiniens - il aura besoin d’un leadership dans la diaspora entérinant ses décisions. Au Canada, presque tous les partisans de la cause et les groupes communautaires palestiniens ont participé à ces efforts, mais notre « élite » fatiguée, éprouvée et défaite essaie de toutes ses forces de reprendre le gouvernail - si pas par des moyens démocratiques, par tous les moyens nécessaires. Depuis le début de ces discussions l’année dernière, certains individus inébranlables ont été physiquement menacés, voire menacés de mort. Et les choses pourraient devenir plus graves qu’elles ne le sont.
Ces deux dernières années, les Palestiniens ont réussi à former en Europe un groupe faîtier qui a contesté la ligne d’Abbas et qui a essayé de contester l’interdiction frappant le gouvernement élu du Hamas. Ce n’est sans doute pas par hasard que la vieille « élite » du Canada reçoit l’appui d’Abbas et de son entourage. Depuis l’année dernière, il y a eu une vague de visites du Fatah au Canada et aux Etats-Unis dans le but principal de rencontrer des alliés prospectifs afin de les préparer à occuper des sièges dans une OLP réanimée (mais sous le contrôle d’Abbas). Récemment, à la suite des événements de Gaza, le Fatah a envoyé de hauts représentants pour mobiliser le soutien des Palestiniens du Canada, à la fin de l’année dernière et au cours de l’été de cette année. Le Fatah a promis une récompense à ses alliés potentiels.
Les Palestiniens de la diaspora doivent tirer les leçons de Gaza et du Liban. Bien qu’ils souhaitent tous l’unité, celle-ci est impossible avec ceux qui collaborent activement au programme israélien et qui cherchent à saper le mouvement palestinien de libération. Nous ne pouvons pas permettre que ceux qui ont détourné les institutions palestiniennes en Palestine afin de servir Israël fassent la même chose dans la diaspora.
Beaucoup ont prétendu que nous devons relancer et démocratiser l’OLP, mais la question est de savoir comment. Il est évident que ceux qui contrôlent toujours les structures de l’OLP ne permettront jamais sciemment cette démocratisation. Il faut une pression de la base pour y arriver. Si l’OLP n’est pas réceptif à la démocratisation, nous devrions convoquer des conférences nationales et internationales afin de créer une nouvelle organisation démocratique représentant tous les secteurs de notre société. Le défi sera immense, mais il nous faut l’affronter pour montrer clairement qu’il n’y a pas de mandat ni de possibilité pour Abbas, ou n’importe quel autre collaborateur potentiel, de renoncer officiellement aux droits des Palestiniens. A en juger par le programme de la « conférence de paix » dégagé par les Etats-Unis pour novembre, c’est maintenant ou jamais que nous devons agir.