Awni Al-Mashni et moi nous connaissons depuis plus de dix ans. Nous avons le même âge et vivons à une heure de route l’un de l’autre – lui à Bethléem, moi à Tel Aviv. Mais notre histoire personnelle est totalement différente : j’ai servi dans l’armée israélienne, tandis qu’Awni a passé du temps dans les prisons israéliennes pour ses activités au sein du Fatah. Néanmoins, après avoir été présentés par un ami palestinien commun, nous avons immédiatement constaté que nous partagions des valeurs communes et, plus important encore, une vision commune.
Sur la base de ces valeurs et de cette vision, nous avons cofondé en 2012 une organisation initialement appelée « Deux États, une patrie », aujourd’hui connue sous le nom de « Une terre pour toutes et tous », qui propose les grandes lignes d’une solution confédérale au conflit israélo-palestinien. Depuis, nous nous sommes rencontrés des centaines de fois, nous avons voyagé ensemble en Israël et en Cisjordanie, et nous avons parlé à des milliers d’Israélien·nes et de Palestinien·nes. Nous nous parlons au téléphone – en arabe, car Awni ne parle ni hébreu ni anglais – au moins deux ou trois fois par semaine, parfois plus. Nous sommes devenus non seulement des partenaires politiques, mais aussi des amis.
Au cours de ces longues années, nous avons dû surmonter de nombreuses crises graves dans les relations israélo-palestiniennes : la guerre de Gaza de 2014, l’« Intifada des couteaux » de 2015, la Grande Marche du retour de 2018, l’« Intifada de l’unité » de 2021, et bien d’autres encore. Mais aucune crise ne s’est approchée de celle du 7 octobre et de l’assaut israélien sur Gaza qui s’en est suivi. Le choc de ce jour-là et la peur profonde de l’avenir de cette terre nous accompagnent depuis lors.
Pour marquer le premier anniversaire de la guerre, Awni et moi avons enregistré une conversation. Avant même de commencer à parler, nous savions qu’il y aurait une limite à la progression de la conversation : Awni, sensible comme il l’est, ne peut pas comprendre la profondeur du choc émotionnel que j’ai ressenti face aux atrocités infligées par le Hamas le 7 octobre ; et moi, sensible comme je le suis, je ne peux pas comprendre la profondeur du choc émotionnel qu’il a ressenti face au massacre délibéré de son peuple à Gaza.
En outre, il ne s’agissait pas d’une conversation entre égaux. Je suis du côté de l’occupant, Awni est du côté de l’occupé. Si je ne nie pas la responsabilité du Hamas et d’autres groupes palestiniens pour les crimes qu’ils ont commis, je suis profondément convaincu que le fondement de toute violence entre Israélien·nes et Palestinien·nes réside dans ce que mon État et mon peuple ont fait et continuent de faire chaque jour. Tant que nous, Israélien·nes, n’aurons pas corrigé cette injustice, ni nous ni les Palestinien·nes ne pourrons vivre ici en paix.
La conversation suivante a été modifiée pour des raisons de longueur et de clarté.
Meron : Je voudrais te rappeler la conversation que nous avons eue il y a un an, le 7 octobre. L’un d’entre nous, je ne sais plus qui, a dit que les attaques étaient inattendues et pourtant tout à fait prévisibles. À mon avis, on pouvait s’attendre à ce que le siège de Gaza explose un jour et à ce que tout le statu quo s’effondre. Ce que je n’aurais pas pu prévoir, c’est la brutalité des actions du Hamas ce jour-là – le meurtre de civil·es dans leurs maisons, le massacre au festival Nova – ainsi que l’incapacité de l’armée israélienne à protéger les civil·es. Comment te souviens-tu de tes sentiments ce jour-là ?
Awni : Il m’est difficile de penser à ce que j’ai ressenti ce jour-là après tout ce qui s’est passé depuis. Le fait est que tant qu’il y aura une occupation, tant que les Palestinien·nes seront attaqué·es et emprisonné·es, les causes sous-jacentes du 7 octobre existeront toujours. Je ne sais pas ce qui va se passer, mais je sais que le peuple palestinien n’acceptera pas que la situation perdure à jamais. Le 7 octobre, c’était le Hamas. À l’avenir, il pourrait s’agir d’autres organisations plus radicales. Viendront-elles de Cisjordanie ? De Jordanie ? Je ne sais pas, mais elles viendront.
Meron : Je ne t’ai pas demandé ce que tu penses maintenant, je t’ai demandé ce que tu a ressenti le 7 octobre. Quelle a été ta plus grande surprise ce jour-là ?
Awni : La plus grande surprise a été la capacité du Hamas à faire une telle chose, et la faiblesse de l’armée israélienne. Ce jour-là, j’ai réalisé que le Hamas avait tué beaucoup de civil·es. Je suis contre le fait de tuer des civil·es, quels qu’iels soient et où qu’iels soient. Je suis contre le fait de tuer des civil·es lors d’un festival, contre le fait de tuer des femmes et des enfants, des Israélien·nes, des Palestinien·nes, des étranger·es. J’ai exprimé clairement ces sentiments, j’ai écrit des articles à ce sujet et je continue à défendre ces points de vue. Le fait qu’Israël ait tué 40 000 Palestinien·nes à Gaza n’a pas changé ces sentiments il est inacceptable de tuer près de 1 000 civil·es israélien·nes, tout comme il est inacceptable qu’Israël commette des destructions massives à Gaza.
Meron : À ce moment-là, il était clair pour nous qu’après ce qui s’était passé le 7 octobre, la réponse israélienne serait sévère et violente. t’attendais-tu à ce qui s’est passé ensuite ?
Awni : Honnêtement, je ne m’y attendais pas. Je m’attendais à ce qu’il y ait des meurtres, des bombardements, une invasion de Gaza. Mais à une telle échelle ? Je ne m’y attendais pas. Et la plus grande surprise pour moi n’a pas été la réponse de l’armée, mais l’ampleur du soutien du public israélien à la tuerie et à la famine.
Je pensais que l’armée israélienne commettrait des crimes de guerre, mais qu’il existait une société israélienne aux valeurs humaines et morales qui ne l’accepterait pas. Je me souviens qu’un demi-million d’Israélien·nes ont protesté à Tel-Aviv contre le massacre de Sabra et Chatila [en 1982] et ont contraint [le ministre de la défense Ariel] Sharon [qui a été tenu pour responsable de l’autorisation du massacre] à mettre en place une commission d’enquête. Je pensais qu’un demi-million d’Israélien·nes s’élèveraient contre cette tuerie à Gaza. Le fait que la société israélienne soit devenue plus extrémiste que l’armée, la critiquant même pour ne pas avoir tué suffisamment, m’a surpris.
Comment vois-tu la société israélienne d’aujourd’hui, où les journalistes dans les studios de télévision distribuent des bonbons et des chocolats et font péter le champagne pour célébrer les massacres ?
Meron : Je ne m’attendais pas non plus à ce qu’Israël atteigne ce niveau de violence et de barbarie. Je souffre que des gens que je vois dans la rue, dans les cafés, dans les hôpitaux, aient pu commettre ou soutenir ces crimes. J’entends ce que les gens disent et j’ai honte.
Cela fait plus de 1 ans que nous travaillons ensemble pour la paix, l’égalité et l’acceptation mutuelle entre Juifs/Juives et Palestinien·nes. Mais aujourd’hui, je me demande si la société israélienne acceptera un jour qu’il y ait un autre peuple sur cette terre et qu’il mérite d’avoir des droits. Je me demande si les efforts que nous avons déployés pendant toutes ces années ont eu un quelconque impact, et je n’ai pas de réponse.
Les Israélien·nes ne voient pas ce qui s’est passé le 7 octobre de la même manière que toi. Ils n’ont vu que la barbarie incompréhensible du Hamas. De nombreuses et nombreux Israéliens ont des parent·es qui ont été tué·es, et je comprends leur désir de vengeance. Nous sommes des êtres humains. Mais nous sommes arrivés à un point où il n’y a plus de limite à ce qu’Israël peut faire.
Awni : On peut peut-être comprendre, pour des raisons humaines, que ce qui s’est passé le 7 octobre suscite des sentiments de vengeance. La question est de savoir ce qui va découler de ce qui se passe à Gaza. Qu’adviendra-t-il de la génération palestinienne qui est façonnée par ces événements ? Comment les enfants palestiniens grandiront-ils ? Pourront-ils considérer un·e Israélien·ne comme un·e partenaire ? Je n’ai pas de réponse à ces questions.
Meron : Que réponds-tu aux personnes qui t’interrogent à ce sujet ? Après tout, les gens savent que tu fais partie d’une organisation qui comprend des Israélien·nes et des Palestinien·nes.
Awni : Les personnes me demandent : « Comment pouvons-nous vivre avec ces personnes qui vont à des manifestations appelant à tuer davantage de Palestinien·nes, ou qui bloquent les camions apportant de l’aide à Gaza ? » Puis-je leur dire : « Elles et ils sont simplement en colère à cause du 7 octobre ? » Ce à quoi nous assistons est plus qu’une simple réaction au 7 octobre : c’est un plan politique d’expulsion et de destruction.
Meron : Nous avons tenu de nombreuses réunions avec des Israélien·nes. Si nous devions tenir une telle réunion maintenant, que dirais-tu à quelqu’un·e qui te demanderait comment les Israélien·nes peuvent vivre avec les Palestinien·nes après ce que nous avons vu le 7 octobre – et le fait que tous les sondages d’opinion montrent qu’une majorité de Palestinien·nes, tant en Cisjordanie qu’à Gaza, soutiennent ce qui s’est passé le 7 octobre ?
Awni : C’est une question logique et juste. Mais les Israélien·nes ont la mémoire courte. Les trois quarts des Palestinien·nes étaient en faveur d’Oslo et de la paix avec les Israélien·nes. Les Palestinien·nes de Jéricho sont allé·es déposer des rameaux d’olivier devant les chars israéliens. Mais 30 ans plus tard, les Palestinien·nes n’ont toujours pas obtenu leurs droits. Tu me demandes pourquoi la société palestinienne soutient la résistance ? Parce que lorsque les Palestinien·nes se tournent vers la paix, elles et ils n’obtiennent toujours pas leurs droits.
Les Palestinien·nes ont accepté deux États dans les frontières de 1967, une Palestine démilitarisée et une supervision internationale. Mais Netanyahou n’a pas engagé de négociations avec les Palestinien·nes depuis plus de dix ans. Si les Palestinien·nes ne se voient pas accorder un État et s’iels ne sont pas autorisé·es à mener une vie normale sans être confronté·es à la violence des soldats et des colons armés et à l’expropriation de leurs terres, comment peut-on s’attendre à ce qu’iels ne soutiennent pas le Hamas ?
Meron : J’ai récemment écouté une discussion à laquelle tu as participé avec le Dr Basem Naim, membre de la direction du Hamas. Tu lui avais demandé pourquoi le Hamas avait décidé seul de l’opération du 7 octobre et pourquoi il n’avait pas préparé et protégé la population de Gaza. Avec le recul, penses-tu que ce que le Hamas a fait était une erreur ?
Awni : Peut-être que l’action était une erreur, et peut-être qu’elle n’aurait pas dû être menée de cette manière. Il aurait dû être interdit de tuer des civil·es israéliens·ne. Mais il était impossible que la situation à Gaza se poursuive indéfiniment. Il était impossible que Gaza reste assiégée pendant encore 20 ou 3 ans, que [le ministre israélien de la sécurité nationale Itamar] Ben Gvir fasse ce qu’il fait dans les prisons pendant encore 10 ou 20 ans, que les colonies de Cisjordanie continuent de s’étendre comme elles le font aujourd’hui. Peut-être que le 7 octobre lui-même était une erreur, mais on ne peut pas prendre petit à petit les terres du peuple palestinien, tuer ses fils et ses filles, démolir ses maisons, et s’attendre à ce qu’il ne fasse rien.
Je voudrais te poser une question : sans le 7 octobre, les Palestinien·nes auraient-iels un État ? Auraient-iles leurs droits ? Seraient-iles mieux traité·es ? Tu m’avais dit que le octobre avait mis les Israélien·nes en colère, au point de faire des choses irrationnelles. Mais ce qui est arrivé aux Palestinien·nes de 1967 à aujourd’hui ne risque-t-il pas aussi de les mettre en colère et de les rendre irrationnel·les ?
Ce qui s’est passé le 7 octobre, et ce qui s’est passé depuis, n’enlève rien au fait qu’il y a deux peuples sur cette terre, et que ces deux peuples ne peuvent pas continuer éternellement sur la voie de la violence.
Meron : Y crois-tu ? Malgré tout ce qui s’est passé ?
Awni : J’y crois, oui. Ce qui s’est passé à Gaza met les gens en colère, mais il y a une réalité sur le terrain : il y a sept millions d’Israélien·nes et sept millions de Palestinien·nes sur cette terre. La guerre n’y changera rien, même si l’Iran ou la Syrie entrent dans le conflit, ou si Israël occupe Bagdad.
Je pense que nous devons trouver un moyen pour que ces deux peuples vivent ensemble, mais pas quand un peuple domine, opprime et conquiert l’autre. Je pense que la société israélienne est malade et qu’elle a besoin d’être guérie – et pas seulement parce que les illusions d’Israël mettent en danger les Palestinien·nes, mais aussi elleux-mêmes.
Meron : Pourquoi ?
Awni : Parce qu’aujourd’hui, tout le Moyen-Orient est convaincu qu’Israël est un danger pour la région et qu’il est impossible de vivre à ses côtés. C’est vrai non seulement pour les Palestinien·nes, mais aussi pour les Égyptien·nes, les Jordanien·nes, les Syrien·nes, les Libanais·es, les Irakien·nes, les Iraniens·ne et les Koweïtien·nes. En Jordanie, elles et ils pensent qu’Israël est capable d’expulser des millions de Palestinien·nes de Cisjordanie, ce qui constitue une menace pour le Royaume hachémite. L’expulsion de 2 millions de Gazaouis vers l’Égypte est également considérée comme une menace pour l’Égypte. Lorsque toute la région sent qu’Israël est un danger, je pense que les Israélien·nes devraient y réfléchir à deux fois.
Meron : Nous travaillons ensemble depuis plus de dix ans. Comment vois-tu les fondements de la lutte commune israélo-palestinienne à l’avenir ? Avons-nous une chance ?
Awni : Je pense que la guerre peut être transformée en opportunité : elle peut conduire à une réflexion différente. Le peuple palestinien n’a pas été éliminé et les Israélien·nes n’ont pas été éliminé·es. Les Palestinien·nes vivent une crise existentielle de nourriture, d’eau, de prisons et de centres de détention. Les Israélien·nes vivent la crise du lendemain, craignant pour leur avenir.
Nous pouvons surmonter ces crises et parvenir à une paix véritable, mais cela nécessite un changement de mentalité et de politique – un changement qui s’impose davantage aux Israélien·nes qu’aux Palestinien·nes. Les Israélien·nes détiennent les clés, elles et ils contrôlent tout le pays, elles et ils oppriment le peuple palestinien.
Meron : Et qu’attend-on des mouvements israélo-palestiniens ?
Awni : La/le Palestinien ne peut pas écouter l’Israélien·ne aujourd’hui. Si un·e Israélien·ne s’adresse à la société palestinienne, elle ou il ne sera pas entendu. L’Israélien·ne doit travailler en Israël. La/le Palestinien·ne doit travailler au sein de la société palestinienne, mais il n’y a pas grand-chose à dire aux Palestinien·nes.
Je n’ai pas de réponse, Meron. Je n’ai plus de réponses à donner aux Palestinien·nes. J’attends de chaque Israélien·ne qu’ile me donne des réponses pour que je puisse les transmettre au peuple palestinien.
Meron : Je n’ai pas non plus de réponses. Je pense qu’Israël a perdu la raison, il ne pense pas au lendemain. Après la récente attaque de l’armée sur Tulkarem, une amie palestinienne m’a écrit que nous, les activistes juifs et juives, devions nous organiser et dénoncer ces crimes. C’est maintenant ou jamais. Ce n’est pas le moment de trouver des solutions, m’a-t-elle écrit, c’est le moment de rejoindre la lutte de vos frères et vos soeurs palestinien·nes.
Que la Cour internationale de justice décide ou non que la guerre d’Israël à Gaza constitue un génocide, il est clair qu’Israël est prêt à effacer l’existence des Palestinien·nes dans la bande de Gaza, et peut-être aussi en Cisjordanie. L’heure n’est donc pas aux conversations sur les solutions, mais à la lutte commune.
Awni : Aujourd’hui, les juifs et les juives israélien·nes ont peur de s’exprimer parce que leur société est de droite, raciste et haineuse. Un·e Israélien·ne devrait-iel alors venir dire qu’iel s’identifie à moi ? Cela ne m’aide pas.
La défaite de la droite idéologique en Israël aujourd’hui n’est pas seulement dans l’intérêt des Palestinien·nes, elle est aussi dans l’intérêt des Juifs et des Juives israélien·nes qui pensent qu’Israël doit continuer à exister. Parce qu’en fin de compte, cette politique [de droite] ne peut mener qu’à une seule chose : qu’Israël cesse d’exister. Elle n’apportera ni réconciliation ni coexistence.
Meron : Pourquoi as-tu dit qu’il ne suffit pas qu’un·e Israélien·ne s’identifie à vous ?
Awni : Vous faites partie d’une société qui commet des crimes de guerre. Vous n’êtes pas obligés de dire que vous vous identifiez à moi. Vous devez changer la situation politique pour empêcher Israël de commettre des crimes de guerre. C’est votre travail, votre responsabilité : construire une société basée sur l’humanité, le respect des autres et l’égalité des droits. Expliquez-moi, d’un point de vue juif, la logique qui excuse ce que fait Israël au Liban, à Gaza et en Cisjordanie.
Meron : C’est une question que je me pose. Je reconnais qu’il y a un risque que ce que fait Israël détruise son existence. Il est dans mon intérêt juif de lutter contre cette idée. Mais en même temps, je sais que la plupart des Juifs et Juives israéliens soutiennent une attaque contre Tulkarem, contre les écoles de Gaza, contre le Liban. Elles et ils n’entendent pas d’autre voix.
Et quand mon amie palestinienne dit que la seule chose que les activistes juifs et juives peuvent faire est de rejoindre la lutte palestinienne, que penses-tu de cette approche ?
Awni : Il n’est pas nécessaire de rejoindre les Palestinien·nes, merci beaucoup. Il y a suffisamment de militant·es du côté palestinien. Ce qu’il faut, c’est que a juive et le juif israélien remplisse son rôle dans sa société, indépendamment des Palestinien·nes. Nous avons besoin que vous agissiez à Tel Aviv, Haïfa, Ashdod, avec les partis juifs, les institutions juives, les étudiant·es juifs et juives, et que vous leur disiez que ce qui se passe est mal, et que cela détruit votre existence, votre avenir.
Meron : Je pense que l’une des choses que les Juifs et Juives israélien·nes souhaitent le plus entendre de la part des Palestinien·nes, c’est que nous sommes les bienvenu·es sur cette terre, que les Palestinien·nes acceptent la présence juive ici. Mais la plupart des Palestinien·nes considèrent les Israélien·nes comme un produit du colonialisme britannique, qui ne fait pas partie de la terre. Ce n’est peut-être pas le bon moment [pour faire de telles demandes], mais pour moi, c’est important.
Awni : Je considère également que les Israélien·nes sont arrivé·es ici grâce au colonialisme britannique, c’est indéniable. Mais elles et ils sont devenu·es un peuple. Les Américains sont des colons venus d’Europe, mais elles et ils ont fini par créer un peuple.
Es-tu en train de me dire que je devrais reconnaître un droit historique aux Juifs et Juives en Palestine datant d’il y a 3 000 ans ? Je ne sais pas ce qui s’est passé il y a 3 000 ans, je ne suis pas archéologue, et un archéologue ne peut pas dire qui a le droit [à la terre aujourd’hui]. Je m’occupe de la réalité politique. Je ne sais pas qui est venu avant qui. Mais en fin de compte, je reconnais qu’il y a deux peuples sur cette terre.
Lorsque nous avons parlé d’une seule patrie, nous avons voulu sortir du piège de la question historique. Tu n’es pas obligés de renoncer à ton récit historique, pas plus que je ne suis obligé de renoncer au mien, et nous reconnaissons qu’il s’agit d’une patrie pour deux peuples. « Deux États, une patrie » résout cette équation. Je considère Jaffa comme faisant partie de ma patrie, mais dans la pratique, elle fait partie d’un autre État. Tu verras Hébron comme tu voudras mais elle fait partie de l’État palestinien.
Meron : Malgré tout ce qui s’est passé, penses-tu qu’il existe une possibilité de réconciliation entre Juifs/Juives et Palestinien·nes ?
Awni : Pourquoi ne le croirais-je pas ? Qui a perpétré l’Holocauste ? Les Allemand·es. Alors comment se fait-il qu’Israël ait de bonnes relations avec l’Allemagne ? Qui a colonisé l’Algérie pour l’exploiter ? Les Français·es. Alors comment se fait-il qu’il y ait de bonnes relations entre les citoyen·nes français·es et les citoyen·nes algérien·nes ? Les guerres sont dures et génèrent de la haine. Si tu veux surmonter la haine, tu dois produire des intérêts égaux. Les gens vivent le passé par douleur, mais ils pensent davantage à l’avenir.
Meron : Au début du mois, j’étais en Italie, où j’ai rencontré plusieurs Palestinien·nes. L’une d’entre elles a quitté Gaza pendant la guerre et une autre a quitté Gaza il y a cinq ans, mais toute sa famille y est restée. Nous pourrions facilement nous mettre d’accord sur l’égalité de tous ceux et toutes celles qui vivent entre le Jourdain et la mer Méditerranée, dans une situation où aucun peuple ne jouit d’une supériorité sur l’autre, et où moi, en tant que Juif, je n’ai pas de droits supplémentaires par rapport aux Palestinien·nes. Nous sommes proches. Les langues se ressemblent.
Awni : Je crois en ce discours, mais il y a une classe politique – surtout en Israël, et peut-être aussi au Hamas – qui doit penser différemment. Peut-être que les événements de l’année dernière les aideront à changer leur façon de penser.
Meron : De quelle manière ?
Awni : Lorsque le projet expansionniste d’Israël sera dans l’impasse, lorsque les Israélien·nes arriveront à la conclusion qu’il ne peut être mis en œuvre par la violence et que les Palestinien·nes – malgré tout ce qui leur est arrivé – sont présent·es et ont des droits, cela nous conduira sur une autre voie. Cela prendra du temps. Je ne sais pas combien de temps.
L’équilibre des pouvoirs est important, mais il est également en train de changer. En peu de temps, l’Union soviétique est passée du statut de superpuissance à la disparition. Le monde change. Israël est un pays fort, mais cela pourrait changer. Si les Israélien·nes s’appuient uniquement sur l’équilibre actuel des forces, elles et ils peuvent remporter des victoires à court terme, mais au bout du compte, tout sera fini.