Depuis des décennies, les peuples autochtones non musulmans du Mindanao – tels que les Teduray, les Lambangian et les Dulangan Manobo – luttent pour leurs droits fonciers, leur représentation politique et la préservation de leur culture. Ils mènent cette bataille aux côtés des Moros musulmans, qui constituent la majorité dans la région autonome, mais leurs revendications restent distinctes. Alors que les dirigeants de la BARMM célèbrent l’adoption de la BIPA, les militants autochtones et les organisations de défense des droits humains posent des questions cruciales :
« Les lois comme celle-ci sont belles sur le papier, mais sans réelle application, ce ne sont que des mots en plus. » — Timuay Alan Olubalang, Teduray Justice and Governance, lors d’une consultation sur la BIPA.
Une longue lutte pour la reconnaissance
Les communautés autochtones du Mindanao se battent depuis longtemps pour la reconnaissance de leurs territoires ancestraux et leur autonomie. Malgré des cadres législatifs comme la loi sur les droits des peuples autochtones (IPRA) de 1997 et des engagements internationaux tels que la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (UNDRIP), elles continuent de faire face à l’expropriation de leurs terres, à la marginalisation et à la violence.
« Tout le monde sait que malgré l’adoption de lois majeures comme l’IPRA et la loi organique Bangsamoro (BOL), les peuples autochtones non moros dans la région restent victimes de violences et d’intimidations. » — Déclaration de la coalition autochtone Alyansa ng mga Mamamayan para sa Karapatang Pantao (AMKP), 18 mars 2024.
La transition de l’ancienne Région autonome en Mindanao musulman (ARMM) vers la BARMM devait corriger ces injustices. Cependant, de nombreux dirigeants autochtones estiment que la gouvernance reste dominée par le Front de libération islamique Moro (MILF) et que les peuples autochtones non moros (NMIP) sont souvent relégués au second plan.
Dès 2019, le parti régional anticapitaliste Rebolusyonaryong Partido ng Manggagawa – Mindanao (RPM-M) mettait en garde contre l’instrumentalisation de la BOL par les élites politiques :« Les politiciens traditionnels font campagne en faveur de la BOL et de l’extension de ses territoires si cela leur permet de conserver ou de perpétuer leur emprise sur le pouvoir. »
Cette histoire de gouvernance menée par les élites – au Mindanao comme dans tout le pays – alimente les doutes sur la capacité de la BIPA à réellement autonomiser les peuples autochtones ou si elle servira plutôt d’outil politique pour calmer les critiques. On n’oublie pas non plus que la Commission nationale des peuples autochtones du pays a souvent facilité les opérations de contre-insurrection sur les territoires autochtones.
L’adoption de la loi sur les droits des peuples autochtones : victoire partielle ou théâtre politique ?
La nouvelle loi a été adoptée à l’unanimité par l’Autorité de transition du Bangsamoro (BTA) le 10 décembre 2024, à l’occasion de la Journée internationale des droits de l’homme. Le ministre en chef du Bangsamoro, Ahod Ebrahim, a déclaré : « Cette loi est une fierté culturelle et un témoignage de la lutte de plusieurs décennies pour la reconnaissance et l’autonomisation. »
Elle introduit plusieurs mécanismes importants :
• Reconnaissance des territoires ancestraux – La loi affirme explicitement la propriété des NMIP sur leurs terres ancestrales, appelées Fusaka Inged, incluant forêts, rivières et ressources naturelles.
• Fusaka Ingëd Development Office (FIDO) – Un nouvel organisme sous la tutelle du ministère des Affaires autochtones (MIPA), chargé de promouvoir le développement socio-économique dans les territoires autochtones.
• Conseil des peuples autochtones – Un organe consultatif visant à garantir que les voix des autochtones soient entendues dans l’élaboration des politiques.
« Cette victoire est celle de nous tous : Moros, peuples autochtones et colons. C’est un pas vers la justice et l’unité. » a déclaré Ramon Piang, dirigeant Teduray et membre de la BTA, lors de la signature de la BIPA.
Ces dispositions semblent prometteuses en surface, mais les précédents de lois non appliquées rendent les militants méfiants. En 2019, les droits autochtones figuraient parmi les sept piliers de la transition vers l’autorité régionale Moro, mais les demandes de délimitation des territoires ancestraux ont été bloquées par des intérêts politiques.
« Sur la question du domaine ancestral, par exemple, la position du Front de libération islamique Moro (MILF) est qu’il n’existe qu’un seul domaine ancestral unifié », explique Benedicto Bacani, directeur exécutif de l’Institut pour l’autonomie et la gouvernance (IAG). La reconnaissance, par la nouvelle législation, que le « droit au domaine ancestral » est accordé aux peuples autochtones reflète une concession autant au gouvernement de Manille qu’aux peuples autochtones non moros de Mindanao.
Maria Sargan, dirigeante Lambangian, met en garde : « Nous avons vu de nombreuses lois être adoptées, mais ce dont nous avons besoin, c’est d’application. Nous avons subi des accaparements de terres, des déplacements forcés et l’assassinat de nos dirigeants. Cette loi va-t-elle mettre fin à cela ? » (interview avec MindaNews, 10 février 2025).
Au moins 86 dirigeants autochtones ont été assassinés dans la BARMM depuis le début du processus de paix. Les communautés autochtones non armées font face à la violence des milices Moro ainsi que des propriétaires terriens locaux et des investisseurs.
Le processus de paix en cours a également conduit des milliers de rebelles Moro et leurs familles à s’installer sur des terres autochtones, incapables et souvent peu disposés à se déplacer.
Certaines organisations autochtones s’interrogent sur l’inclusion réelle des NMIP dans l’unité proclamée du Bangsamoro :« L’identité distincte des peuples autochtones est-elle absorbée dans l’identité du Bangsamoro ? » — Lettre ouverte de l’Alliance philippine des défenseurs des droits de l’homme (PAHRA), février 2025. L’accent mis par la direction moro sur le « développement » risque d’occulter les revendications autochtones en faveur d’une autonomie globale et significative.
Les priorités pour une mise en œuvre réelle
Les militants autochtones sont clairs sur ce qui doit être fait pour que cette nouvelle loi ait un véritable impact :
• Garantir la sécurité foncière – La délimitation des territoires ancestraux doit être une priorité et ne pas être retardée par des manœuvres politiques.
• Renforcer la gouvernance autochtone – Le FIDO doit être dirigé par des leaders autochtones et ne pas être récupéré par des intérêts gouvernementaux.
• Appliquer le consentement libre, préalable et éclairé (FPIC) – Les projets de développement ne doivent pas être imposés sur les terres autochtones sans une véritable consultation.
• Mettre fin aux manipulations politiques – Les structures de gouvernance autochtones doivent rester indépendantes des factions politiques dominantes de la BARMM.
L’adoption de la BIPA est un moment historique, mais son impact dépendra de la volonté politique et de l’application sur le terrain. Ses dispositions se traduiront-elles par un réel pouvoir pour les peuples autochtones, ou s’agira-t-il d’une nouvelle promesse non tenue dans une longue histoire d’engagements trahis ?
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Adam Novak