Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu devant une carte, comme le montre une capture d’écran tirée d’une vidéo publiée par le compte officiel X du bureau du Premier ministre israélien. Crédit : X
La grande menace pour l’existence d’Israël que représentent les Palestiniens est de retour. Un livre de coloriage pour enfants intitulé « De la rivière à la mer » ne laisse aucun doute : les Palestiniens veulent tout le pays et ils veulent détruire Israël. Ce livre est la preuve irréfutable qu’ils inculquent à leurs enfants cet objectif de destruction et qu’ils ne doivent donc jamais, au grand jamais, avoir leur propre État.
Tel est le sentiment qui prévaut en Israël, suite à l’arrestation des libraires Mahmoud et Ahmed Muna de la librairie Educational Bookshop à Jérusalem en début de semaine.
La police les a d’abord accusés de diffuser des ouvrages contenant « des incitations à commettre des actes terroristes ». Mais n’ayant pas réussi à produire de preuves, elle a ensuite revu ses accusations à la baisse, les qualifiant de « trouble à l’ordre public ». Mais l’absence de preuves, même pour ce dernier chef d’accusation, a conduit à la libération des deux frères après deux nuits en prison, au lieu des huit que la police avait demandées. Note : Mahmoud est un collègue et un ami, un libraire attentionné, perspicace, chaleureux, sensible et accueillant. Les images de lui et d’Ahmed menottés suscitent l’indignation.
C’est ainsi que l’on peut présenter le sentiment général en Israël, à la suite de l’arrestation des libraires Mahmoud et Ahmed Muna, de la librairie Educational Bookshop à Jérusalem, en début de semaine.
La police les a d’abord accusés de diffuser des ouvrages contenant des incitations à commettre des actes terroristes. Mais n’ayant pas réussi à produire de preuves, elle a ensuite limité ses accusations à une « perturbation de l’ordre public ». Mais l’absence de preuves, même pour cela, a conduit à la libération des frères après deux nuits en prison, au lieu des huit que la police avait demandées. Information : Mahmoud est un collègue et un ami, un libraire attentionné, vif, chaleureux, sensible et accueillant. Les images de lui et d’Ahmed menottés suscitent l’indignation.
Les libraires Mahmoud Muna, à gauche, et son frère Ahmed, lundi, lors de leur comparution devant un tribunal de Jérusalem. Crédit : Mahmoud Illean/AP
Manifestement, il est nécessaire de le répéter : les Juifs israéliens sont les derniers sur cette terre à pouvoir déplorer le désir des Palestiniens de voir leur pays s’étendre du Jourdain à la mer. L’État d’Israël est la matrice de ce "de la rivière à la mer » – pour utiliser un langage imagé plutôt que géographique. Il est aujourd’hui quasiment impossible, dans un lieu public, de trouver une carte, qu’elle soit de nature officielle, artistique ou illustrative, sur laquelle figurerait la Ligne verte qui dessinerait les contours d’un hypothétique État palestinien. Les cartes d’Israël montrent l’ensemble du territoire, non divisé – effaçant de fait l’identité politique et nationale palestinienne.
Ma collection personnelle de photos prises aux quatre coins du pays ou trouvées sur Internet raconte une histoire aussi clairement qu’on peut le faire avec un livre de coloriage : une boutique Judaïca située à deux pas de chez moi, à Tel-Aviv, vend un support en verre bleu pour votre table basse, en forme de carte d’Eretz Israël, sans trace de la Ligne verte. Une borne de recharge pour voitures électriques à Haïfa affiche une carte de ses stations généreusement réparties sur tout le territoire israélien - un seul et même ensemble, de la rivière à la mer (merci à aux collègues qui m’ont fourni cette photo).
Une personne tient une pancarte de soutien à Mahmoud et Ahmed Muna devant l’une de leurs librairies éducatives, après que la police israélienne avait arrêté les deux frères dimanche. Crédit : Ammar Awad/Reuters
Chaque jour, les journaux publient des cartes météorologiques de l’ensemble du territoire, sans mentionner la Palestine (Haaretz est la seule exception). Sur la place des Otages, dans le centre de Tel-Aviv, des citoyen.ne.s ont recouvert l’endroit d’œuvres d’art, dont un triptyque d’images dans lequel le pilier central montre des dessins de familles étreignant des enfants, le tout prenant la forme de la Palestine sous mandat britannique. Je pourrais allonger la liste et multiplier les photos.
Et pour ce qu’il en est d’inculquer aux enfants la conception d’une Palestine « de la rivière à la mer" : rappelons que dans les écoles publiques israéliennes, il est pratiquement interdit d’utiliser des cartes montrant la Ligne verte – ni la Palestine. Israël « de la rivière à la mer », ce n’est pas seulement pour l’enfant chanceux qui aura le livre de coloriage, mais pour tous les enfants des écoles israéliennes.
Il est absurde d’arrêter des Palestiniens ou même de les accuser d’utilser cette expression quand on sait que les Israéliens vivent eux pleinement « de la rivière à la mer », et ce, tous les jours. À l’attention des personnes extérieures à Israël : si vous ne vous êtes pas rendu compte que les Israéliens voient le monde à travers des lunettes façonnées par le Mandat britannique sur la Palestine, il est temps de remettre en question votre compréhension de la société que vous prétendez défendre. Ce sera toujours mieux que de vous exposer à être traité d’hypocrite ou de menteur.
Mais vrai le problème, ce ne sont pas les « stickers » sur les pare-chocs ou les presse-papiers. Le problème, c’est qu’Israël met en œuvre sa conception de la « rivière à la mer » sur la seule carte qui compte : le terrain lui-même. Israël "de la rivière à la mer », travaille d’arrache-pied à l’expansion des colonies et des infrastructures qui les soutiennent, au transfert des pouvoirs militaires sur la Cisjordanie aux forces civiles de l’État israélien, à l’invasion de villes palestiniennes comme Tul Karm et Jénine par l’armée israélienne après avoir contribué à l’effondrement de l’Autorité palestinienne. Que vous soyez pour ou contre ces pratiques, dites au moins la vérité !
Illustration de Sivan Hurwitz : un enseignant montre une carte d’« Eretz Israël » sur laquelle tous les pays voisins sont étiquetés « ennemis ». Crédit : Sivan Hurwitz
Et au cas où quelqu’un aurait pu ne pas remarquer tout ce déploiement de force ou n’aurait pas eu la possibilité de voir les cartes d’Israël, sachez que nos législateurs crient « de la rivière à la mer » (dans la langue d’Israël) sur tous les toits. Imitant en cela leurs patrons du Sénat américain, les responsables politiques israéliens ont présenté un projet de loi cette semaine qui imposerait l’utilisation du terme « Judée et Samarie » plutôt que « Cisjordanie » dans la législation israélienne ; il a déjà été adopté par une commission législative de la Knesset.
En quoi cette loi est-elle urgente ? Il est vrai que les proclamations de l’armée israélienne du 7 juin 1967 établissant un régime militaire utilisent le terme « Cisjordanie ». De plus, les lois de 1968 font déjà référence à des « zones », qu’elles définissent comme « les territoires contrôlés par les Forces de défense israéliennes ». Je n’ai pas vérifié chaque document, mais ayant lu un grand nombre de lois israéliennes, il est difficile de se souvenir d’une seule loi depuis cette époque qui utilise non pas le terme « Cisjordanie », mais « Judée et Samarie ».
Les débats juridiques inutiles sont certainement un bonne façon pour les législateurs de passer leur temps, payés par les contribuables, pendant que les otages israéliens à Gaza sont affamés, pendus par les pieds, battus ou enchaînés.
Mais certaines lois sont moins spectaculaires, plus discrètes et plus lourdes de conséquences. Pendant que vous ne regardiez pas, la Knesset a fait adopter une loi visant à faciliter l’achat de terres en Cisjordanie directement aux Palestiniens par les colons. Selon les arguments de la droite, cette loi vise à corriger – tenez-vous bien – « l’apartheid jordanien ».
Une ancienne carte montrant les zones juives et arabes dans le plan de partage de l’ONU de 1947. Crédit : Doron Golan/Jini
L’annexion au coup par coup est en vogue : Yisrael Beiteinu, un parti d’opposition de droite, a récemment présenté un projet de loivisant à « étendre la souveraineté » (annexer) la vallée du Jourdain. En 2020, un parlementaire du Likoud a présenté un projet de loivisant à étendre la souveraineté israélienne à toutes les colonies juives de Cisjordanie, invoquant l’autorité du plan de partage de l’ONU de 1947. Ce même député est aujourd’hui ministre de l’Éducation : c’est Yoav Kisch. Mercredi, le parti sioniste religieux a présenté un projet de loi visant à annexer l’ensemble de la Cisjordanie (le projet de loi n’utilise pas ce terme).
Les politiques d’annexion à long terme visant à éliminer un futur État palestinien de la carte ont été annoncées aux yeux de tous dans les directives publiées par le 37e gouvernement d’Israël, formé en décembre 2022. Le président américain Donald Trump pourrait appuyer cette idée.
Lorsqu’il a reçu le Premier ministre Benjamin Netanyahou la semaine dernière, Trump a timidement déclaré qu’il s’exprimerait sur la question de l’annexion de la Cisjordanie dans quelques semaines, mais que « les gens trouvaient l’idée intéressante ». Et en présence du roi Abdallah II de Jordanie cette semaine, lorsqu’on lui a demandé s’il soutenait l’annexion de la Cisjordanie par Israël, Trump a déclaré, tout en manifestant son bruyamment son contentement : « Cela fonctionnera bien », a-t-il dit, et même « comme une évidence » .
Le moment est venu d’enterrer définitivement tout débat autour de l’expression « de la rivière à la mer ». Quiconque accuse les Palestiniens d’adhérer à ce concept est un faussaire, un maître de l’argumentation spécieuse pour justifier la réalité de l’État d’Israël aujourd’hui. Et une telle personne vous prend pour un être très, très stupide.
Dahlia Scheindlin