Les anciens membres du PRD nommés sont :
- Mugiyanto Sipin, vice-ministre des Droits de l’Homme
- Agus Jabo Priyono, vice-ministre des Affaires sociales
- Faisol Riza, vice-ministre de l’Industrie
- Nezar Patria, vice-ministre de la Communication et des Affaires numériques
- Budiman Sudjatmiko, directeur de l’équipe nationale pour l’accélération de la réduction de la pauvreté
Du militantisme radical au pouvoir : une trajectoire qui interroge
Le PRD, fondé en 1996, portait un projet radical de transformation de la société indonésienne, dont :
- Une démocratie multipartite complète
- Une économie socialiste avec propriété collective des secteurs stratégiques
- La fin du rôle politique de l’armée
- Une réforme agraire profonde
Cette évolution suscite de vives critiques dans les milieux militants indonésiens. Certains y voient une trahison des idéaux originels du PRD, d’autres un exemple de plus du « transformisme politique » qui caractérise la démocratie indonésienne post-Suharto.
Les défenseurs de ces nominations évoquent la nécessité du pragmatisme et l’importance d’avoir des progressistes au sein du gouvernement. Les critiques, eux, rappellent que le PRD considérait autrefois les compromis avec les « restes de l’ordre ancien » comme une trahison de la révolution démocratique.
Analyse : au-delà des apparences
L’article démontre que ces nominations ne reflètent pas tant une ouverture idéologique qu’un calcul politique. La plupart des nommés avaient quitté le PRD depuis les années 2000 pour poursuivre des carrières dans différents partis traditionnels ou dans le journalisme. Le parti lui-même s’est progressivement éloigné de ses positions radicales pour adopter une ligne plus modérée à partir de 2007.
Le ralliement de ces anciens opposants à Prabowo Subianto s’inscrit dans une tendance plus large de « réconciliation nationale » en Indonésie, qui voit d’anciens adversaires politiques collaborer au sein des institutions.
Cette recomposition illustre les paradoxes de la démocratisation indonésienne : si elle a permis l’émergence d’un système pluraliste, elle n’a pas conduit aux transformations sociales profondes qu’espéraient les militants pro-démocratie des années 1990.
Mark Johnson
Indonésie : Comprendre la nomination d’anciens dirigeants du PRD au cabinet Rouge et Blanc
Le lundi 21 octobre 2024, le président Prabowo Subianto, accompagné de son vice-président Gibran Rakabuming Raka, a procédé à l’investiture des ministres et vice-ministres de son nouveau cabinet Rouge et Blanc pour la période 2024-2029 au Palais présidentiel de Jakarta.
Parmi les nominations qui ont retenu l’attention figurent plusieurs anciens cadres du Parti démocratique populaire (PRD) : Mugiyanto Sipin comme vice-ministre des Droits de l’Homme, Agus Jabo Priyono comme vice-ministre des Affaires sociales, Faisol Riza comme vice-ministre de l’Industrie et Nezar Patria comme vice-ministre de la Communication et des Affaires numériques. Le lendemain, mardi 22 octobre, Prabowo nommait Budiman Sudjatmiko à la tête de l’équipe nationale pour l’accélération de la réduction de la pauvreté (BP Taskin).
Des réactions contrastées
Ces nominations ont suscité des réactions diverses, y compris parmi les anciens cadres ou militants du PRD (ancien ou nouveau). Certains ont accueilli cette nouvelle avec enthousiasme ou l’ont justifiée comme faisant partie de la lutte politique.
Certains anciens cadres du PRD, comme Ragil, sont allés jusqu’à réinterpréter l’analyse originelle du PRD et son programme de lutte pour justifier leur soutien à l’administration Prabowo-Gibran. De manière générale, on a supposé que ces anciens cadres du PRD représentaient une continuité avec le parti lui-même. De même, on a présumé que le PRD n’avait pas connu de changements depuis sa création en 1996.
Les origines radicales du PRD
Dans la publication officielle du PRD « Pembebasan » (Libération) de novembre 1996, un article intitulé « Une fois encore, la démocratie est la réponse ! », issu du manifeste politique du parti, affirmait que la solution devait être « radicale ». Cette position s’expliquait par le caractère fondamental des problèmes : « le système autoritaire du Nouvel Ordre a construit une dictature militaire avec un système économique capitaliste monopolisé par la famille Cendana [l’ancien président Suharto et sa famille] ».
L’article détaillait ensuite la forme de société et de gouvernement souhaitée après le régime du Nouvel Ordre de Suharto. Trois axes majeurs étaient définis :
1. Politique : la démocratie la plus complète possible
- Démocratie multipartite
- Libertés fondamentales : opinion, presse, organisation, information
- Direction politique nationale assurée par une « Coalition démocratique populaire »
- Respect des droits humains et du droit à l’autodétermination
- Abolition du double rôle socio-politique des forces armées
2. Économie : orientation socialiste
- Économie régulée par l’État pour le bien-être de tous
- Développement industriel et agricole orienté vers le transfert de technologie
- Propriété sociale des entreprises stratégiques
- Réforme agraire et agriculture coopérative
3. Programme de transition
- Abolition des lois politiques restrictives de 1985
- Retour au système électoral démocratique de 1955
- Neutralité politique de l’armée
L’évolution des anciens cadres
Il serait cependant erroné de considérer ces cinq anciens membres, y compris les auteurs du journal Pembebasan, comme représentatifs du PRD. La plupart d’entre eux avaient quitté le parti depuis les années 2000.
Nezar Patria s’est éloigné du PRD après son enlèvement en 1998, poursuivant une carrière dans le journalisme chez Tempo. Mugiyanto et Faisol Riza sont restés actifs jusqu’en 2001. Riza a ensuite collaboré avec Wimar Witoelar, ancien porte-parole du président Abdurahman Wahid, avant de rejoindre le Parti du réveil national (PKB) de Muhaimin Iskandar.
Mugiyanto a quitté le PRD suite à des désaccords avec la direction. Avec d’autres cadres, il a formé la Faction socialiste démocratique (FDS), devenue plus tard l’Association socialiste démocratique (PDS), orientée vers les ONG de défense des droits humains.
Budiman Sudjatmiko a cessé ses activités pendant la destitution de Gus Dur en 2001. Après des études en Angleterre, il a rejoint le Parti démocratique indonésien de lutte (PDI-P) de Megawati Sukarnoputri et a été élu député pour deux mandats avant de soutenir Prabowo en 2024.
La transformation du PRD
Le PRD lui-même a connu des changements majeurs. Après l’échec électoral de 2004, le parti s’est réorganisé pour les élections de 2009. Sous la direction d’Agus Jabo Priyono, le parti a abandonné en 2007 ses principes sociaux-démocrates pour adopter l’idéologie nationale du Pancasila. Le PRD s’est finalement dissous en juin 2021 pour devenir le Parti de la justice et de la prospérité du peuple (Prima).
Une analyse critique des nominations
Les nominations de ces anciens cadres du PRD ne peuvent être comprises comme une reconnaissance de leur passé militant. Leur recrutement s’explique plutôt par des considérations politiques immédiates :
- Pour Budiman Sudjatmiko et Agus Jabo Priyono : leur soutien à Prabowo pendant la campagne présidentielle
- Pour Mugiyanto : son rôle dans la « réconciliation » entre Prabowo et les familles des victimes des enlèvements de 1997-98
- Pour Faisol Riza : ses liens avec le PKB
- Pour Nezar Patria : sa collaboration antérieure avec Prabowo dans le cabinet Jokowi
Conclusion
L’intégration d’anciens opposants au gouvernement Prabowo ne représente pas une victoire pour le mouvement populaire. Au contraire, elle risque de dévaluer la lutte historique pour la démocratie en la réduisant à un tremplin pour des carrières individuelles.
Comme le note un commentateur : « Maintenant, tout est question de nuances. On soutient un général responsable d’enlèvements s’il montre une touche de nationalisme... Avec une touche de Venezuela, il pourrait même se transformer en Hugo Chavez. »
Si le PRD a joué un rôle révolutionnaire dans la lutte contre Suharto, les actions de ses anciens cadres aujourd’hui ne s’inscrivent plus dans cette continuité. L’histoire du PRD mérite d’être étudiée, tant pour ses réussites que pour ses erreurs, mais la construction d’un nouveau parti reste nécessaire pour achever la révolution démocratique et réaliser les aspirations socialistes.
Hadi Sutanto
Dipo Negoro
Traduction et anglais par James Balowski
Adaptation, encadrés et traduction Adam Novak avec le logiciel Claude.ai
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