Erim, jeune kurde alévi promis à un avenir de berger dans les collines d’Erzincan, sur l’Euphrate. Il s’était retrouvé à l’école primaire à Louviers après que son père avait trouvé une embauche définitive dans une usine proche. À 15 ans, en seconde, jeune rebelle « des quartiers », il avait pris contact avec la LCR. Premières réunions, avec un autre jeune, qui lui était encore au collège. Le chat sauvage commença par reprocher au « jeune bourgeois » interloqué de ne pas habiter comme lui en immeuble. Le foot, le rap les rapprochèrent très vite, et ils s’entendirent bientôt comme larrons en foire, en particulier quand il s’agissait de faire tourner en bourrique leur mentor.
Erim redoubla et leurs « années lycées » communes furent très occupées : SOS Racisme, grèves, tracts, collage, prises de parole, manifs, et pour finir un massif comité lycéen contre la guerre du Golfe…. Leur groupe de JCR fougueux(ses) profita de l’expérience et du savoir-faire des militant.e s aîné.e.s, et, en dépit du plaisir qu’ils éprouvaient à ne pas faire tout à fait ce que leurs aînés leur recommandaient, ils eurent l’occasion de découvrir les problèmes bien différents qui se posaient à des ouvriers révolutionnaires investis de responsabilités syndicales, en particulier chez Wonder ou à Renault Cléon, et de suivre l’activité municipale du groupe « À gauche vraiment ».
Après le bac S, Erim partit à la fac à Rouen. Toujours leader reconnu dans son quartier, il fut désigné par le maire-adjoint à la sécurité -alors au PCF- comme l’instigateur d’un affrontement avec la police. Il fut arrêté, comme plusieurs de ses camarades. Une vigoureuse campagne de protestation, ponctuée par deux manifestations de près d’un millier de personnes, déboucha sur leur libération au bout de trois semaines. L’affaire fut discrètement classée plus d’un an après, mais lui et les autres, tous racisés, en ont payé le prix en termes de refus d’embauche…
Plus tard, ayant obtenu sa naturalisation, après bien des années de petits boulots, il réussit le CAPES de physique-chimie. Il fut un prof consciencieux qui se souvenait du sale gamin qu’il avait été. Il savait captiver ses élèves.
Il a laissé un garçon de 13 ans, Djian, qu’il élevait seul depuis la disparition de sa mère, Florence, en 2016. Elle, membre de l’encadrement de l’usine M-real, elle qui venait vraiment d’un milieu bourgeois, découvrit le milieu amical et politique du NPA dans lequel elle se trouva d’emblée à l’aise, n’hésitant pas donner quelques coup de mains discrets. Florence fut l’amour de sa vie. Profondément affecté par les dures épreuves d’une longue maladie dans laquelle il l’avait accompagnée avec constance, il s’était peu à peu complètement replié sur lui-même. Il est mort en juin des suites d’un cancer foudroyant.
Pierre Vandevoorde