Séoul (Corée du Sud).– Au petit matin, le premier rassemblement organisé s’est tenu près de la mairie de Séoul, sous l’impulsion du syndicat le plus puissant de Corée du Sud, la Confédération coréenne des syndicats, qui a déclaré une grève générale illimitée. Puis à midi, le Parti démocrate, principal parti d’opposition, s’est rassemblé devant le Parlement, et a exigé le départ du président Yoon Suk-yeol.
Kim Kyeong-Hwa*, 52 ans, est venue avec son fils et sa détermination. « L’objectif, c’est la démission du président. Et nous devons l’atteindre le plus vite possible, car nous étions sur le point de devenir un pays éclairé et développé, mais nous avons 20 ou 30 ans de retard à l’heure actuelle », soupire la mère de famille.
Tout a commencé au cœur de la nuit du 3 au 4 décembre, à 22 h 25. C’est dans son bureau du quartier de Yongsan-gu que le chef de l’État, Yoon Suk-yeol, a proclamé la mise en œuvre de la loi martiale. Cette annonce surprise est intervenue alors que l’opposition, majoritaire au Parlement, avait voté une réduction d’environ 2,8 milliards de dollars du budget de l’État pour 2025.
Manifestation devant le parlement sud-coréenne à Séoul le 4 décembre 2024, pour demander la destitution du président Yoon Suk-yeol après l’imposition extraordinaire mais de courte durée de la loi martiale. © Photo Anthony Wallace / AFP
La veille, lundi 2 décembre, le Parti démocrate avait soumis à l’Assemblée nationale des motions visant à mettre en accusation quatre proches du pouvoir, dont des procureurs. Dans son allocution télévisée, le président conservateur a accusé l’opposition de « paralyser les tribunaux », qualifiant l’Assemblée nationale de « foyer de criminels ».
Une nuit de tensions
Dès l’annonce de cette loi martiale décidée sans l’accord des député·es, pourtant nécessaire selon la Constitution, des blindés militaires ont convergé vers le Parlement, et des hélicoptères ont atterri sur le toit du bâtiment. Les forces de l’ordre ont été déployées pour bloquer les accès à l’Assemblée.
Cette loi entraînait l’interdiction de toutes les activités politiques et restreignait la liberté de presse. Les médias ont donc été placés sous la surveillance du gouvernement, comme l’a déclaré Park An-su, le chef de l’armée, dans un communiqué cité par l’agence coréenne Yonhap. Selon ce texte, « toute personne violant la loi martiale peut être arrêtée sans mandat ».
Mais il en fallait plus pour arrêter la mobilisation populaire et la résistance des contre-pouvoirs de la démocratie sud-coréenne. Le président de l’Assemblée nationale, Woo Won-shik, a jugé « nul et non avenu » l’état d’exception décidé par Yoon Suk-yeol. 190 députés sur 300, de l’opposition comme de la majorité (172 député·es du Parti démocrate, et 18 du Parti du pouvoir populaire, le PPP, dont est issu le président) ont rejeté la loi martiale.
Pour y parvenir, certains ont dû escalader les barricades installées par la police. Ils étaient soutenus à l’extérieur par des manifestant·es en colère, résolu·es à ne plus revivre les heures sombres de la dictature militaire. Concédant sa défaite, Yoon Suk-yeol a accepté le vote des parlementaires et levé la loi martiale. Son chef de cabinet, Chung Jin-suk, et son conseiller à la sécurité nationale, Shin Won-sik, ont présenté leur démission.
Un rassemblement pour la démocratie samedi
Hwang Seong-Jun, en fauteuil roulant, a mis plus de deux heures pour se déplacer jusqu’aux portes de l’Assemblée : « Je suis né pendant le gouvernement militaire de Chun Doo-hwan [1980-1988 – ndlr], j’ai bien sûr longtemps entendu parler de la loi martiale. En voyant le contexte politique actuel de notre pays, j’ai mal au cœur. Mais je suis heureux de pouvoir être ici. »
Cela faisait plus de quarante ans que la loi martiale n’avait pas été décrétée. Une telle décision avait été prise en octobre 1979, après l’assassinat du président autoritaire Park Chung-hee, au pouvoir depuis 1961 après un putsch. Cette date reste tristement célèbre en Corée du Sud, puisqu’elle marque également une répression sanglante.
Hwang Jee-Hi, elle, n’est pas sortie de son quartier de Noryangjin, au sud du fleuve Han qui traverse Séoul. « Je n’ai pas pu dormir de la nuit. J’avais très peur, j’ai appelé mes amis, et je me suis dit qu’il ne fallait pas traîner dehors tard ce soir. Je n’avais que ça en tête. Et si ça se terminait comme Gwangju ? » L’étudiante cite le nom de cette ville où des centaines de manifestant·es, qui s’étaient soulevé·es contre la junte militaire en mai 1980, avaient été tué·es.
À cette époque, la mère de Lee Min-Ha* se trouvait à l’université. « Ma maman était à la tête d’un mouvement étudiant pro-démocratie, à Séoul. Elle s’est même retrouvée deux fois en prison pendant quelques mois pour avoir manifesté, en 1985 et en 1987. » Alors, quand sa mèrela prévient de l’instauration de la loi martiale, Min-Ha a paniqué. « Je me suis sentie étouffer. Et puis j’ai été triste bien sûr, parce que je me sentais si fière que notre pays ait réussi à atteindre cet idéal qu’est la démocratie, en très peu de temps. » Un idéal pour lequel elle ira se battre samedi 7 décembre, lors d’un rassemblement à Séoul où des milliers de personnes sont attendues.
Lors de l’élection présidentielle de 2022, Yoon Suk-yeol avait réussi à arracher la victoire de justesse à son adversaire démocrate Lee Jae-Myung. Depuis, sa présidence est émaillée de scandales. Une partie de l’opinion l’avait rendu responsable de la tragique bousculade d’Itaewon lors d’Halloween, il y a deux ans, le 29 octobre 2022, qui avait fait 159 morts. Cette année, ce sont des accusations d’ingérence de la part du président dans les élections parlementaires qui ont fait trembler le sommet de l’État.
Au matin du 4 décembre, les principaux collaborateurs de Yoon Suk-yeol ont présenté leur démission, tandis qu’une motion de destitution a été déposée contre lui par le Parti démocrate et cinq autres petits partis. L’opposition a également annoncé son intention de porter plainte « pour rébellion » contre le chef de l’État. Une plainte qui viserait aussi ses ministres de la défense et de l’intérieur, et des « personnalités clés de l’armée et de la police, telles que le commandant de la loi martiale [un général de l’armée – ndlr] et le chef de la police ».
La motion de destitution pourrait être votée dès le vendredi 6 décembre et, pour passer, elle devra réunir plus des deux tiers des député·es. Dans ce cas, Yoon sera suspendu de ses fonctions. La Cour constitutionnelle aura le dernier mot pour le démettre.
Camille Ruiz
* Il s’agit d’une identité d’emprunt.