Carrière de calcaire d’âge Lutétien située à Bonneuil-en-Valois dans l’Oise, ayant fourni les pierres « dures » pour le chantier de restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris. © 2022 – D. Dessandier, BRGM., Author provided (no reuse)
La réouverture de la cathédrale Notre-Dame de Paris le 7 décembre 2024, cinq ans seulement après le terrible incendie qui l’a ravagée, n’aurait pas été possible sans avoir trouvé, dans le délai imparti, des pierres aux qualités bien particulières et disponibles en quantités hors normes pour remplacer les pierres d’origine endommagées.
L’incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris, en avril 2019, a engendré des travaux de restauration importants, avec des besoins hors normes en pierres « neuves » pour remplacer les pierres d’origine endommagées.
Les responsables du chantier ont fait face à une priorité inédite : garantir l’approvisionnement en pierres de remplacement adaptées et disponibles en quantité suffisante. Et à une question cruciale : où les trouver ?
Le BRGM (le service géologique national français), en lien étroit avec notamment l’établissement public Rebâtir Notre-Dame de Paris (RNDP), les architectes et le Laboratoire de recherche des monuments historiques (LRMH), a trouvé des solutions pour sécuriser cet approvisionnement dans des délais extrêmement courts.
De la difficulté à trouver des pierres de remplacement pour les monuments historiques
En France, le nombre de carrières de pierres de construction est en constante diminution depuis la fin de la 1ere guerre mondiale. Il reste aujourd’hui moins de 500 exploitations en activité. Seule une moitié extrait des calcaires, l’autre moitié étant constituée de granites, grès et autres roches.
Les chantiers de restauration des monuments historiques et autres bâtiments anciens se trouvent ainsi confrontés à une difficulté croissante pour trouver les « bonnes pierres de remplacement », c’est-à-dire des pierres analogues d’un point de vue physico-mécanique et esthétique, aux pierres d’origine des édifices.
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Cette situation est notamment vraie pour de nombreux monuments parisiens, dont la cathédrale Notre-Dame de Paris, construits en calcaires d’âge géologique « Lutétien », c’est-à-dire formés il y a 45 millions d’années environ.
Où trouver aujourd’hui du calcaire lutétien ?
Les calcaires du Lutétien rassemblent plusieurs « faciès géologiques » qui offrent des qualités de pierres différentes, depuis des pierres tendres et poreuses jusqu’à des pierres dures et résistantes, avec chacune leur domaine d’emploi dans la construction d’un édifice.
Extraits durant le Moyen-âge du sous-sol même de Paris, les calcaires du Lutétien ont été au fil des siècles tirés de carrières de plus en plus éloignées de la capitale, du fait d’un épuisement des gisements d’origine. S’y est ajoutée une urbanisation grandissante.
S’ils affleurent encore dans de nombreux secteurs du bassin parisien, ils ne sont plus exploités de nos jours pour la pierre de construction que dans neuf carrières seulement, pour la plupart « à ciel ouvert », toutes situées au nord-est de Paris.
Déjà rendu compliqué par ce nombre restreint de carrières, l’approvisionnement des chantiers de restauration en pierres calcaires du Lutétien s’avère même critique pour les pierres les plus « dures », à la fois peu présentes dans les carrières actuelles et rarement disponibles en bancs de roches suffisamment épais pour fournir des blocs de hauteur d’assises de plus de 30 centimètres.
Un chantier aux besoins hors normes
C’est dans ce contexte qu’est survenu l’incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris d’avril 2019. Celui-ci a causé de très importants dommages aux pierres – des calcaires du Lutétien – d’origine de l’édifice. Le chantier de restauration a ainsi nécessité un volume de pierres de remplacement sans commune mesure : environ 1000 mètres cubes (m3) de blocs « finis », contre quelques m3, jusqu’à quelques dizaines de m3 au maximum pour les chantiers « ordinaires » d’entretien et de restauration de monument.
Ce volume hors normes en pierres « neuves » devait en outre être mis à disposition du chantier dans un délai et selon un calendrier particulièrement contraints au vu de l’ampleur des travaux. Enfin, les pierres de remplacement attendues devaient présenter des caractéristiques physico-mécaniques et esthétiques précises.
L’enjeu était qu’elles soient les plus proches possibles de celles des pierres d’origine dans la cathédrale, afin de garantir la compatibilité entre blocs d’origine maintenus dans les parties endommagées et blocs juxtaposés de pierre « neuves ».
Neuf carrières passées au peigne fin
Face à cet enjeu de maîtrise de l’approvisionnement en pierres du Lutétien, une première action conduite par le BRGM en 2020-2021 a permis d’évaluer :
• la capacité des neuf carrières encore actives de calcaire du Lutétien, situées précisément dans les départements de l’Oise et de l’Aisne, à fournir certains types (ou « qualités ») de pierres compatibles avec les pierres d’origine de la cathédrale,
•ainsi que leur capacité à répondre, tout ou partie, aux besoins spécifiques en pierres « neuves » du chantier de restauration.
Pour ce faire, chaque carrière a fait l’objet d’investigations de terrain par les géologues du BRGM, permettant d’établir sa coupe géologique et d’inventorier et échantillonner 32 types (qualités) de pierres d’intérêt potentiel.
Des analyses en laboratoire ont été réalisées sur chaque échantillon collecté afin d’en obtenir une caractérisation physico-mécanique complète (porosité, résistance à la compression…). Chaque échantillon de carrière a également fait l’objet d’une description visuelle (couleur, texture, taille de grains, fossiles…) et d’une comparaison « esthétique » avec des échantillons de pierres provenant de la cathédrale.
L’ensemble de résultats ont été restitués sous la forme d’un guide méthodologique de sélection des pierres pour la restauration de la cathédrale Notre-Dame-de-Paris accompagné d’une collection d’échantillons de référence à destination des architectes.
Le rôle crucial de la carrière de la Croix-Huyart
Parmi les 32 types de pierres du Lutétien proposées en remplacement, 12 pierres de duretés variables ont ainsi été jugées conformes aux exigences du chantier et présélectionnées par les architectes.
Pour les pierres tendres venant notamment en remplacement des petits blocs constitutifs des voûtes effondrées, les qualités et quantités nécessaires se sont avérées disponibles en carrière. Elles ont pu être par la suite mises à disposition des tailleurs de pierre sans difficulté, puis mises en œuvre sur la cathédrale.
Concernant les pierres les plus dures, représentant de loin les plus gros besoins du chantier de Notre-Dame avec environ 750 m3 de blocs taillés, la situation s’est avérée plus compliquée.
Si le guide méthodologique a montré l’existence de pierres suffisamment dures dans six sur neuf des carrières étudiées, seule une carrière, celle de la Croix-Huyart à Bonneuil-en-Valois dans l’Oise, s’est avérée renfermer un banc de roche suffisamment haut.
En effet, celui-ci devait dépasser 40 cm d’épaisseur, la hauteur d’assise minimum requise pour l’essentiel des blocs nécessaires à la restauration de la cathédrale. Les besoins atteignaient même régulièrement 60 voire 80 cm.
Cette carrière présentait en outre la particularité de n’être qu’une petite exploitation, d’où la pierre était extraite par un opérateur seul et en quantités modestes, destinée uniquement à l’atelier de taille de pierre familial proche.
Sécuriser et contrôler les pierres fournies
L’établissement public RNDP et le BRGM ont rapidement, dès mi-2021, lancé une seconde action focalisée sur la sécurisation de l’approvisionnement du chantier en pierres dures de la Croix-Huyart, portant sur un volume total d’environ 750 m3 de blocs taillés (« produits finis », prêts à poser). Cela nécessitait l’extraction dans la carrière d’un volume beaucoup plus conséquent de pierres, 2000 m3 environ.
Ces pierres ont été, à titre exceptionnel, achetées directement au carrier (l’exploitant de la carrière) par le maître d’ouvrage (RNDP) et non par les entreprises de taille de pierre, comme d’usage. Ceci a permis à fois d’avoir une meilleure maîtrise de la qualité et des délais d’approvisionnement, mais aussi de limiter, dans un objectif d’usage raisonné des ressources du sous-sol, le taux de « perte-matière » tout au long du process de transformation des pierres, de même que les stocks superflus.
Un échéancier a alors été établi par RNDP et les architectes pour la mise à disposition de la matière aux entreprises de taille de pierre, en cohérence avec le planning général des travaux.
Une procédure rigoureuse et particulièrement novatrice a été élaborée puis appliquée par le BRGM, s’appuyant sur des contrôles de qualité, de conformité et de traçabilité de la pierre. Elle s’appuyait sur cinq étapes clés tout au long de la chaine d’approvisionnement en pierre :
• L’extraction en carrière dans les bancs de pierre de la qualité requise, aboutissant à la production de blocs bruts grossièrement équarris, de plusieurs mètres cubes.
• Une première transformation de la pierre, dans l’atelier de débit primaire associé la carrière, et produisant des blocs équarris et sciés sur quatre faces (de un à deux mètres cubes).
• La mise à disposition de ces gros blocs « sciés quatre faces », entreposés sur une aire de stockage dédiée au chantier de la cathédrale, aux différentes entreprises de taille de pierre intervenant sur le chantier pour qu’ils procèdent à la sélection de blocs de dimensions répondant à leurs besoins.
• Une seconde transformation, dans les ateliers mêmes de ces entreprises de taille de pierre, consistant à débiter au sein des blocs « sciés quatre faces » sélectionnés, les différents éléments architecturaux.
Contrôles de blocs « sciés quatre faces » de pierres calcaires « dures » d’âge Lutétien » entreposés sur le site. Author provided (no reuse)
Contrôles de blocs « sciés quatre faces » de pierres calcaires « dures » d’âge Lutétien » entreposés sur le site. — D. Dessandier, BRGM, Fourni par l’auteur
Sur une période s’étalant de mars 2022 à mars 2024, près de 90 contrôles, en carrières ou dans les ateliers de première ou seconde transformation de la pierre ont été menés par le BRGM.
Au total, 671 blocs bruts de pierre « dure » du Lutétien ont été présélectionnés dans la carrière de la Croix-Huyart, pour un total de 545 blocs « sciés 4 faces » obtenus. Le volume total de pierres mises à disposition des entreprises de taille de pierre a été de 752 m3.
Comme en atteste la réouverture de la cathédrale à la date prévue, ces deux actions auront donc porté leurs fruits. L’approvisionnement en pierres de remplacement conformes aux exigences de ce chantier exceptionnel a pu être assuré.
L’édifice est désormais paré de pierres « neuves » juxtaposées à des pierres mises en œuvre il y a plusieurs siècles, de « qualités » analogues et sans que les futurs visiteurs ne puissent, à l’œil nu, distinguer le « vieux » du « neuf ».
David Dessandier, Docteur en sciences de la terre, direction des géosciences, BRGM
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