Riesa (Allemagne), reportage
Il est six heures du matin à Riesa, le samedi 11 janvier. Dans la froideur hivernale, plusieurs milliers de manifestants se réunissent devant la gare de la ville. Les trains viennent des métropoles voisines, Dresde et Leipzig. La moyenne d’âge des participants ne dépasse pas les 30 ans. Ils viennent se joindre au rassemblement contre la tenue du congrès du parti d’extrême droite allemand, l’AFD.
Quelques kilomètres en amont, des groupes d’action, organisés par couleur, arrivent en bus. Ils débarquent sur les principaux axes autour de la ville et les occupent. Sit-ins, tripodes, mains engluées sur l’asphalte, toutes les méthodes sont bonnes pour bloquer l’accès à la WT Energiesysteme Arena, la salle où l’AFD prévoit de se rassembler. En tout, près de 200 bus ont convergé depuis toute l’Allemagne aux abords de Riesa.

Nous avons rempli les rues de Riesa a clamé le collectif Widersetzen. © Guillaume Amouret / Reporterre
Le collectif « Widersetzen » (« S’opposer » en français) revendique 15 000 manifestants. Un chiffre important pour cette ville saxonne et ses 30 000 habitants. « Nous avons rempli les rues de Riesa contre le fascisme » a déclaré le collectif par message sur son canal Telegram. Et pour cause, en plus du rassemblement sur le parking de la salle des congrès, une douzaine d’autres manifestations ont eu lieu dans toute la ville.
Une ville bloquée de tous les côtés
Les blocages de la matinée ont été efficaces, selon Fran Leitner, engagé dans le groupe de blocage vert. « Nous avons retardé le début de la conférence et plusieurs participants ne peuvent toujours pas y accéder », revendique l’activiste. Elle et son groupe occupent la sortie sud de Riesa vers la route nationale.
Originaire d’un village dans l’est de l’Allemagne, où le parti d’extrême droite réalise ses meilleurs scores, Fran est directement concernée par la montée du parti d’extrême droite : « L’AFD promeut une politique raciste et queerphobe et cela m’inquiète directement pour moi-même et mes proches. »

Les manifestants ont dû faire face aux nombreux renforts policiers mobilisés pour l’occasion. © Guillaume Amouret / Reporterre
Elle est également membre active du mouvement Ende Gelände et s’opposer aux idées négationnistes de l’AFD sur le climat figure parmi ses priorités : « Nous, les mouvements écologistes, sommes très bien représentés aujourd’hui » affirme-t-elle avant d’ajouter que « la préservation du climat ne va pas de pair avec le fascisme. » Pour elle, il ne peut y avoir de réponse autoritaire à la crise climatique.
Deux heures de retard pour le congrès
Annoncé à dix heures, le congrès de l’AFD a finalement ouvert avec deux heures de retard. Une petite victoire dont s’est targué Widersetzen qui n’est pas à son coup d’essai. En juin dernier déjà, le mouvement avait perturbé la tenue du rassemblement annuel du parti à Essen, dans la Ruhr.
Créé en 2024, Widersetzen est le fruit du regroupement de plusieurs organisations parmi lesquelles l’alliance des syndicats, plusieurs ONG, des associations antifascistes et antiracistes, ainsi que les mouvements écologistes à l’instar de Ende Gelände, Letzte Generation et Fridays for future.

En amont de la manifestation, l’alliance syndicale, la DGB, avait réservé les espaces publicitaires de Riesa pour y afficher des messages anti-AFD. © Guillaume Amouret / Reporterre
Ce samedi, l’enjeu de la manifestation était particulièrement important. De l’autre côté des barrières policières, dans la salle des congrès, le parti investissait sa porte-parole, Alice Weidel, candidate à la chancellerie pour les prochaines élections.
À la suite d’un vote de confiance soumis au Parlement en décembre dernier, la coalition au pouvoir a démissionné et des élections législatives anticipées ont été annoncées pour le 23 février prochain. Selon les sondages les plus récents, l’AFD pourrait se hisser à la deuxième place avec 18 à 20 % des votes, devant les SPD, les Verts et le FDP — membres de la coalition sortante.

Plus jamais ça, peut-on lire sur la pancarte tenue par cette manifestante. © Guillaume Amouret / Reporterre
Lors de son discours, retransmis en direct sur YouTube, Alice Weidel a notamment appelé à la « remigration », concept raciste défendu en France par Eric Zemmour lors de la présidentielle de 2022. C’est précisément ce contre quoi les quelques dizaines de milliers de personnes sont venues manifester à Riesa.
« L’AFD est pour une politique de la division, de la haine et de la peur, sa propagande sape la démocratie », justifie Maria Schmidt, porte-parole de Widersetzen, « c’est pourquoi nous sommes ici dans le froid, pour nous y opposer. »

Les manifestants se sont répartis en cortèges de couleur. Le cortège rose et ses 400 participants ont bloqué les axes au nord de Riesa. © Guillaume Amouret / Reporterre
Vive la solidarité internationale », « tout le monde ensemble contre le fascisme » : sur le parking de la salle des congrès, les slogans ont fusé dans la foule, tandis qu’on les traduisait sur scène en langue des signes. Entre les prises de paroles et les concerts, le rassemblement a rapidement pris des airs de festival. La foule dansait pour se réchauffer.
« Nous voulons un parti démocratique qui s’engage pour l’agriculture et reconnaît le changement climatique »
En début d’après-midi, plusieurs cortèges se sont formés pour parcourir la ville. Parmi les chars de cortège, un tracteur avec à son bord Dorothee, 28 ans. Cette employée d’une exploitation laitière située à environ 20 kilomètres de Riesa est venue avec une quarantaine de collègues vivant aux alentours.
Les raisons de leur présence sont simples, comme l’explique Dorothee : « Nous voulons un parti démocratique qui s’engage pour l’agriculture et reconnaît le changement climatique. » Or, le programme de l’AFD répond aux deux propositions par la négative. C’est pourquoi, pour elle, la lutte est nécessaire.

Pour se ravitailler, les antifascistes ont cuisiné des biscuits contre le nazisme et l’AFD. © Guillaume Amouret / Reporterre
Sur les pancartes, un thème est revenu de temps à autre : le soutien de l’oligarque étasunien Elon Musk à l’AFD. Deux jours avant le congrès, Alice Weidel était l’invité de Musk en direct sur sa plateforme X. Une grande source d’inquiétude pour Manuel, venu pour l’occasion de Ratisbonne dans le sud de l’Allemagne : « Il a une influence et une portée que les partis n’ont pas », explique-t-il. Fin décembre, le milliardaire avait créé la polémique en publiant une tribune en soutien à l’AFD dans le journal Die Welt.
Un parlementaire matraqué jusqu’à l’inconscience
Le parcours du dernier cortège s’est finalement achevé vers 17 heures. Du côté de la police, on dresse un bilan positif : le congrès et la manifestation ont bien pu avoir lieu. Le comité d’organisation voit les choses autrement. Il critique notamment l’usage de matraques et l’entrave, par la police, au droit de manifester.
Deux heures durant, un barrage policier a bloqué la progression du cortège de la gare vers le rassemblement principal. Par ailleurs, le membre du Parlement régional de Saxe, Nam Duy Nguyen, membre du parti de gauche Die Linke, présent en qualité d’observateur parlementaire, a été frappé au visage par un policier jusqu’à perdre temporairement connaissance. La police a ouvert une enquête sur l’incident.
Guillaume Amouret
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