Mise en garde
Cet article fait état d’actes de torture et de graves violences.
Pendu au téléphone, à l’arrière d’un break Opel filant dans les environs d’Atmeh, en Syrie, ce 13 mars 2013, l’Italien Federico Motka a bien repéré les deux voitures noires aux vitres teintées qui les suivent, lui et son collègue anglais David Haines. Il fait signe au chauffeur d’accélérer sur le chemin de traverse, pour rentrer plus vite au bureau d’Acted, leur ONG française.
L’Italien et l’Anglais sont venus en mission dans cette bourgade de 2 000 habitants qui, en un rien de temps, a grossi de 20 000 âmes, avec ses camps de réfugiés tout autour et ses pelotons de soldats de l’Armée syrienne libre (ASL), conduisant la rébellion contre le régime d’Assad.
On est à moins de trois kilomètres de la frontière turque et les deux véhicules sombres leur collent à présent au train. En plein désert. Le plus proche des deux accélère, dépasse le break et pile en travers de la route. Federico Motka et David Haines n’ont pas le temps de bouger que quatre hommes encagoulés pointent leurs AK-47 sur eux tandis qu’un autre arrache le fusil d’assaut que l’interprète des deux humanitaires gardait entre ses jambes.
Des geôliers transportent le détenu inanimé et enveloppé dans une couverture. © Document Mediapart
« Ils sont en train de nous enlever ! Mon Dieu, ils sont en train de nous capturer ! », s’époumone l’Italien à l’intention de son supérieur, à l’autre bout du fil.
Les otages sont sortis du break et balancés dans le coffre de l’une des voitures, où Federico Motka pianote aussitôt des textos de détresse, qui n’atteindront jamais leurs destinataires.
Au fond du coffre, il fait une chaleur infernale et tout tourne dans la tête de Federico. À chaque checkpoint, il entend ses ravisseurs crier « Allahû Akbar ! ».
Quatre mois plus tôt, un autre binôme, cette fois de journalistes, l’Américain James Foley et le Britannique John Cantlie, avait été kidnappé dans des circonstances similaires : sur la route, après un arrêt dans un cybercafé, à moins de quarante minutes de la frontière turque. Et par les mêmes hommes. Durant un peu plus d’un an, au moins 23 étrangers tomberont dans le même piège.
Après deux heures de route, les voitures des ravisseurs s’arrêtent. Les hommes en noir en font descendre Federico Motka et David Haines, devant une maison perdue dans la campagne. Ils leur confisquent passeports, téléphones, tablettes et appareils photos. Ils les déshabillent, les menottent et les enferment dans une pièce faisant office de cellule.
« Attendez ici. Demain, on va vous interroger », ordonne un djihadiste, avant de jeter un œil au passeport de David Haines et de lancer : « Welcome to Syria, you mutt ! » Une expression typiquement anglaise que l’on pourrait traduire par « Bienvenue en Syrie, chien ! ».
Le lendemain matin, Motka et Haines sont amenés dans deux pièces séparées. Devant eux, trois djihadistes encagoulés portant des Glock à la ceinture. Ils parlent un anglais sans faute, avec un accent cockney, ce qui laisse supposer qu’ils ont grandi dans les quartiers populaires de Londres. Plus tard, entre eux, les otages les surnommeront « les Beatles ». Il y a George, Ringo et John. Ce dernier est le plus grand et le plus posé d’entre eux. Il n’a pas encore fait parler de lui en tant que « Jihadi John », le bourreau de l’État islamique s’illustrant dans d’insoutenables vidéos de décapitation.
Les semaines qui suivent ne sont que brimades et sévices. Leurs geôliers se déchaînent. L’été 2013 s’annonce. Federico Motka et David Haines sont retenus depuis quatre mois par leurs ravisseurs. Comme nombre de djihadistes, les Beatles décident de rallier l’étendard de l’État islamique. Un beau matin, un ordre arrive. Ils doivent conduire leurs otages à Alep. L’EI a décidé de réunir tous ses prisonniers dans une prison installée dans les sous-sols d’un hôpital.
Un hôpital reconverti en prison
Le centre de détention de la Dawla (en arabe, l’État islamique se dit Dawla Islamiya ; ses membres le désignent par le diminutif Dawla, signifiant « État ») se cache dans les sous-sols de l’hôpital ophtalmologique d’Alep, dont l’enceinte est protégée d’une barrière et, en amont, de plusieurs checkpoints. Toutes les entrées, sauf une, ont été murées. Les Aleppins ignorent ce qui se trame dans l’hôpital ophtalmologique, ne perçoivent pas les hurlements des prisonniers.
Les gardiens francophones constituent le gros des effectifs de la prison. Deux d’entre eux sont appelés à passer à une sordide postérité : les Français Salim Benghalem, premier Français à entrer dans la liste des terroristes les plus recherchés par les États-Unis, et Mehdi Nemmouche, futur tueur présumé du Musée juif de Bruxelles.
Salim Benghalem, natif de Bourg-la-Reine, âgé de 35 ans, participe aux interrogatoires. « Il m’a dit qu’ils avaient le droit de frapper. “Deux, trois patates”, mais pas de tortures, détaillera son épouse. Ils n’avaient pas le droit d’égorger. »
Une vision des choses que ne partagent pas les otages, qui, depuis leur cellule, entendent les hurlements des autochtones victimes de séances de torture qui commencent vers 20 heures pour s’achever vers 4 heures du matin. Les coups de matraque succèdent aux coups de chaînes. Des câbles électriques tressés sont détournés de leur usage premier, des noyades simulées, des décharges électriques administrées. « Les prisonniers syriens étaient terrifiés de se faire torturer par des djihadistes qui leur hurlaient dessus en français, racontera l’otage français Nicolas Hénin. J’ai clairement entendu les cris des suppliciés et les vociférations en français des tortionnaires. »
Les détenus occidentaux savent que, tôt ou tard, ce sera leur tour.
Et leur tour, c’est un bandeau imprégné de gaz lacrymogène sur les yeux durant quatre jours. Des ongles arrachés à la pince. Des coups portés avec un tuyau d’arrosage ou des joints d’étanchéité. Et divers objets introduits dans l’anus.
Poussé à bout, un des otages européens tentera de se suicider avant d’être sauvé par ses tortionnaires. Une fois remis, il s’adonnera au jogging pour survivre, s’entraînant à un « marathon en cellule ». Sept mille fois le tour de son cachot.
Un autre va avoir droit à un traitement particulier.
Va chercher la caméra ! Je vais le tuer, on va mettre ça sur YouTube !
Ça empeste le formol. Une table chirurgicale compose le décor de la salle d’interrogatoire improvisée. L’otage est assis, les mains menottées derrière le dossier de la chaise. Ils lui font récapituler sa vie, son histoire, ses études, son parcours professionnel. Ses pieds sont entravés dans un carcan de bois. Ils le frappent à la plante des pieds avec un gourdin chaque fois que la réponse ne leur plaît pas.
Et, la plupart du temps, elle ne leur plaît pas. Alors l’otage est amené à l’extérieur de la prison, sous un portique. On passe une chaîne entre ses menottes. Les geôliers tirent sur la chaîne, le corps s’élève. Ils le laissent ainsi suspendu dans le vide. Durant deux heures. En plein soleil. « Je n’avais plus de force, plus d’énergie, pas même la force de déglutir. De toute façon, je n’avais plus de salive. » Ils l’interrogent à nouveau, veulent des informations sur ses liens avec des services de renseignement. Les coups pleuvent. Au visage. Au thorax. À l’abdomen. Un coup de pied porté à la tempe lui fait perdre connaissance.
Lors d’une troisième session, les geôliers s’amusent à faire ricocher sa tête contre le carrelage. De retour en cellule, ils lui mettent des chaînes aux pieds, verrouillées par deux cadenas. Ils démontent le tuyau de douche pour pouvoir relier ses pieds menottés au robinet de ladite douche. L’otage devra rester ainsi entravé durant onze jours. En guise de repas, un demi-concombre et une demi-tranche de pain.
Le 19 juillet 2013, en pleine nuit, la porte s’ouvre. On vient chercher celui qui n’est plus que l’ombre de lui-même pour le mener dans la salle de torture de l’hôpital ophtalmologique, là où trônent cordes, câbles électriques et pneus. Un djihadiste l’accuse : le prisonnier appartient aux services secrets occidentaux. Trois fois, l’otage nie. Trois fois, on le frappe en retour. Le premier coup occasionne un œil au beurre noir ; le deuxième le fait tellement saigner du nez que ses geôliers doivent lui retirer son bandeau des yeux pour qu’il s’éponge avec ; le troisième lui cause une douleur qui prendra ses quartiers dans les côtes durant huit semaines. Il est 2 h 10 du matin. La séance est finie. Ce soir-là, les coups sont portés par un Français qui arbore une ceinture explosive à la taille. À l’issue de l’interrogatoire, il pointe un pistolet sur la tempe de l’otage et s’adresse à un complice :
« Va chercher la caméra ! Je vais le tuer, on va mettre ça sur YouTube ! »
Salim Benghalem interviewé par l’otage John Cantlie. © DR
Le tortionnaire se nomme Mehdi Nemmouche. Ce natif du Nord-Pas-de-Calais est un des seuls à se présenter avec sa kalachnikov en bandoulière dans les cellules. Il arbore un treillis noir, avec cartouchière, ne porte pas de masque, expose son visage rond, sa barbe clairsemée, à la vue de tous. Pas inquiet pour un sou de pouvoir être par la suite identifié par d’éventuels survivants. Nemmouche rêve de se retrouver acteur d’un grand procès d’assises. « Lorsque je serai sur le banc des accusés, vous viendrez témoigner », pronostique-t-il aux otages français.
En attendant, il s’amuse à répéter : « Vous êtes sortis de la Matrix ! » La référence au film de science-fiction est une manière de signifier que les otages ont quitté leur cocon protecteur et sont désormais à sa merci. À un journaliste qu’il s’apprête à tabasser, il exhibe une paire de gants.
« Regarde : je les ai achetés rien que pour toi… »
Une autre fois, Nemmouche chloroforme un de ses otages, fait croire le pire à celui qui partage la cellule avec l’homme évanoui :
« Regarde ton copain : il est mort ! Je l’ai tué au couteau ! Et toi, je vais te décapiter et poser ta tête sur ton cul. »
Mehdi Nemmouche filme, avec son téléphone portable, des otages en train de satisfaire leurs besoins aux toilettes. Une autre fois, il fait s’agenouiller un otage, lui pose un sabre sur la nuque et fait mine de lui trancher la gorge, hilare.
Au détour de ses blagues d’un goût douteux perce souvent son antisémitisme – « Je suis en forme ce matin, je me verrais bien prendre une kalachnikov et aller fumer une petite Israélite » –, ainsi que sa vénération pour Mohammed Merah, le tueur d’enfants de l’école juive Ozar Hatorah, « le plus grand mec que la France ait produit ».
« Hotel California », version djihad
Le 8 janvier 2014, l’hôpital ophtalmologique d’Alep n’est plus. À l’entrée, la barrière a disparu, des gravats remplacent les checkpoints. Dans les étages, pas une fenêtre n’a survécu au souffle des bombardements répétés. Dans un vestiaire, un drapeau de la Dawla trône entre une commode et des étagères où des treillis remplacent les blouses des médecins. Les derniers occupants des lieux ont oublié leurs gilets pare-balles et masques à gaz. Derrière leurs portes grillagées et rouillées, les cellules sont désormais silencieuses et vides. Accrochés à un mur, seuls une matraque et un fouet témoignent du calvaire vécu ici. Au bout de six jours de combat, l’État islamique a été chassé de son QG d’Alep par une coalition de groupes rebelles. Quand les rebelles descendent, au sous-sol de l’hôpital ophtalmologique, ils ne trouvent nulle trace des otages occidentaux.
Le 25 janvier 2014, au bout d’une odyssée qui les verra parcourir 250 kilomètres en six jours, les otages sont conduits dans une maison cossue, coincée entre une piscine et un cimetière sur les rives de l’Euphrate. D’où le surnom qu’ils donneront à leur nouvelle prison, « Riverside ».
Le lendemain matin de leur arrivée, Najim Laachraoui, futur artificier des attentats du 13-Novembre à Paris et du 22-Mars à Bruxelles, reçoit un par un les otages pour inscrire sur un registre toutes les informations personnelles nécessaires, adresses, numéros de téléphone des membres de la famille. Il faut relancer le processus de négociation. Les détenus portent leurs tenues orange. Jusqu’à ce qu’une épidémie de poux contraigne leurs geôliers à leur donner d’autres vêtements.
Le 12 février 2014, les 23 otages occidentaux sont de nouveau transférés. Cette fois en plein désert, dans la raffinerie pétrolière d’Al-Kirshi, surnommée « Tatooine »par les otages francophones (en référence à la planète-désert de Star Wars). Dès que les Beatles, de nouveau chargés des otages, arrivent dans les cellules, ces derniers doivent se tenir tête basse, à genoux contre le mur. Daniel Rye Ottosen, un Danois, racontera comment un des Beatles, Alexanda Kotey, lui a « donné » vingt-cinq coups de pied dans les côtes « en cadeau » le jour de son vingt-cinquième anniversaire…
Des Beatles qui trouvent le temps de composer… une chanson, parodiant l’Hotel California des Eagles. Une reprise en forme d’hommage à Oussama ben Laden comportant un message peu caché à l’adresse des otages qui devaient l’apprendre par cœur.
« Welcome to Oussama’s lovely hotel,
Such a lovely place, such a lovely place,
You will never leave Oussama’s lovely hotel.
And if you try, you will die, Mr Bigley-Style. »
On peut traduire les derniers vers par « Tu ne quitteras jamais l’hôtel délicieux d’Oussama. Et si tu essayes, tu mourras, façon M. Bigley ». Kenneth Bigley était un ingénieur anglais enlevé en 2004 à Bagdad, avant d’être décapité par des membres d’Al-Qaïda.
Le 2 mars, un premier otage, espagnol, est libéré. Les autres pourparlers piétinent. Alors l’État islamique va adresser aux négociateurs occidentaux un message explicite.
Les djihadistes extraient Sergueï Gorbunov, un otage russe, de sa cellule. Pour le libérer, lui annoncent-ils. Son gouvernement a payé une rançon de 10 millions d’euros, jurent-ils. Une fois à l’extérieur de la raffinerie, ils l’exécutent d’une balle dans la tête.
Ensuite, les Beatles enverront des photos du cadavre à certaines familles d’otages.
Des otages à côté d’un cadavre
Le samedi 12 avril 2014, deux Beatles conduisent les quatre otages français, menottés et yeux bandés, jusqu’à une maison au milieu d’un camp de l’État islamique. Au bout d’une semaine, un francophone emmène les journalistes en voiture. Un enfant sur le siège passager les tient en joue avec un pistolet qui n’est pas un jouet. Le véhicule les dépose à quelques centaines de mètres de la frontière turque. Les Français marchent jusqu’aux barbelés derrière lesquels les attendent des soldats turcs qui les aident à franchir lesdits barbelés. Édouard Élias, Didier François, Nicolas Hénin et Pierre Torrès sont libres.
Deux jours plus tard, ils sont accueillis sur le tarmac de l’aéroport militaire de Villacoublay par le président de la République François Hollande, qui déclare : « L’État ne paye pas de rançon ! » Un discours déjà tenu par ses prédécesseurs à l’Élysée, afin de ne pas inciter des terroristes à kidnapper d’autres ressortissants français.
Un discours contredit par les faits : peu de temps avant leur libération, les Beatles se sont plaints auprès de leurs prisonniers français que 4 000 billets de banque, issus de la rançon, étaient endommagés… L’occasion pour Jihadi John de se livrer, d’après le témoignage d’un ex-otage, à une saillie antisémite : « On ne va pas faire les juifs, on maintient la transaction ! » Alexanda Kotey évoquera une rançon d’environ 2 millions d’euros par otage.
Une semaine après la libération des Français, des otages danois, allemands et italien sont conduits dans le désert. Un prisonnier syrien est agenouillé par terre. Il a été dénoncé par son frère comme un collaborateur du tyran Assad. Les otages sont disposés face à lui. Le Danois Daniel Rye Ottosen tient un écriteau : « Je ne veux pas terminer comme lui. Payez 2 M ! Allez voir le gouvernement danois. » Jihadi John s’approche du prisonnier syrien et lui décharge neuf balles dans la tête puis le torse. Les otages sont ensuite invités à se mettre dans le trou qui fera office de tombe au malheureux. Ils sont photographiés à côté du cadavre criblé de balles. Un Beatles crie à Rye Ottosen :
« C’est toi le prochain, Daniel ! »
Alexanda Kotey expliquera : « Le but était d’accélérer les négociations, en illustrant le potentiel de violence et en montrant aux gouvernements l’issue probable pour leurs ressortissants. » Cela fonctionne, semble-t-il. Entre les mois de mai et juin 2014, huit Européens vont être libérés.
Les otages britanniques et américains restent eux aux mains des Beatles, leurs gouvernements refusant de verser une rançon. Le moral en berne, ils regardent partir leurs compagnons d’infortune. Alors que les grosses chaleurs s’annoncent en plein désert, la porte d’entrée à l’avant de la prison de Tatooine, laissée ouverte pour que l’air puisse circuler, est désormais close.
Jihadi John dans la vidéo de propagande de l’État islamique le montrant exécuter l’otage James Foley. © DR
Le 20 août 2014 est diffusée sur les réseaux sociaux une vidéo intitulée « Message à l’Amérique ». Sur les images, on voit l’intervention télévisée de Barack Obama annonçant le déclenchement des frappes aériennes en Irak. Puis on bascule sur une séquence en plein désert. Sur une butte, un homme en tenue orange, à genoux. Debout, à ses côtés, un individu « encagoulé » de noir, portant un treillis de la même couleur. Seule la sangle marron de son holster d’épaule détonne.
Un micro-cravate fixé au col de sa tunique, l’homme à genoux prend la parole pour dire que le gouvernement américain est son véritable assassin. Le journaliste James Foley, l’un des otages enlevés par les Beatles, s’adresse maintenant à son frère militaire dans l’US Air Force. Il évoque l’Irak bombardé.
« Je suis mort ce jour-là. Quand tes collègues ont lancé ces bombes sur ces gens, ils ont signé mon arrêt de mort. »
Plan suivant. Un couteau apparaît dans la main gauche de l’homme en noir, qui pose sa main droite sur l’épaule de l’otage à genoux. L’homme s’exprime en anglais avec un accent cockney. Jihadi John menace l’Amérique qui ose s’en prendre à l’État islamique. Puis, sans précipitation, le bourreau accomplit sa sale besogne.
La vidéo reprend l’imagerie (un homme en noir et une victime en orange, dans l’immensité du désert) qui, dix ans plus tôt, avait assuré la renommée d’Al-Qaïda en Mésopotamie (matrice de l’État islamique) et de son leader, Abou Moussab al-Zarqaoui, surnommé « le cheikh des égorgeurs ».
Dans les semaines qui suivent l’assassinat de James Foley, l’office des bourreaux s’accélère. Cinq autres otages sont décapités par Jihadi John et ses sbires.
Et, quand le dernier otage, l’ancien soldat américain Peter Kassig, se suicide dans sa cellule, les djihadistes mettent en œuvre un plan au-delà du sordide. Jihadi John coupe la tête au mort, la met dans la glace, achète du sang de poulet à un boucher. Et se dépêche de tourner une vidéo au cours de laquelle des prisonniers syriens sont décapités mais où, grâce au montage, on ne voit pas l’exécution – et pour cause – de Kassig, seulement sa tête déjà coupée.
Une Anglo-Saxonne va échapper à la soif de sang des Beatles, sans pour autant connaître un sort plus enviable. Après avoir tenté, en vain, de l’échanger avec une terroriste pakistanaise détenue aux États-Unis en train de purger une peine de quatre-vingt-six années de prison, l’humanitaire américaine Kayla Mueller est offerte fin 2014 au calife Abou Bakr al‐Baghdadi, qui la prend pour épouse et la viole à de nombreuses reprises. L’État islamique annoncera sa mort en janvier 2015, victime collatérale (selon l’organisation terroriste) d’une frappe de l’aviation jordanienne. Une version jamais confirmée par la Coalition internationale qui, au contraire, estime que ce serait le calife Baghdadi lui-même qui aurait tué la malheureuse jeune femme.
Matthieu Suc
Boîte noire
Ce récit a été composé à partir de passages de mon livre Les Espions de la terreur (HarperCollins 2018, 2024) et des articles que Mediapart a consacrés depuis neuf ans aux otages de l’État islamique et à leurs tortionnaires. À savoir :
« Ces terroristes qui menacent la France 2/3 : La chaîne de commandement qui conduit aux attentats », 23 mars 2016 ;
« Mehdi Nemmouche, le djihadiste qui parlait trop », 7 septembre 2016 ;
« Révélations sur les services secrets de l’État islamique », 18 août 2017 ;
« Quand l’État islamique recherche la taupe d’Alep », 24 août 2017 ;
« Vie et mort “présumée” d’un petit commis de la torture », 28 mai 2018 ;
« Les commanditaires du 13-Novembre avaient d’abord rançonné la France », 1er février 2022 ;
, 4 février 2022.