Après avoir reçu des victimes de Notre-Dame-de-Bétharram dans sa mairie de Pau (Pyrénées-Atlantiques), samedi 15 février, François Bayrou s’est dit « bouleversé », réitérant qu’il ignorait tout des violences, physiques comme sexuelles, subies par les élèves de l’établissement catholique. Les maltraitances y étaient pourtant si courantes qu’elles ont donné lieu à plusieurs procédures judiciaires.
On connaissait celle lancée par Jérôme*, un parent d’élève ayant remué ciel et terre pour obtenir la condamnation, en 1996, du surveillant général du pensionnat qui avait frappé et humilié son fils Marc, malgré l’intense campagne menée par les notables de la région pour défendre l’institution. L’enfant a définitivement perdu l’audition d’une oreille.
On découvre désormais que l’école Notre-Dame-de-Bétharram avait déjà été condamnée par la justice en 1993, à une époque où François Bayrou était déjà ministre de l’éducation nationale et président du conseil général, à indemniser un élève qui avait, lui aussi, reçu des coups sur la tête de la part d’un surveillant. L’adolescent en question, Jean-Baptiste*, alors âgé 13 ans, a eu le tympan perforé.
Un panneau à l’entrée de l’institution Notre-Dame de Bétharram en février 2024 et Francois Bayrou, ministre de l’éducation nationale en 1993. © Photomontage Mediapart avec Quentin Top / Hans Lucas via AFP et Albert Facelly / Sipa
Les faits se sont déroulés le 24 juin 1993, autour de 20 h 50, dans le dortoir du collège, et les blessures ont été constatées le lendemain par un ORL de Pau, qui a conclu à une incapacité totale de travail (ITT) de huit jours en raison d’une « perforation postéro-inférieure tympanique », d’après les documents consultés par Mediapart.
Un mois plus tard, un second médecin constatait que la cicatrisation de la plaie n’était toujours pas effective, et Jean-Baptiste devait continuer d’être soigné. Dans ce contexte, le tribunal de grande instance de Pau condamne, le 2 décembre 1993, Notre-Dame-de-Bétharram à verser une provision de 10 000 francs (environ 2 500 euros) au père de la victime pour les blessures occasionnées, dans l’attente d’expertises complémentaires pour une évaluation précise du préjudice.
C’est à ce moment-là que l’État est officiellement alerté de l’affaire : l’établissement catholique saisit directement le préfet des Pyrénées-Atlantiques, Jean-François Denis, pour que l’État participe à l’indemnisation. Cette demande pour le moins audacieuse est formulée par le directeur de l’établissement, le père Carricart (lequel sera ensuite directement mis en cause pour des viols), qui développe le raisonnement suivant : le collège étant lié à l’État par un contrat d’association, la responsabilité de l’État peut se substituer à celle des personnels de Notre-Dame-de-Bétharram.
Sollicité par Mediapart pour savoir ce qu’il est advenu de cette saisine, la préfecture des Pyrénées-Atlantiques ne nous a pas répondu à l’heure du bouclage de cet article.
Bayrou, président du département
Quoi qu’il en soit, cette sollicitation prouve qu’en 1993, alors que François Bayrou est ministre de l’éducation nationale depuis déjà neuf mois et préside le conseil général, l’État est informé des violences dans l’établissement où travaille aussi l’épouse de l’élu le plus puissant du Béarn. Pourtant rien ne se passe, ni au niveau du rectorat ni au niveau des services de protection de l’enfance (sous la responsabilité du président du conseil général).
Il faut attendre 1996 pour que, à la faveur d’une nouvelle affaire de violences, les services réagissent à la médiatisation de l’affaire. Comme Mediapart l’a raconté sur la base des archives de l’époque, l’inspecteur d’académie des Pyrénées-Atlantiques de l’époque, Pierre Polivka (engagé à l’UDF, le parti de François Bayrou), annonce publiquement en avril 1996 qu’un contrôle va être réalisé, tout en expliquant d’emblée que son rôle est de « veill[er] sur la qualité de l’enseignement pédagogique » et « s’arrête là ».
Dans un communiqué, le parquet de Pau précise mercredi 19 février avoir placé en garde à vue trois personnes nées en 1931, 1955 et 1965 pour « viols aggravés, agressions sexuelles aggravées et/ou violences aggravées susceptibles d’avoir été commis entre 1957 et 2004 au sein de l’établissement Notre-Dame de Bétharram ».
En février 2024, le procureur Rodolphe Jarry avait ouvert une enquête préliminaire après 112 plaintes relatives à des violences, allant des années 1960 à 2011. « Il convient, à toutes fins utiles, de préciser que le calendrier de ces interpellations a été arrêté dès le 31 janvier 2025, date à laquelle le dossier d’enquête a été remis, par les militaires de la section de recherches au parquet de Pau aux fins d’analyse juridique », précise le magistrat.
L’inspecteur mandaté pour cette mission rend un pseudo-rapport de trois pages en se rendant une demi-journée sur place – il a d’ailleurs reconnu trente ans plus tard, le mercredi 19 février 2025, que ce travail n’était ni fait ni à faire. « J’ai fait un rapport qui ne tient pas la route actuellement », a-t-il admis auprès de la cellule investigation de Radio France. Le document ne mentionne même pas l’affaire de 1993, survenue trois ans plus tôt.
Mais ce rapport indigent permet à François Bayrou de se rendre à Notre-Dame-de-Bétharram, le 4 mai 1996, pour défendre l’établissement. « Nombreux sont les Béarnais qui ont ressenti ces attaques [les dénonciations des violences – ndlr] avec un sentiment douloureux et un sentiment d’injustice », explique l’élu, tout en soutenant aujourd’hui qu’il n’était au courant de rien.
François Bayrou ajoute aussi en mai 1996, alors que le surveillant général doit être jugé un mois plus tard, que « toutes les informations que le ministre pouvait demander, il les a demandées »,et que « toutes les vérifications ont été favorables et positives ». Comme si l’État n’avait pas été informé des violences commises sur Jean-Baptiste.
Mais ce n’est pas tout : d’autres archives de presse retrouvées par Mediapart montrent que le ministre-président du département-parent d’élèves ne pouvait ignorer d’autres cas évoqués publiquement, y compris au niveau national.
Au moins quatre élèves au tympan perforé
La presse écrite mais aussi les télévisions et les radios nationales documentaient alors ces violences « fréquentes » et des « traitements inhumains » nombreux sur les élèves de Bétharram.
Extrait d’un article de « La Dépêche du Midi » en 1996. © Mediapart
Elle dénombrait alors au moins quatre élèves ayant eu le tympan perforé. En plus de Marc et de Jean-Baptiste, Patrice avait perdu 40 % de son audition selon La Dépêche du Midi. Un autre élève, mentionné par La République des Pyrénées, a lui « perdu 80 % de sa capacité auditive » après avoir été frappé par un surveillant. « Le 29 mars dernier, un enfant aurait été violemment battu puis enfermé dans un placard par un surveillant », pouvait-on lire. Toujours dans La Dépêche, on découvrait aussi le pedigree d’un surveillant « connu pour ses idées fascisantes » et ses « tatouages de symboles du Reich ».
Personne, donc, ne pouvait ignorer cette affaire « d’ampleur nationale » qui a provoqué « un déchaînement médiatique ». Ni le rectorat ni le ministère de l’éducation nationale.
D’ailleurs, Bétharram « bénéficiait de comités de soutien créés aux quatre coins du Sud-Ouest ».On comptait alors à la tête du mouvement Serge Legrand, l’avocat de l’institution et proche d’un certain François Bayrou. Ou même son suppléant à l’Assemblée nationale, Pierre Laguilhon, devenu député lorsque François Bayrou a été promu ministre. Trente ans plus tard, pourtant, l’actuel premier ministre a juré à six reprises tout ignorer.
David Perrotin et Antton Rouget