Gérard Prévost est né en 1955, avant-dernier d’une fratrie de cinq enfants. Son père, maçon, gardien du cimetière communal à Graçay dans le Cher, avait pris part aux combats de la Libération du département dans les rangs des FTP. Sa mère avait été ouvrière dans un atelier de confection. À l’école primaire, les enseignants qui mettaient en œuvre la pédagogie Freinet lui ont donné le goût de l’autonomie et de l’apprentissage autonome. Il apprécia d’autant moins les deux années qui suivirent, en quatrième pratique puis en collège technique à Vierzon, et se fit embaucher à seize ans dans une petite entreprise de charpentes métalliques.
Après six mois de formation dans un centre de Formation professionnelle pour adultes (FPA), il obtint son CAP mais ne voulut pas se fixer, fugua et prit la route sac au dos, au gré des opportunités et de ses envies. En 1975, il revint pout faire son service militaire à la Base aérienne de Tours, où la rencontre avec les animateurs d’un comité de soldats clandestin militants à « Révolution ! » (future Organisation Communiste des Travailleurs) constitua un tournant. Libéré, il rejoignit l’un d’entre eux à Corbeil-Essonnes (91,) où il trouva du travail dans une minoterie industrielle et commença à vivre et militer avec le groupe local de l’organisation. Son contrat terminé, il fit le choix de retourner dans le Berry, à Châteauroux où celle qui allait devenir la femme de sa vie, Hélène Dray, faisait ses études d’infirmière.
En 1977, la petite entreprise de papier-carbone dans laquelle il avait été pris en CDD racheta une unité de production à Louviers, où on lui proposa un contrat à durée indéterminée. L’hôpital embauchait aussi, le couple changea donc de région. Hélène créa une section CFDT, Gérard un syndicat CGT. Il fut rapidement coopté au bureau de l’Union locale parce qu’il était dynamique et qu’il avait eu la prudence de ne pas laisser transparaître ses sympathies politiques. Les dirigeants du syndicat, membres du PCF, étaient en effet obnubilés par « les gauchistes ». Pour eux, cela englobait aussi bien la municipalité « socialiste autogestionnaire », animée par le Comité d’Action de gauche (CAG) et le PSU, que l’union locale CFDT ou les militant.e.s de la LCR. C’est dans « groupe Taupe » de cette dernière, tourné vers le « travail ouvrier », qu’il trouva un cadre de soutien à son activité, avant d’intégrer les rangs de l’organisation en 1979.
En 1980, suite à un incendie jamais élucidé, l’entreprise déposa le bilan. Chômeur, il fit une nouvelle formation dans un centre FPA pour obtenir un CAP d’ajusteur mécanicien. La LCR faisait alors un effort pour tourner ses militant.e.s vers la grande industrie, et dans la région de Louviers, « la grosse boîte », c’était Renault Cléon. Suite à l’élection de F. Mitterrand, Gérard profita d’une vague d’embauche de jeunes en « contrat de solidarité ». Il fut agent de production (OS) à une chaîne de montage de boîte de vitesse, en travail posté par quarts pendant treize ans.
Reconnu comme un militant efficace dans son atelier, il réussit, malgré les efforts contraires des militants du PCF qui tenaient alors la direction du syndicat, à faire accepter sa candidature sur la liste CGT aux élections des délégués du personnel. Élu en juillet 1983, il détint différents mandats jusqu’à son départ à la retraite en 2013. Pendant trente ans, il contribua à animer un syndicat puissant et combatif, dont l’équipe de direction, pluraliste à partir de la fin des années 80, avait le souci de favoriser l’expression de « la base », de saisir toutes les occasions de créer des convergences et de construire des solidarités hors du monde de l’industrie (Confédération paysanne, manifestations altermondialistes). Il fut particulièrement attaché à la commission culturelle du Comité d’entreprise.
C’est dans ce cadre qu’il eut en 2005 l’occasion de rencontrer la chanteuse Dominique Grange qui lui accorda une interview pour le journal Rouge.
Un mandat de délégué constituait aussi une protection qui permettait de distribuer le bulletin d’entreprise de la LCR aux portières deux fois par mois sans risquer de sanctions. La cellule Renault-Cléon compta jusqu’à huit militants et une militante dans l’entreprise, dont le plus ancien, René Cottrez, avait été l’un des jeunes ouvriers en pointe en mai 68, et des « extérieurs », souvent enseignants. Elle se réunissait le samedi matin tous les quinze jours à Elbeuf (Seine-Maritime) pour permettre à ceux qui avaient travaillé en équipe du soir la veille (jusqu’à 22h22) de récupérer. Pour Gérard Prévost, en couple avec une infirmière qui elle-même travaillait, un week-end sur deux et en quart inversés pour se consacrer à l’éducation de leurs deux garçons, la motivation était soumise à des contraintes sérieuses. Vivant à Louviers, Gérard Prévost restait intégré au réseau à la fois amical et militant de la LCR locale. C’est ainsi que lorsqu’il suivit une formation interne à l’usine pour obtenir un BEP d’électrotechnicien, deux lycéens du groupe des Jeunesses communistes révolutionnaires (JCR) lui donnèrent des cours de maths le samedi après-midi. L’un s’appelait Erim Can, l’autre Olivier Besancenot.
Ils se retrouvèrent bientôt au sein de la tendance « Révolution ! » de la LCR, tout comme la plupart des membres des cellules de Cléon-Elbeuf et Louviers, convaincus du caractère central de « l’intervention ouvrière » et de l’affirmation d’un pôle révolutionnaire avec Lutte ouvrière (LO). Sur cette plate-forme, en février 1992 il fut délégué au 10e congrès national de la LCR, puis en juin 1994, au 11e congrès national.
En 1988, quand la section voulut faire l’expérience d’une candidature à l’élection cantonale, il accepta d’être la « tête d’affiche » (2,16 % soit 108 voix). Une nouvelle candidature en 1992, avec un résultat à peine supérieur, rencontra cependant un écho tel que cela déboucha sur la création de « À Gauche Vraiment ! », avec une quinzaine de personnes qui étaient en accord mais ne voulaient pas adhérer à la LCR. C’était aussi le fruit d’expériences de travail en commun, autour de SOS Racisme, dans le comité contre la guerre du Golfe et enfin dans le comité de soutien à la grève de cinq semaines à Renault Cléon à l’automne1991. Il y avait là des anciens du PS, du PC, du CAG, du PSU, de la Ligue, des syndicalistes CFDT et CGT.
Gérard Prévost devint ainsi la figure publique d’une activité locale incessante sur tous les terrains possibles. Il fut candidat aux élections législatives de 2002 (2,53 %) et de 2007 (3,80 %), tête de liste aux élections municipales en 1995, enfin élu en 2001, seul - avec 11 % des voix au premier tour - de la liste « A Gauche Vraiment ! ». En 2008 il fut réélu, mais avec 8% au second tour, le NPA manquait le deuxième siège à quelques voix près. Bien que, au long de ces sept années, il ait eu l’appui d’une commission municipale qui travaillait efficacement sur les dossiers et la préparation collective de ses interventions, Gérard Prévost n’a pas voulu se retrouver une nouvelle fois seul en lice dans un combat pied à pied avec un maire social-libéral qui muselait son groupe, intimidait la gauche traditionnelle et recourait en permanence à l’insulte et au mépris de classe à l’égard de son seul opposant véritable. Il laissa la place à Sophie Ozanne, cheville ouvrière de la commission municipale avec Philippe Thouément, qui lui succéda.
Après l’élection présidentielle de 2007, en septembre, Gérard Prévost fit un passage remarqué en compagnie d’Olivier Besancenot dans l’émission télévisée « Duel » qu’animait la journaliste Christine Ockrent sur France 3. Le lancement du NPA suscitait un nouvel élan, à l’usine, comme à Louviers, où le comité compta plus de quarante cartes. Les grandes espérances retombèrent assez vite, la déception fut à leur mesure, laissant place à la fatigue accumulée. À l’usine d’abord, puis à Louviers, Gérard Prévost se mit progressivement en retrait et quitta le NPA en juin 2012. Membre actif de la Société d’Études Diverses de Louviers, il continue à participer ponctuellement à des actions militantes : c’est encore sur lui que repose en grande partie l’animation musicale du rendez-vous antimilitariste du 11 novembre, dont il fut à l’initiative en 1998. Joueur de mandoline dans le style « country », en duo avec son vieux camarade Pierre à la guitare, le refrain d’une des chansons qu’il a composées annonce la couleur : « Ta vie de prolo, non faut pas la quitter, n’y laisse pas ta peau, faut juste la changer ».
Pierre Vandevoorde
SOURCES :
— Hélène Adam, François Coustal, C’était la Ligue, Syllepse et Arcane 17, 2019.
— Fanny Gallot, L’intervention de Lutte Ouvrière et de la Ligue communiste révolutionnaire à Renault-Cléon de 1968 à 1991, Université de Rouen, Master 1 et 2, 2006, sous la direction d’Olivier Feiertag.
— Fanny Gallot, entretien avec Gérard Prévost, 17 mai 2006.
— Christophe Wargny, Louviers : Sur la route de l’autogestion ?, éditions Syros, 1976.
— Gérard Martin « Réponse à ceux qui sont passés de la lutte des classes à la lutte des places »
http://bulletindestravailleurs.over-blog.com/article-reponse-de-gerard-martin-a-ceux-qui-sont-passes-de-la-lutte-des-classes-a-la-lutte-des-places-59434499.html.
— NPA 27 « Pour un bilan du CAG et de la municipalité autogestionnaire »
http://bulletindestravailleurs.over-blog.com/article-pour-un-bilan-du-cag-et-de-la-municipalite-autogestionnaire-de-louviers-122437223.html.
— Pierre Vandevoorde, « Pour une histoire des trotskystes dans l’Eure. Les débuts de la Ligue à Louviers (1969-1978) », Europe solidaire sans frontière :
http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article39972
— Adrien Carré, L’extrême gauche et la transmission d’un héritage politique à Louviers, mémoire de Master Science politique, Université de Lille 2, 2012, 120 pages.
— Olivier Besancenot, Tout est à nous !, Denoël, 2002, p.18.
— Éric Hacquemand, Olivier Besancenot, L’irrésistible ascension de l’enfant de la gauche extrême, éditions du Rocher, 2008.
— Hugo Melchior, « Des trotskystes à l’usine, le « tournant vers l’industrie » de la LCR par ceux qui l’ont vécu », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 69-4, octobre-décembre 2022.
— Entretiens de l’auteur avec Gérard Prévost.
— Notice du Maitron.