Le sujet n’a pratiquement jamais émergé lors des débats. Pas d’actualité, apparemment, malgré la succession d’événements climatiques extrêmes subie par les États-Unis ces dernières semaines : ouragans au sud-est du pays, incendies en Californie… Loin derrière les questions d’inflation ou d’immigration, les enjeux écologiques ont été une fois de plus relégués au second plan du duel entre Donald Trump et Kamala Harris.
Alors que nous vivons des années décisives, selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), pour tenter de contenir le chaos climatique, la campagne présidentielle américaine a totalement enjambé ces questions. Une impasse d’autant plus dommageable que ce qui va se jouer le 5 novembre déborde largement les frontières du pays, deuxième plus grand pollueur de la planète.
Depuis le retrait de Joe Biden, la candidate démocrate, Kamala Harris, n’a jamais su – ou voulu – prendre la main sur des sujets qu’elle connaît pourtant très bien. Visiblement persuadée qu’elle n’avait que des coups à prendre sur cette thématique, elle s’est laissé enfermer dans une posture défensive, reculant même sur des marqueurs importants de son engagement passé.
Un drapeau américain au milieu des dégâts causés par les inondations à la suite de l’ouragan Helene le 2 octobre 2024 à Chimney Rock, en Caroline du Nord. © Photo Sean Rayford / Getty Images via AFP
Quant aux rares fois où les enjeux écologiques ont été abordés par Donald Trump et son colistier J. D. Vance, ce fut pour lancer des attaques ultra-agressives, et souvent farfelues, contre la candidate démocrate. « Si elle remporte l’élection, la fracturation hydraulique en Pennsylvanie disparaîtra dès le premier jour »,avait taclé Trump dans le débat face à Harris le 12 septembre, brandissant le spectre de centaine de milliers de chômeurs et, bien sûr, d’une explosion des prix de l’énergie – alors même que la démocrate a promis de ne pas l’interdire.
Trump avait déjà largement déployé cet argumentaire contre Joe Biden, ces derniers mois, en expliquant que ses subventions massives à la transition énergétique, dans le cadre de la loi IRA (Inflation Reduction Act), avaient été « destructrices pour l’industrie et l’emploi, favorables à la Chine et anti-américaines ».
La diplomatie environnementale menacée
L’inflation et l’envol des prix de l’essence à la pompe ces dernières années ont été un angle d’attaque régulier de Trump. Un sujet hautement inflammable dans un pays qui compte presque autant de voitures que d’habitants et qui a fondé une partie de son mythe sur l’abondance énergétique et l’extractivisme pétrolier, comme l’a montré notamment la philosophe Cara New Daggett, autrice de plusieurs ouvrages sur le sujet.
En meeting à Atlanta, dans l’État de Géorgie, J. D. Vance a même campé Kamala Harris en écologiste extrémiste, avide de supprimer les piliers de l’American way of life : « Kamala Harris veut interdire vos gazinières et vous empêcher de manger de la viande rouge. »
Face à cette salve d’attaques, la candidate démocrate est allée de recul en recul, revenant même sur son opposition à la fracturation hydraulique, technique d’extraction extrêmement polluante du gaz de schiste et particulièrement développée en Pennsylvanie, un des États clés du scrutin, où cette exploitation des hydrocarbures non conventionnels fait vivre près de 500 000 personnes.
Sur le pétrole, alors que Trump ressortait son slogan de 2008 « drill, baby, drill » (« forer, forer, et encore forer »),Harris a même mis en avant le fait qu’avec Biden, ils avaient accordé plus d’autorisations de forer à l’industrie pétrolière et gazière que sous l’administration Trump.
À mille lieues des enjeux réels, la campagne aura cantonné l’écologie à des questions relevant de la souveraineté énergétique et à l’inflation, Kamala Harris s’en tenant pour le reste à évoquer en passant les sujets de santé, jugés plus « concernants », liés à la qualité de l’eau et de l’air.
Ce recul stratégique de Kamala Harris, convaincue qu’il n’y a rien à gagner à parler d’environnement aux États-Unis, où la question de la sobriété n’existe pas, a douché les espoirs des mouvements écologistes états-uniens (Sunrise Movement, Climate Justice Alliance, Greenpeace), qui lui avaient apporté immédiatement un soutien qu’ils n’avaient pas accordé à Biden.
À l’origine de la création de la première unité de justice environnementale au début des années 2000, lorsqu’elle était procureure à San Francisco, Kamala Harris a, ensuite, comme procureure générale de Californie, fait condamner plusieurs multinationales dans des dossiers de pollution mettant en danger la santé des habitants. Dans les primaires démocrates de la précédente élection présidentielle, elle avait aussi défendu, face à Biden, un « Green New Deal » ambitieux, finalement mis en œuvre sous l’actuel président.
À aucun moment, la candidate démocrate n’a mis en avant le fait que, le 5 novembre, le choix que feront les Américains aura aussi un impact sur l’ensemble de la diplomatie environnementale.
Donald Trump, qui continue d’affirmer que le réchauffement climatique est une notion « inventée par et pour les Chinois », a ainsi déclaré qu’il sortirait immédiatement de l’accord de Paris, comme il avait commencé à le faire lors de son premier mandat, avant que l’élection de Joe Biden ne gèle ce retrait. Contenir le réchauffement climatique à moins de 1,5 °C n’est clairement pas la priorité de celui qui déclarait, il y a quelques semaines, dans un dialogue avec le milliardaire Elon Musk, que la montée des océans de quelques centimètres permettrait d’avoir « plus de maisons en bord de mer »...
Son élection mettrait à terre les négociations avec la Chine – marquées par la déclaration de Sunnylands – visant à faire progresser les deux pays conjointement dans la réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre. Un signal catastrophique, tant il est vrai que les deux pays les plus pollueurs n’avanceront qu’ensemble sur ce chemin.
Un Trump de retour à la Maison-Blanche sonnerait aussi le glas des discussions entre l’Union européenne et les États-Unis autour de la taxation carbone aux frontières de l’UE. Là encore avec des effets délétères pour la lutte contre les dérèglements climatiques.
L’Américain moyen, qui produit près de 15 tonnes de CO2 par an, le double ou le triple de la plupart des citoyens européens, a dans son bulletin de vote une grenade climatique qu’il ignore.
Lucie Delaporte