Le harcèlement policier et la dispersion de la manifestation de solidarité avec la Palestine du 18 janvier à Londres attestent d’une augmentation du niveau d’intolérance à l’égard de ces événements et d’une tendance à la criminalisation de tous les mouvements de protestation, même les plus modestes et les plus anodins.
Depuis le début de de l’offensive génocidaire d’Israël contre la population de Gaza en octobre 2023, vingt-quatre très grandes manifestations nationales de solidarité avec la Palestine ont eu lieu dans le centre de Londres. Plusieurs centaines de milliers de personnes ont défilé dans le West End et à Westminster, un samedi après-midi, presque sans incident. Comme l’a noté un observateur, le taux d’arrestation lors de ces manifestations était inférieur à celui du festival de Glastonbury.
De même, malgré des provocations répétées, il n’y a pas eu la moindre agression ou dégradation de synagogues ou de biens juifs, ni le moindre harcèlement d’individus juifs. En fait, ces manifestations ont été marquées par la présence d’un cortège juif important et dynamique, rassemblant une douzaine d’organisations juives différentes opposées au génocide israélien, y compris un groupe de survivant.e.s de l’Holocauste et leurs descendant.e.s.

Whitehall le 18 janvier. Photo : Steve Eason
Néanmoins, il y a eu des tentatives répétées de présenter ces manifestations comme caractérisées, voire motivées, par une haine débridée des Juifs. Cette instrumentalisation de l’antisémitisme, qui a si bien fonctionné dans la campagne contre la direction du Parti travailliste par Jeremy Corbyn, est maintenant déployée contre le mouvement de solidarité avec la Palestine dans son ensemble.
Il a été prétendu, par exemple, que le slogan « Du fleuve à la mer, la Palestine sera libre » est un appel à l’extermination des Israéliens - même si, on ne sait pourquoi, aucune indignation ne se manifeste lorsque les expansionnistes israéliens revendiquent le même territoire avec un slogan similaire.
Des voix se sont élevées pour affirmer que ces défilés et la présence de drapeaux palestiniens, d’images de pastèques et de personnes portant des keffiehs inquiétaient, voire menaçaient, les Juifs qui vaquaient à leurs occupations quotidiennes. Des tentatives ont été faites pour interdire les actions en faveur du boycott et du désinvestissement, voire pour proscrire l’organisation Palestine Solidarity Campaign (PSC) et interdire purement et simplement les manifestations, comme cela s’est produit en Allemagne et en France.
Les manifestations en faveur de la Palestine sont menacées de criminalisation
Ces calomnies sans fondement et ces menaces folles sont la preuve qu’Israël a perdu la guerre de propagande et a complètement épuisé toutes les justifications un tant soit peu plausibles de son comportement ; il lui faut donc œuvrer avec ses alliés politiques dans les États impérialistes pour empêcher toute expression de la révulsion universelle face à la poursuite de son génocide. Mais cela n’empêchera pas les activistes de SE manifester avec force et éclat.
La manifestation d’hier en est un bon exemple. L’itinéraire, initialement convenu avec la police, avait été annoncé lors de la précédente manifestation, en novembre, et dans tout le pays, des gens avaient prévu de se rassembler devant la BBC pour contester le caractère tendancieux de sa présentation des événements. Mais, à peine une semaine avant la marche, il est clairement apparu que la police n’avait pas respecté l’accord. Invoquant des allégations fallacieuses faisant état d’une menace pesant sur les fidèles d’une synagogue « voisine », la police a informé les organisateurs que le rassemblement n’était plus possible à proximité de la BBC. La synagogue en question se trouve à 500 mètres du point de rassemblement proposé, dans une rue en retrait et dans la direction opposée à l’itinéraire prévu ; le rabbin qui a déposé la plainte avait fait des sermons dans lesquels il soutenait fermement les actions d’Israël et avait aussi reproché à la police d’avoir eu la main lourde lors des rassemblements d’extrême-droite de l’été dernier.
La police s’est refusée à reconsidérer sa décision, malgré de nombreux appels, dont une lettre signée par plus de 1 000 Juifs et Juives britanniques réfutant l’argument selon lequel la manifestation aurait fait de cette zone un endroit à risque pour les Juifs et les Juives. La police a également refusé de rencontrer les représentants du Bloc juif ou d’entendre un autre point de vue juif que celui des supporteurs d’Israël. Elle a également imposé une zone de restriction autour de la BBC, menaçant d’arrêter tout.e manifestant.e qui s’introduirait dans cette zone - ce qu’une personne aurait d’ailleurs fait. Au lieu de cela, la police a demandé aux manifestant.e.s de se rassembler à Russell Square avant de se diriger vers Whitehall.
En réaction, les organisateurs ont déclaré que la manifestation se rassemblerait à Whitehall, puis marcherait jusqu’à la BBC, où elle arriverait bien après la fin de l’office dans les synagogues. La police a également exclu cette possibilité, expliquant que la seule chose autorisée serait un rassemblement statique à Whitehall. Par la suite, elle a tenté de restreindre encore davantage la manifestation. Heureusement, dans d’autres régions du pays, notamment à Salford et à Norwich, des manifestant.e.ss pour la Palestine ont quand même organisé des actions à l’extérieur des bâtiments de la BBC.

Salford Media City 18 janvier Photo Ian Parker
Les « mauvais juifs » selon la classe dirigeante
Je me trouvais avec des amis au point de rassemblement du Bloc juif, derrière le Monument aux femmes de la Seconde Guerre mondiale, lorsque deux policiers ont menacé de nous arrêter si nous ne nous déplacions pas. « Vous n’avez pas le droit d’être ici. Continuez votre chemin jusqu’à la zone de rassemblement autorisée » ; ce à quoi un organisateur a rétorqué : « Nous les Juifs, nous avons déjà reçu l’ordre de nous diriger vers une zone de rassemblement autorisée. Nous ne bougerons pas ». Nous n’avons pas bougé et les flics ont fini par reculer.
Finalement, à la fin des discours, les manifestants se sont regroupés à Whitehall, avec le cortège juif et les survivants de l’Holocauste en tête, et ont commencé à marcher vers Trafalgar Square. La police a fait une ligne devant nous, mais à ce moment-là, plusieurs centaines de manifestant.e.s nous avaient dépassé.e.s et demandaient pourquoi la police refusait aux manifestant.e.s juif.ve.s de se joindre à eux.elles. Une fois encore, la police a reculé et nous avons pu avancer jusqu’à la place, où une présence policière massive et des rangées de véhicules de police bloquaient la plupart des sorties.
Une fois de plus, la police nous a dit que si nous restions, nous serions interpellé.e.s ; nous avions le choix entre nous disperser ou retourner à Whitehall. À ce moment-là, il n’y avait plus de responsables et les informations manquaient. Après quelques discussions, le Bloc juif a accepté de tenir un court rassemblement sur la place, puis de se retirer. Les rescapé.e.s de l’Holocauste ont décidé de retourner à Whitehall, mais on leur a dit qu’ils seraient arrêtés s’ils le faisaient.

Whitehall 18 janvier Photo : Steve Eason
Un groupe de membres du Bloc juif est allé prendre un café. Lorsque nous avons quitté le lieu un peu plus tard, nous avons assisté à l’arrestation de plusieurs personnes, dont apparemment des touristes japonais qui avaient été pris dans une nasse de la police sur la place.
La Police métropolitaine indique aujourd’hui avoir arrêté 77 personnes. La plupart d’entre elles avaient refusé de quitter un périmètre restreint imposé par la police - ce qui signifie en fait que si la police n’avait pas décidé de circonscrire la manifestation, il n’y aurait eu que très peu d’arrestations. Tous les problèmes ont été causés par les décisions de la police, et non par les actions des manifestant.e.s. Mais nous pouvons être certains que cela servira de prétexte pour restreindre davantage, voire interdire, d’autres manifestations à l’avenir.
Sans précédent
Une des plus importantes inquiétudes doit porter sur l’arrestation du principal organisateur de la manifestation, Chris Nineham, de la coalition « Stop the War ». Selon des témoins oculaires dignes de foi, une douzaine de policiers se sont jetés sur lui avec violence alors qu’il tentait de permettre le dépôt de fleurs à Trafalgar Square en mémoire des enfants morts à Gaza, comme cela avait été convenu avec la police.
Non seulement il a été détenu pendant 20 heures dans une cellule de police, mais il a été inculpé au titre de la loi sur l’ordre public (Public Order Act) pour avoir organisé une manifestation illégale, et il a été libéré sous caution à des conditions qui l’empêchent de participer à toute nouvelle manifestation. En outre, il apparaît que les députés John McDonnell et Jeremy Corbyn, qui ont non seulement été témoins de de l’agression de Nineham, mais ont également publié des articles à ce sujet, doivent être interrogés par la police métropolitaine le lendemain, sous caution.
Bien que la nature réactionnaire de la police en général - et de la Met en particulier - soit établie, il est difficile de concevoir que le gouvernement lui-même n’ait pas été à l’origine de l’orientation prise par leurs agissements d’hier. Il faut que le mouvement tout entier fasse corps pour exiger l’abandon des charges contre Nineham et les autres manifestant.e.s inculpé.e.s - et que cet appel soit adressé non seulement à la Met, mais aussi au Premier ministre, au ministre de l’Intérieur et à l’ensemble du gouvernement.
Pendant ce temps-là, les thuriféraires d’Israël ont maintenant appelé à une action analogue pour interdire les manifestations à proximité de deux autres synagogues, à Marble Arch et à Knightsbridge. Si cette décision était appliquée, elle empêcherait effectivement toute manifestation le long de Park Lane et de Knightsbridge/Kensington High Street, deux des principaux itinéraires empruntés lors des précédentes manifestations.
Les activistes juifs sont en colère. En colère contre près de quatre-vingts ans d’expulsion et de dépossession des Palestinien.ne.s. En colère contre la répression subie par les Palestinien.ne.s dans l’État d’Israël et dans les territoires qu’il contrôle au-delà des frontières de 1948. En colère contre la récupération par l’État d’Israël de l’histoire des souffrances juives pour justifier ce génocide. En colère contre l’acceptation irréfléchie par beaucoup de l’idée que le soutien à Israël fait partie intégrante de l’identité juive et que tout Juif soutient Israël. Et en colère contre la façon dont cette prétention fallacieuse est susceptible d’être utilisée pour restreindre encore davantage le droit de manifester son opposition.
Il ne faut jamais permettre que soit oublié le fait que l’Holocauste fut un crime européen, commis sur le sol européen par des Européens. Le peuple palestinien, qui ne porte aucune responsabilité dans cette affaire, a été contraint d’en payer le tribut, tandis que les Européens versent des larmes de crocodile et utilisent une fois de plus les Juifs comme boucs émissaires pour imposer des mesures réactionnaires et oppressives qu’ils auraient de toute façon imposées.
Défendez le droit de manifester ! Libérez la Palestine !
Roland Rance