MercrediMercredi 12 mars, le Parlement européen a adopté une résolution visant à réaffirmer et à renforcer le soutien de l’Union européenne (UE) à l’Ukraine, après trois ans de guerre et alors que les circonvolutions de Donald Trump rendent la situation incertaine à l’est du continent.
Les nombreuses heures de séance plénière consacrées au plan « Réarmer l’Europe » annoncé par la Commission européenne – des dérogations aux critères de dettes et de déficit pour les investissements de défense et des prêts – ont permis à la majorité des eurodéputé·es de tresser des couronnes à ce plan de défense européenne, tout en regrettant qu’il fasse « trop peu, trop tard ».
La présentation du « livre blanc » sur l’avenir de la défense européenne, programme du nouveau commissaire européen Andrius Kubilius, et les discussions sur la nécessité d’intensifier l’aide à l’Ukraine ont tout de même fait émerger des lignes de fractures sous l’apparent consensus de la nécessité d’une Europe plus forte militairement face au désengagement des États-Unis.
« Ensemble, nous avons la taille nécessaire, le pouvoir économique et désormais la volonté politique de dissuader n’importe quel ennemi », a tonné la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, en introduction, insistant sur le fait que le sommet du 6 mars n’était « qu’un point de départ » : « Le temps des illusions est terminé. Nous avons besoin d’une augmentation de la défense européenne, et nous en avons besoin maintenant. »
Dans son sillage, et après avoir fustigé l’attitude de Donald Trump vis-à-vis de Volodymyr Zelensky – « un scandale » –, le patron du groupe Parti populaire européen (PPE, droite) s’est pris à rêver d’une « véritable défense européenne » avec des projets communs pour sortir de la dépendance états-unienne. « Nous avons besoin d’une brigade de cyberdéfense, d’un système de surveillance satellite..., a énuméré le conservateur allemand Manfred Weber. J’aimerais voir des troupes avec un drapeau européen sur les uniformes. »
Les extrêmes droites déchirées
Les prises de parole se sont succédé pour souligner la double nécessité d’une défense commune et du soutien à l’Ukraine – « les deux faces d’une même pièce » pour la socialiste Iratxe Garcia Pérez – et s’inquiéter de l’attitude de Donald Trump. « La Maison-Blanche n’est plus notre alliée », a cinglé l’eurodéputée macroniste Valérie Hayer, pointant les attaques « de notre modèle démocratique » venant des États-Unis et de la Russie. « La Russie nous menace directement et les USA nous abandonnent lâchement », a complété le socialiste Raphaël Glucksmann, qui a appelé à « aller plus loin » que les annonces d’Ursula von der Leyen.
Le groupe La Gauche, dans lequel siègent les élu·es de La France insoumise (LFI), a été le seul à gauche à dénoncer « une folie belliciste » qui risque de mener à davantage d’austérité sur le continent, mais aussi le seul à regretter que les 800 milliards du plan pour réarmer l’Europe ne soient pas affectés à la défense des services publics ou à l’augmentation des salaires. « L’Otan est aux oubliettes de l’histoire, a déclaré l’eurodéputé allemand Martin Schirdewan. Il faut une autre architecture où la diplomatie primera toujours sur les solutions militaires. »
Les extrêmes droites européennes, elles, ont affiché tout au long de la plénière leurs ambiguïtés et leurs différends. Tandis que Jordan Bardella insistait sur la nécessité de garantir la sécurité de l’Ukraine « afin qu’elle ne subisse plus jamais les assauts de l’agresseur russe », et martelait en conférence de presse que « la Russie ne peut obtenir par la paix ce qu’elle n’a pas obtenu par la guerre », son alliée au sein du groupe Patriotes pour l’Europe (PfE), la Hongroise Kinga Gál, indiquait : « Renforcer la défense européenne ne doit pas être lié à une augmentation de l’aide à l’Ukraine. »
La Hongrie de Viktor Orbán est le seul pays qui a refusé de signer une partie des conclusions du sommet européen du 6 mars, portant justement sur le soutien à l’Ukraine. Au sein du groupe PfE, les accointances de plusieurs partis avec la Russie de Vladimir Poutine et la fascination quasi généralisée pour Donald Trump ont provoqué une certaine cacophonie dans les rangs de l’extrême droite européenne.
Vous avez vu l’état de Paris, la circulation... Les chars ne sont pas près de rentrer dans Paris. -Jordan Bardella
« Trump va créer la paix, point », a tonné le Hongrois Tamás Deutsch, bientôt rejoint par les membres du groupe Conservateurs et réformistes européens (ECR) de la très atlantiste Giorgia Meloni, dont le représentant à Strasbourg a répété que « la défense européenne ne peut se détacher de l’Otan et des USA ». Une vision éloignée de celle que revendique le Rassemblement national (RN), dont le représentant Pierre-Romain Thionnet a plaidé pour une indépendance et un non-alignement européen : « Nous ne voulons ni d’une Europe russe, ni d’une Europe barbarisée par l’islamisme, mais pas non plus d’une Europe américaine. »
Les débats ont également illustré deux visions de la Russie de Vladimir Poutine. « Nous devons nous préparer à une guerre contre la Russie à très courte échéance », a prévenu l’eurodéputée PPE lituanienne Rasa Juknevičienė, rejointe par les représentants des groupes des socialistes et des libéraux, qui ont martelé la menace « directe » que représente la Russie pour les intérêts européens.
À l’inverse, les représentants des groupes d’extrême droite ont rivalisé d’euphémisation, sur la réalité de la menace russe. « Les chars russes ne sont pas à Varsovie ni à Budapest, Paris ne brûle pas. Ce qui brûle en France, ce sont les églises chrétiennes, voilà la vraie urgence », a déclaré l’eurodéputé italien Roberto Vannacci, allié du RN. « Vous présentez la Russie comme étant un ennemi. Pourquoi la Russie voudrait nous envahir, nous n’avons rien à part des dettes ! », a ironisé son collègue allemand Petr Bystron, membre de l’Alternative pour l’Allemagne (AfD), visé par une enquête qui le soupçonne d’avoir été payé par la Russie.
L’élément de langage s’est aussi retrouvé dans les discours d’autres élus, du Belge Marc Botenga, membre du groupe La Gauche – « La Russie n’arrive pas à conquérir l’Ukraine. Avant qu’ils arrivent sur la Grand-Place de Bruxelles, il y a de la marge » –, à l’Allemand Fabio De Masi (Alliance Sahra Wagenknecht) – « La Russie se casse les dents en Ukraine, ils ne vont pas arriver porte de Brandebourg ».
Le RN s’abstient, ses alliés votent contre
Jordan Bardella lui-même affiche une position mouvante sur la question. Interrogé par les journalistes, il a d’abord choisi d’ironiser sur la menace : « Vous avez vu l’état de Paris, la circulation... Les chars ne sont pas près de rentrer dans Paris. » Une position qui rejoint celle que Marine Le Pen avait tenue dans Le Figaro en affirmant : « Si, au bout de trois ans, la Russie a du mal à avancer en Ukraine, il y a peu de chances pour qu’elle ambitionne de venir jusqu’à Paris. »
Quelques minutes seulement après sa formule ironique, Jordan Bardella a toutefois reconnu qu’il ne savait pas jusqu’où était prêt à aller le président russe dans sa menace envers l’Europe : « Il a violé à plusieurs reprises des cessez-le-feu et des accords qui avaient été préalablement signés par la Russie. Que va-t-il faire demain et après-demain ? Je n’en ai pas la moindre idée », a affirmé celui qui avait qualifié en début de semaine la Russie de « menace multidimensionnelle pour la France et pour les intérêts européens ».
Sans surprise, le Parlement a fini par adopter à une large majorité la résolution réaffirmant le soutien à l’Ukraine, après y avoir ajouté un paragraphe se satisfaisant de l’annonce d’un accord entre l’Ukraine et les États-Unis. Signé par cinq groupes politiques, ce texte n’a pas recueilli les voix des groupes de LFI ou du RN, qui ont préféré s’abstenir ou voter contre, pour protester contre plusieurs points.
Face aux journalistes la veille, Jordan Bardella avait justifié son abstention par son opposition à « la volonté d’accélérer encore et davantage les livraisons d’armes à l’Ukraine », son refus de soutenir le processus d’entrée de l’Ukraine dans l’UE ou l’Otan, ou la possibilité d’utiliser les avoirs russes gelés pour soutenir l’Ukraine.
Dans le détail, le groupe des Patriotes pour l’Europe s’est partagé entre abstention et vote contre : les Français du RN, premier contingent en nombre d’eurodéputé·es, se sont abstenus, tandis que leurs alliés italiens, hongrois ou autrichiens, qui assument leur bienveillance à l’égard de la Russie et leur admiration envers Trump, ont voté contre.
Le groupe ECR de Giorgia Meloni s’est lui aussi divisé, alors qu’une partie de ses membres avait cosigné le texte de la résolution : les Italiens se sont abstenus tandis que les Polonais et les représentants des pays baltes, qui côtoient de près les volontés expansionnistes russes, ont soutenu la résolution.
Youmni Kezzouf
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