
Al Mounadila - Tout d’abord, nous vous félicitons pour votre libération.
Les autorités vous ont arrêté et condamné à l’emprisonnement pour votre participation au hirak de Figuig contre la privatisation de l’eau et aussi pour votre solidarité avec une militante du hirak en butte à l’arbitraire d’un homme détenteur de l’autorité.
Pouvez-vous nous parler d’abord du hirak de Figuig ?
Le hirak de Figuig pour la défense de l’eau et contre sa marchandisation s’inscrit dans la continuité des mouvements précédents dans la province, notamment le mouvement pour compenser les dommages causés par les inondations de 2008, que les autorité feignaient d’ignorer. Ce qui nous poussait alors et nous pousse encore aujourd’hui : sommes-nous vraiment citoyens d’un État ? Les événements actuels ne font que le confirmer. Notamment au vu de la gestion contradictoire de l’État marocain qui a apporté son assistance lors des inondations de Valence dans l’État espagnol, en cherchant à gagner du temps afin de contenir la colère des habitants de Tata, Zagora et Figuig suite aux inondations de septembre 2024.
Figuig a été isolée 27 jours en 2008 à cause des inondations, et ce qui aggravé les choses, c’est la lenteur de l’acheminement de l’aide alimentaire et du chauffage à la population. Cela a incité les gens à manifester contre la gestion des autorités et les conséquences des inondations, qui ont détruit une grande partie des moyens de subsistance des habitants de l’oasis.
Pour en revenir à votre question, tout le monde assiste à la marginalisation totale de l’oasis de Figuig, car le discours sur le développement rural est démenti par la réalité du terrain. Il n’y a pas de services sociaux dignes de ce nom, ni travail, et les gens souffrent de l’injustice. Ici, les gens ont le sentiment de la « hogra
La petite taille de l’oasis et la communication entre les habitants ont permis à ces derniers de suivre le rythme du débat en cours sur la loi sur les entreprises régionales multiservices, obligeant les représentants des habitants à s’opposer à l’adhésion de la commune à l’entreprise régionale « East Distribution Group ». Suite au refus d’adhésion par le conseil municipal, les autorités ont convoqué une session extraordinaire, le 31 octobre, pour organiser un deuxième vote sur l’adhésion, en d’autres termes un vote d’« approbation ». Le résultat du vote a été une égalité des voix (9 voix contre l’adhésion et 9 voix pour) et a été tranché en faveur du président. Or, faire pencher la balance en faveur du président n’est absolument pas de la démocratie.
C’est à ce moment que le hirak a commencé, par des protestations quotidiennes, puis hebdomadaires, contre ce comportement antidémocratique et par refus de gaspiller l’eau de l’oasis pour l’entreprise, dont le seul souci est de faire des profits.
Le hirak de Figuig représente l’expérience la plus mature que la population ait vécue à travers la compréhension de la direction du mouvement des erreurs des expériences précédentes, en particulier en ce qui concerne la manière d’organiser les négociations, de communiquer avec l’autorité régionale, ou encore d’affronter toutes les tentatives d’éliminer ce mouvement, y compris en poussant des gens à la violence.
Comment avez-vous été arrêté ?
L’arrestation n’était pas une surprise quand on connaît les méthodes habituelles de l’État pour réprimer et intimider les gens afin qu’ils ne poursuivent pas les luttes. Par conséquent, la direction du hirak était très prudente quant à la fabrication d’accusations morales contre les militants (comme cela avait été le cas dans les luttes précédentes) dans le but de décourager les masses et d’ébranler leur foi dans leur revendication légitime.
L’appareil d’État m’a arrêté d’abord parce que je suis l’un des militants du hirak de Figuig et aussi pour m’être opposé à ce qui a été commis contre une femme en tant que militante du hirak. Le tribunal m’a condamné à huit mois d’emprisonnement et à 1000 dirhams d’amende. Lors de l’instruction, j’ai exigé avec mes avocats qu’on en revienne aux images filmées du jour où la militante a été humiliée par un haut fonctionnaire, et qui a été ensuite accusée d’insulte et d’injures à fonctionnaire
Les autorités continuent de mettre en œuvre la première phase de la loi n° 21-83 – Dahir du 12 juillet 2023 – relative à la mise en place d’entreprises régionales multiservices, par exemple, la « Société régionale multiservices – Souss Massa » a été créée dans la région du Souss, ignorant toutes les revendications des habitants de Figuig qui refusent la privatisation de l’eau. Comment voyez-vous l’État gérer cela ?
Les méthodes de l’appareil d’État pour assurer la paix sont basées sur l’achat des consciences des personnes (en employant certains et en faisant pression sur les autres pour qu’ils émigrent) afin de les dissuader de se battre. Ici, à Figuig, elles ont tenté de provoquer des affrontements interpersonnels, de lancer des accusations de contrebande et de trafic et de propager des rumeurs de trahison sur des militants et des activistes respectables des manifestations et mouvements précédents, mais en vain. Les récents procès de responsables de la province de Figuig ont démontré qui était réellement au service des intérêts du peuple et qui avait servi l’État afin d’atteindre ses objectifs personnels. L’État est déterminé à continuer d’appliquer ses lois contre les intérêts des paysans pauvres.
Ce mépris de la volonté du peuple et des habitants de l’oasis ne pourra que se heurter à la solidarité nationale et aux exigences nationales de rejet de la loi sur la marchandisation de l’eau. Nous sommes contre le gaspillage de l’eau pour l’entreprise et contre sa privatisation, et afin de préserver la gratuité et la gestion de cette ressource populaire, nous recourrons au boycott du paiement des factures d’eau à Figuig.
Neuf candidats issus des militants du hirak ont réussi à remporter les sièges vacants dans la commune de Figuig lors des élections partielles du 12 septembre 2024
Tout d’abord une remarque : les représentants du Rassemblement National des Indépendants (qui ont voté en faveur de l’adhésion) n’avaient aucun lien avec ce parti, seulement la bannière du parti offrait l’occasion à certaines personnes de gauche d’entrer dans les élections. Ce parti, avec sa rhétorique trompeuse, a également séduit la population, qui était optimiste parmi la majorité de l’oasis. Mais ce groupe est rapidement devenu un serviteur de l’autorité provinciale plutôt qu’un serviteur des intérêts des personnes qui ont voté pour le développement de l’oasis.
En prison, j’ai soutenu les neuf conseillers qui ont remporté les élections partielles, d’abord en raison de leur implication exceptionnelle dans les luttes de la population et ensuite parce que l’expérience passée a montré l’échec de tous les représentants de l’Union Socialiste des Forces Populaires (USFP) à diriger la commune et aussi à refléter les aspirations de la population. Cela vaut également pour certains représentants de la gauche.
La question de la démission a été discutée dans le hirak de sorte qu’elle réussise à stopper le gaspillage de l’eau et la mise en place de la loi sur les sociétés régionales à Figuig. Les autorités diffusent de fausses informations et des mensonges, tels que le fait que les conseillers municipaux démissionnaires ne veulent pas de la démocratie. Cela a été réfuté par les résultats des élections partielles du 12 septembre 2024, où les neuf candidats ont raflé les sièges, exprimant la forte volonté de la population. S’il ne s’était pas agi d’élections partielles, ils auraient remporté tous les sièges.
Dès le départ, les nouveaux membres (résultats du 12 septembre 2024) ont demandé une séance consacrée à l’adhésion à l’Entreprise régionale, sans que le président de la Commune ne réponde à leur demande. La coordination locale discute actuellement de la possibilité d’une deuxième démission collective
Le hirak de Figuig a bouclé sa première année. Comment voyez-vous l’avenir de cette lutte, en particulier avec la faiblesse de la solidarité et de la lutte contre la marchandisation de la ressource en eau au niveau national ?
L’avenir du hirak de Figuig est assuré par la détermination de notre part et une véritable solidarité nationale. Au sein de la coordination locale du hirak, nous discutons de l’organisation de nouvelles formes de lutte, avec d’autres mots d’ordre, et davantage de communication avec la population. Se mobiliser sur d’autres revendications (économiques, sociales...) est l’une des armes les plus importantes pour s’assurer que la flamme du hirak continue ici à Figuig.
Nous cherchons collectivement les moyens d’étendre le hirak à l’échelle régionale et nous travaillons dur pour jumeler les mouvements en cours (Tata, le Rif...). La travail commun, la lutte pour arrêter la marchandisation de l’eau et le rejet de la loi sur les entreprises régionales multiservices font partie des questions posées à tous ceux qui sont solidaires avec nous, y compris les structures de défense des droits de l’homme, les syndicats, les associations et les partis.
4 janvier 2025
Notes
Se reporter à Maroc : à Figuig, les femmes en lutte pour le bien commun | NPA
et à Maroc : « L’eau de Figuig n’est pas à vendre ! » | L’Anticapitaliste (NDLT)
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