Dimanche 8 décembre, un post apparaît sur le compte du réseau social X de Jean-Luc Mélenchon : « Je me réjouis à 100 % de la chute du régime d’al-Assad en Syrie. Je me méfie à 100 % des nouveaux maîtres du pays. J’espère à 100 % que des élections libres sous contrôle international redonnent aux Syriens leur pouvoir démocratique. » Dans la foulée, peu après la chute du despote syrien, mettant un terme à treize ans de guerre civile, un communiqué du groupe La France insoumise (LFI) à l’Assemblée nationale est publié.
« Le régime de Bachar El Assad s’est effondré. Nul ne peut le regretter. Il doit être jugé pour ses crimes abominables », commence-t-il, avant d’appeler à ce que « la coalition des combattants qui sont venus à bout de lui [soit] évaluée avec prudence du fait des liens originels entre son leader et Al Qaïda ». Et d’ajouter : « Le peuple syrien doit donc être consulté au plus vite sur son avenir. » Les mots sont pesés et rejoignent, à quelques nuances près, ceux d’autres personnalités de gauche qui appellent à une « transition pacifique du pouvoir » ou encore à ce que la Syrie choisisse « librement le nouveau [pouvoir] ».
Des responsables de LFI, qui réagissent à titre personnel, vont même plus loin dans la description de l’horreur du régime syrien. La députée Ersilia Soudais déclare que « le régime d’Assad restera dans les mémoires comme celui d’un tyran sanguinaire », tandis que l’eurodéputée Rima Hassan se félicite de sa chute après « quatorze années de dictature et d’impasse qui ont sacrifié la vie de millions de civils syriens ».
Jean-Luc Mélenchon, sur le plateau de l’émission « Dimanche en politique », le 17 novembre 2024. © Photo Stéphane Le Tellec / Abaca
Ce florilège n’a pas échappé à ceux qui, depuis des années, critiquent les positions de LFI sur les questions internationales.
Le juriste et activiste de la révolution syrienne Firas Kontar a ainsi répliqué à Jean-Luc Mélenchon : « 100 % mensonge », en repostant une vidéo dans laquelle le leader de LFI justifiait, en 2015, les bombardements russes en Syrie. Le même, face aux dénonciations par LFI des crimes israéliens à Gaza, n’a cessé de rappeler que le sort des Palestinien·nes n’a pas toujours été embrassé avec autant d’énergie, comme en témoignerait le silence observé sur l’enfer du camp palestinien de Yarmouk, assiégé pendant deux ans par les forces du régime syrien.
De même, le coordinateur de Place publique à Paris, Saïd Benmouffok, a critiqué la crédibilité du triple candidat à la présidentielle sur la question, en l’accusant d’avoir « soutenu Poutine, qui a permis à Bachar El Assad de tenir jusqu’au dernier jour ». Le professeur d’histoire Christophe Naudin a aussi remarqué le récent infléchissement de LFI sur la Syrie : « Apparemment ça bouge à LFI finalement, timidement certes mais c’est déjà ça. »
Des attaques malhonnêtes, d’autres à prendre au sérieux
Car l’apparent consensus à LFI sur la chute de Bachar al-Assad cache en sourdine une difficile contorsion politique. Les précautions que Jean-Luc Mélenchon prend, en mettant en équivalence sa satisfaction à voir le régime dictatorial s’effondrer et sa méfiance vis-à-vis de la coalition rebelle emmenée par le leader islamiste Abou Mohammed al-Joulani, en disent long sur les préventions qu’il sait devoir lever.
L’ancien député des Bouches-du-Rhône s’est carrément fendu d’un communiqué, le 9 décembre, pour contester l’idée qu’il aurait pu être « conciliant » vis-à-vis du régime de Bachar al-Assad. Il répond en particulier à un post sur X de l’ancienne ministre Nathalie Loiseau, repris par le Journal du dimanche. Le communiqué rappelle qu’à plusieurs reprises Jean-Luc Mélenchon a condamné Bachar al-Assad en souhaitant « permettre aux Syriens de se débarrasser eux-mêmes de [lui] ». Puis qu’il s’est « aligné sur les demandes de la résolution adoptée à l’unanimité par le Conseil de sécurité de l’ONU le 21 décembre 2016 », pour « une transition politique conduite par les Syriens et prise en main par eux ».
Enfin, il précise le contexte dans lequel il s’était, en 2019, félicité de l’intervention de l’armée syrienne : il s’agissait d’une réplique à « l’opération lancée par l’armée turque le 9 octobre 2019 contre les forces démocratiques kurdes agissant dans le nord de la Syrie ». « Il est donc faux d’insinuer qu’il se serait agi d’un soutien au régime sanguinaire dans sa répression des rebelles », conclut le communiqué.
Le rappel des faits est toutefois sélectif. Certes, des procédés malhonnêtes ont été utilisés contre lui. Sur les réseaux sociaux, on a ainsi vu resurgir une photo datant de 2001, où l’on voit le futur leader insoumis passer en revue la Garde républicaine aux côtés de Bachar al-Assad. Le cliché avait déjà circulé en 2012, pendant sa première campagne présidentielle, et des opposants l’ont à nouveau diffusé lors de la campagne des européennes de 2024.
Le contexte, volontairement éludé, empêche en réalité d’en tirer des conclusions politiques. Il s’agissait d’une visite d’État du président syrien, lors de laquelle Mélenchon, alors membre du gouvernement de Lionel Jospin, avait rempli une tâche protocolaire à la demande de ce dernier. Hormis ce moment, les deux hommes n’ont eu aucun échange pendant la visite du successeur d’Hafez al-Assad, qui fut alors décoré de la Légion d’honneur par Jacques Chirac.
D’autres épisodes sont cependant beaucoup plus gênants. Nourrissant les doutes sur la sincérité de Jean-Luc Mélenchon, ils lui collent à la peau. Tous sont postérieurs à l’intervention de l’armée russe aux côtés de Bachar al-Assad, à partir de 2015, pour écraser la révolte syrienne, qui s’était militarisée et internationalisée au fil de la répression.
Le 21 octobre de cette même année, Jean-Luc Mélenchon affirme à Public Sénat que l’armée russe « s’est donné pour objectif de frapper Daech ». Commentant les critiques déjà émises à l’époque contre des frappes qui ciblent jusqu’aux hôpitaux, il interpelle : « Vous connaissez une guerre où on bombarde et où les civils ne reçoivent pas de bombes ? »
Quelques mois plus tard, dans l’émission « On n’est pas couché », interrogé sur ces déclarations, il réitère. Répondant « oui » à Léa Salamé qui lui demande s’il approuve ce que fait Poutine en Syrie, notamment dans la ville d’Alep, il ajoute : « Je pense qu’il va régler le problème. Éliminer Daech. » Sauf que le groupe terroriste avait déjà été chassé de la cité avant la destruction de cette dernière, et que Daech a bien plus été affaibli par les frappes aériennes occidentales et les Kurdes au sol que par l’armée russe, qui a concentré ses efforts sur l’opposition syrienne au clan Assad.
Une cécité accablante
Quoique ces faits aient été documentés, Mélenchon poursuit dans cette veine dans un discours prononcé à l’Assemblée nationale le 30 octobre 2019. Il se félicite alors de la condamnation, par les député·es, d’une agression du régime turc contre les Kurdes positionnés de l’autre côté de la frontière syrienne. Dans la foulée, il appelle à rouvrir l’ambassade de France et le lycée français Charles-de-Gaulle à Damas. « Heureusement que la Russie était là, glisse-t-il à nouveau à cette occasion, car c’est elle qui, en un an, a réglé ce que tous les autres réunis ont été incapables de faire, c’est-à-dire écraser la soi-disant armée du soi-disant État islamique. »
« Une incroyable falsification de l’histoire », commente le journaliste Denis Sieffert dans un livre publié en 2021, en regrettant une indignation variable à propos des franchissements de frontière. Il remarque que si Mélenchon a dénoncé vigoureusement l’incursion turque, il n’a jamais eu de mots aussi durs contre « la présence de 70 000 miliciens iraniens, ou sous le contrôle de Téhéran », venus soutenir Bachar.
Depuis, le sujet n’avait guère été abordé dans les expressions publiques du patron de LFI – il faut dire que, de manière générale, la classe politique française s’est désintéressée de la Syrie, et même que Bachar al-Assad a fait l’objet d’une normalisation à bas bruit depuis le tremblement de terre du 6 février 2023.
Le sujet s’est cependant réinvité le 29 novembre, lors d’une des conférences régulières du leader insoumis à destination de ses sympathisant·es, baptisées « Le moment politique ». Ironisant sur le matériel « flambant neuf » des rebelles entamant leur offensive-éclair contre le régime déliquescent, Mélenchon cite alors « le fil d’Informations ouvrières », organe des trotskistes lambertistes du Parti ouvrier indépendant (POI), pour suggérer qu’ils seraient à la solde des États-Unis.
La source de cette « information » est en fait sujette à caution, puisqu’il s’agit d’un ancien sénateur américain très conservateur, complotiste et habitué des chaînes de propagande des régimes russe et chinois. Négationniste du dérèglement climatique, propagateur de fausses informations dans le but de dénigrer le président ukrainien Zelensky, il s’est aussi illustré, dans le cas syrien, en qualifiant de « mise en scène » les attaques chimiques de Bachar al-Assad
Depuis hier, sans surprise, aucune des déclarations des cadres insoumis n’est revenue, de manière critique, sur les analyses les plus contestables du leader du mouvement. Il est frappant que, dans son tweet, Rima Hassan évoque une révolution « confisquée par les puissances régionales et occidentales », sans juger bon d’évoquer la Russie.
Difficile de ne pas voir, au fil de ces années, et malgré des déclarations convenues contre la dictature et le droit à la liberté du peuple syrien, la marque d’un anti-impérialisme hémiplégique, exclusivement tourné vers les États-Unis et épargnant volontiers la Russie, mais aussi une compréhension fruste de la nature du régime syrien, comme si celui-ci n’avait pas instrumentalisé l’islamisme pour son propre compte.
« Le nationalisme arabe, laïque et socialiste a disparu depuis longtemps, rappelait le journaliste indépendant Dominique Vidal en 2022. Les régimes de Saddam, hier, ou d’Assad, aujourd’hui, n’ont aucun rapport avec ceux des années 1960-1970. […] De véritables mafias dominent l’Irak comme la Syrie. Et la dimension laïque s’est réduite au point de n’être plus qu’une façade pour Occidentaux de passage. »
À côté de la tendance au « campisme » et de la persistance rétinienne d’un nationalisme arabe gauchisant qui n’existe plus, la proximité assumée avec la cause kurde a joué dans les positions controversées sur la question syrienne. C’est au nom de cette cause que Mélenchon s’était réjoui, en 2019, de l’arrivée de l’armée syrienne au nord du pays, pour répondre à l’agression turque du régime d’Erdoğan. « Bonne nouvelle », avait-il tweeté en affirmant qu’il fallait « les aider ».
Dimanche, sur France Info, la cheffe de file des député·es LFI, Mathilde Panot, avançait que c’était du côté de ces forces que se trouvait la solution pour un avenir pluraliste de la Syrie post-Assad. Dans le communiqué publié lundi par LFI, leur « confédéralisme démocratique » est évoqué. Une solidarité qui ne suffit cependant pas à rendre compte des déclarations les plus problématiques du leader insoumis.
Mathieu Dejean et Fabien Escalona