Ces deux facteurs ont largement contribué à l’inflation sans précédent qui a érodé le pouvoir d’achat et le niveau de vie de la majorité de la population pakistanaise. Les hausses des prix de l’électricité, du gaz et du pétrole résultant des conditions imposées par le FMI ont eu un impact considérable sur les agriculteurs et les communautés rurales. Rien que pour l’électricité, les prix ont augmenté au cours des trois dernières années, passant de 10 à 65 roupies par unité, ce qui en fait le prix le plus élevé de la région. En plus de l’inflation galopante, le Pakistan est encore sous le choc des inondations massives de 2022 qui ont ébranlé le secteur agricole et toute l’économie. Environ 4,5 millions d’hectares de cultures ont subi des dégâts et un million d’animaux de ferme ont été perdus lors des inondations provoquées par les pluies torrentielles. Aucune compensation n’a été versée aux agriculteurs jusqu’à présent, ce qui a contribué à aggraver les inégalités et à augmenter plus que jamais le nombre de « nouveaux pauvres ».

Prêts du FMI
Le Pakistan est membre de la Banque mondiale et du FMI depuis 1950. À ce jour, le FMI a accordé 25 prêts au Pakistan, soit une moyenne d’un prêt tous les trois ans. Le dernier, octroyé en octobre 2024, s’élevait à 7 milliards de dollars, que le Pakistan recevra en 37 versements. Le Pakistan doit rembourser 100 milliards de dollars de dette extérieure au cours des quatre prochaines années, dont 18 milliards au cours de l’exercice financier actuel.
Tous ces prêts, ainsi que les programmes qui les accompagnent et que le Pakistan est tenu de mettre en œuvre en application des clauses de l’accord de prêt, sont censés améliorer le niveau de vie de la population. Cependant, les résultats ont été tout à fait contraires.
Un rapport de la Banque mondiale a estimé le taux de pauvreté du Pakistan à 40,5 % en 2024. Cela signifie que 2,6 millions de personnes supplémentaires au Pakistan tomberont sous le seuil de pauvreté en 2024. Dans la province du Baloutchistan, l’une des plus riches en ressources naturelles, le taux de pauvreté a atteint le chiffre stupéfiant de 70 %. Au cours des cinq dernières années, le taux de pauvreté au Pakistan a augmenté malgré tous les prêts accordés par le FMI, la Banque mondiale et la Chine.
Il est peu probable que le Pakistan parvienne à atteindre bon nombre des objectifs de développement durable (ODD). Dans le seul secteur de la santé, les effets de ces prêts du FMI et de la Banque mondiale ont été dévastateurs. Le remboursement de la dette étant prioritaire par rapport au développement des infrastructures et des services publics, la moitié de la population n’a pas accès aux services sanitaires et de santé de base. Ceux et celles qui peuvent payer sont souvent contraints de s’adresser à des prestataires de soins privés plus onéreux, tandis que ceux et celles qui n’en ont pas les moyens financiers sont obligés de recourir à l’automédication et à des guérisseurs locaux non qualifiés, voire de ne pas se soigner du tout.
Le gouvernement pakistanais actuel, au pouvoir depuis 2022 après une période de gouvernement intérimaire, a rempli les conditions du FMI avec une telle brutalité que cela lui a valu les félicitations de Kristalina Georgieva, directrice générale du FMI, qui a déclaré : « Je tiens à féliciter le gouvernement et le peuple pakistanais d’avoir fait avancer les réformes définies par le Pakistan lui-même ».
Les réformes « définies et prises en charge par le Pakistan lui-même » mentionnées par Mme Georgieva consistent principalement en l’augmentation et l’élargissement de la fiscalité indirecte, en particulier de la taxe générale sur les ventes (TPS), qui s’élève aujourd’hui à 18 %, soit le taux le plus élevé d’Asie du Sud. Les denrées alimentaires sous emballage et la plupart des médicaments ont été les derniers à être inclus dans la liste des produits soumis à la TPS. L’augmentation de la TPS s’inscrit dans le cadre des efforts déployés pour satisfaire aux conditions du prêt du FMI, à savoir augmenter le niveau des recettes fiscales, non pas pour les dépenses sociales, mais pour mobiliser les ressources financières nécessaires au service de la dette et rassurer les bailleurs de fonds. Le gouvernement a également supprimé des subventions et augmenté les impôts et les taxes dans les secteurs de l’agriculture, de l’électricité, du gaz et du pétrole. Suite à cette vague d’augmentation des taxes, un litre de lait conditionné est aujourd’hui vendu à plus de 400 roupies (1,44 $) dans un pays fortement tourné vers l’agriculture et la production laitière. Un litre de lait est aujourd’hui plus cher que le prix d’un litre aux Pays-Bas. Les contraintes incluent également le maintien du salaire minimum légal à seulement 37 000 roupies par mois (134,05 dollars). Mais même ce maigre montant n’est pas perçu par plus de 80 % des travailleurs et travailleuses de l’agriculture et de l’alimentation.
Suppression du prix minimum de soutien aux cultures
D’autres conditions imposées par le FMI ont eu pour effet de supprimer les protections sociales et les filets de sécurité sociale, comme la suppression des subventions accordées aux agriculteurs pour l’électricité, les intrants agricoles et les machines agricoles. Le récent prêt du FMI est assorti d’une nouvelle condition imposant aux gouvernements fédéral et provinciaux du Pakistan de supprimer progressivement le système de prix minimum de soutien (MSP) pour les cultures de base d’ici à juin 2026. Ce système, largement utilisé dans de nombreux pays en développement, a deux objectifs principaux : garantir aux agriculteurs un revenu minimum sur leur production et stabiliser la production et l’offre de cultures essentielles. Si le premier vise à protéger les agriculteurs des fluctuations des prix mondiaux et des ventes en catastrophe pendant les périodes d’excédent, le second protège les consommateurs des déséquilibres entre l’offre et la demande et des dysfonctionnements du marché. Le gouvernement ne fixait le prix minimum de soutien que pour quatre productions, ce qui constitue un léger soulagement pour les agriculteurs.
La promotion de la production agricole industrielle
Les politiques anti-paysannes et anti-pauvres menées par le gouvernement sous couvert de l’ordre économique néo-libéral du FMI et de la Banque mondiale détruisent les moyens de subsistance des agriculteurs. Ce gouvernement anti-fermiers donne le contrôle du secteur de l’agriculture et des systèmes alimentaires à l’armée et aux sociétés transnationales de l’agro-industrie. Les militaires, tout comme le programme du gouvernement, ont commencé à s’emparer de millions d’hectares de terres appartenant aux paysans au nom de l’agriculture d’entreprise.
Le gouvernement, sous le couvert de l’Initiative pour un Pakistan vert, prévoit de récupérer une superficie incroyable de 4,8 millions d’hectares de terres (environ 28 lakhs), dans l’ensemble de notre pays, pour y implanter l’agriculture industrielle. La zone réservée à l’agro-busicness est plus vaste que l’île de la Jamaïque et représente approximativement 9,5 % de la superficie totale du Pendjab.
L’agriculture industrielle entraînera le déplacement de petits agriculteurs qui luttent pour faire face à la concurrence des sociétés agro-industrielles. La concentration de la propriété foncière entre les mains de sociétés privées réduira les possibilités d’emploi pour les travailleurs agricoles et les communautés rurales. Ceux qui ont obtenu des baux pour l’agriculture d’entreprise sont déjà en train d’expulser les fermiers qui cultivaient ces terres depuis des dizaines d’années. Les fermiers ont opposé une forte résistance à l’expulsion et sont prêts à tout pour conserver la terre pour leurs familles.
Une autre lutte d’envergure se déroule dans la province de Sindh, où des milliers de personnes réclament l’arrêt de la construction de canaux sur la rivière Sindh, car il n’y a que peu ou pas d’eau disponible pour ces canaux. Les six canaux prévus se trouvent dans la région du Cholistan, au Pendjab, où il est prévu de pratiquer l’agriculture industrielle sur au moins un demi-million d’hectares de terres. L’agriculture industrielle et le projet d’irrigation massive dans la province du Pendjab ont encore aggravé le différend sur le partage de l’eau avec la province du Sindh.
Privatisation du secteur public imposée par le FMI
Le FMI pousse le Pakistan à privatiser les entreprises publiques depuis au moins 1991. Malgré la privatisation de 172 entreprises d’État entre 1991 et 2015, qui a rapporté 6,5 milliards de dollars, le pays n’a pas été en mesure de combler son déficit budgétaire persistant ni de résoudre le problème de la croissance à long terme. À l’heure actuelle, il reste 85 entreprises d’État qui opèrent dans sept secteurs. Deux tiers d’entre elles réalisent des bénéfices. Environ 80 à 90 % des pertes du secteur public proviennent de neuf entreprises seulement, dont cinq sociétés de distribution d’électricité, du fait des producteurs d’électricité indépendants dont le FMI a préconisé le développement et des orientationsfavorables à la production d’électricité par le secteur privé.
Le gouvernement a privatisé des institutions publiques, notamment la Zarai Taraqi Bank (Banque de développement agricole), qui apporte un soutien essentiel au secteur alimentaire et agricole. La Banque de développement agricole proposait des prêts sans intérêt ou à très faible taux aux communautés d’agriculteurs pour l’achat de machines agricoles et de semences. Les « Utility Stores Corporations » fournissaient depuis 1972 principalement des denrées alimentaires et des produits d’épicerie subventionnés . Les autres grandes institutions publiques concernées par la privatisation sont Pakistan International airlines, Pakistan Life Insurance Corporation, First Women Bank Limited, House Building Finance Corporation, plusieurs compagnies de distribution d’électricité (DISCOS), Pakistan Engineering Company, etc.

Les perspectives et les revendications du PKRC et des syndicats d’agriculteurs affiliés
Les agriculteurs et les paysans pakistanais réclament des comptes sur la responsabilité de la Banque mondiale et du FMI dans la mise en œuvre de politiques économiques néolibérales et d’ouverture des marchés qui aggravent la faim et les inégalités. Le Pakistan Kissan Rabita Committee (PKRC) rejette ces politiques néolibérales d’ouverture des marchés et les accords de libre-échange dictés par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et le FMI, qui donnent la priorité aux profits des grandes entreprises plutôt qu’aux besoins des populations. La décision du gouvernement pakistanais d’autoriser les importations privées de blé sape les efforts des agriculteurs locaux et profite aux sociétés transnationales. Le fait de dépendre des importations a rendu l’approvisionnement alimentaire du Pakistan plus vulnérable à la volatilité du marché mondial.
Le PKRC et les syndicats d’agriculteurs qui lui sont affiliés se battent pour obtenir un prix minimum de soutien (MSP) afin de protéger les agriculteurs. Il s’agit d’une lutte contre les institutions néolibérales et capitalistes telles que le FMI et la Banque mondiale qui poussent le gouvernement pakistanais à supprimer le MSP. Il s’agit d’une lutte contre les politiques néolibérales et anti-paysans d’ouverture des marchés menées par le FMI. Il s’agit d’une lutte pour réguler le marché afin de garantir des prix équitables pour les produits des agriculteurs. Il s’agit d’une lutte pour la parité des prix et contre la concurrence déloyale, les coûts de production paralysants et l’afflux ou le dumping par des importations à prix réduits.
Le gouvernement a la responsabilité de protéger la population des effets secondaires de la stabilisation en lui fournissant des moyens de subsistance dans l’agriculture et d’autres secteurs analogues, en développant la protection sociale et les filets de sécurité et en améliorant l’administration et la bonne gestion des affaires publiques au niveau local. La stabilisation ne doit pas se faire au détriment des pauvres.
Réaction des organisations d’agriculteurs au retrait des subventions et du système de prix minimum de soutien
Au début du mois de mai de cette année, des dizaines de milliers d’agriculteurs pakistanais ont manifesté dans plusieurs villes pour protester contre la décision du gouvernement de ne pas acheter leur blé, ce qui leur a fait subir d’énormes pertes de revenus. Les agriculteurs du Pendjab, la plus grande province du pays et souvent appelée le « grenier à blé » du Pakistan, ont exigé du gouvernement qu’il mette fin aux importations de blé qui ont inondé le marché à un moment où ils s’attendaient à des récoltes abondantes. Les producteurs étaient très en colère à cause des importations de blé qui ont eu lieu au cours du second semestre de l’année dernière et des trois premiers mois de cette année, ce qui a entraîné une surabondance de blé sur le marché et une baisse des prix. Le 21 mai 2024, des manifestations dans 30 districts ont répondu à l’appel du PKRC pour protéger les productions locales.
À la suite des inondations dévastatrices qui ont frappé le Pakistan en 2022, l’impact sur la culture du blé a provoqué une pénurie de blé au début de 2023. Alors que le Pakistan consomme environ 30 millions de tonnes de blé par an, seules 26,2 millions de tonnes ont été produites en 2022, ce qui a entraîné une hausse des prix et de longues files d’attente dans les villes pour acheter du blé. Il y a même eu des cas où des personnes ont été écrasées dans des foules qui tentaient de se procurer du blé.
Le Mouvement démocratique du Pakistan (PDM), la coalition au pouvoir à l’époque, a décidé d’autoriser le secteur privé à importer du blé en juillet 2023, un mois seulement avant le terme de son mandat. Selon les chiffres du ministère de la Sécurité alimentaire nationale et de la Recherche, entre septembre 2023 et mars 2024, plus de 3,5 millions de tonnes de blé ont été importées au Pakistan en provenance du marché international, où les prix étaient beaucoup plus bas. En raison de cet excédent, au début du mois d’avril de cette année, lorsque les agriculteurs pakistanais ont commencé à récolter leur blé, le service national et provincial de stockage alimentaire du pays avait plus de 4,3 millions de tonnes de blé dans ses stocks.
Habituellement, le gouvernement achète environ 20 % de tout le blé produit par les agriculteurs locaux à un prix fixe (environ 5,6 millions de tonnes, sur la base d’un rendement de 28 millions de tonnes en 2023). Cette intervention sur le marché garantit la stabilité des prix, empêche la thésaurisation et maintient la chaîne d’approvisionnement. Cette année, cependant, elle a annoncé qu’elle n’achèterait que 2 millions de tonnes de blé aux agriculteurs pakistanais. Le fait d’avoir permis aux importateurs privés d’introduire un nombre illimité de tonnes de blé dans le pays l’année dernière signifie que les agriculteurs devront désormais vendre ce qu’ils peuvent à d’autres acheteurs, à des prix nettement inférieurs, et qu’ils subiront de lourdes pertes.
L’impact global des mesures prises par la Banque mondiale et le FMI a été très négatif pour l’économie pakistanaise et pour la population. Elles ont accentué les hausses de prix et les inégalités. Le chômage atteint un niveau historique. Il n’est pas surprenant que le FMI et la Banque mondiale soient très impopulaires au Pakistan, car ils ont également servi de prétexte à l’élite locale corrompue pour procéder à des hausses de prix. Sous une forme ou une autre, on assiste chaque jour à des manifestations publiques d’opposition au FMI. Le dynamisme et les actions de ces citoyens ordinaires entretiennent l’espoir de voir les syndicats, les organisations paysannes et le plus grand nombre s’unir pour s’opposer plus fermement aux mesures du FMI et de la Banque mondiale et pour exercer une pression plus forte sur le gouvernement afin qu’il les retire ou les annule purement et simplement.
Farooq Tariq

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