1. Pourquoi la chasse est-elle un problème ?
Si les questions d’environnement se sont petit à petit imposées à tous ceux qui veulent changer de société, les questions liées à la biodiversité sont encore négligées malgré les enjeux. Et dans ce domaine, la question de la chasse reste bien souvent taboue.
Pourtant, la chasse est un vrai problème. Il ne s’agit pas ici de remettre en cause la chasse de subsistance (très marginale à l’échelle planétaire), ni même de s’interroger sur la chasse comme source complémentaire d’alimentation, telle qu’elle a pu être jusqu’à récemment en France (jusqu’aux années cinquante), mais bien de l’activité de chasse d’aujourd’hui dans les pays industrialisés. C’est à dire une chasse « de loisir ».
En premier, il convient de rappeler que l’activité de chasse se passe dans un contexte d’effondrement de la biodiversité et pèse sur de nombreuses espèces qui se passeraient bien de cette pression supplémentaire. Ainsi, en France, de nombreuses espèces d’oiseaux en situation de conservation très défavorable à l’échelle française ou européenne sont chassées (oiseaux migrateurs, gallinacés de montagne…). Sur les 63 espèces d’oiseaux chassables en France, les deux tiers sont en déclin. Rappelons que 40 millions d’animaux sont tués chaque année en France, dont 25 millions d’oiseaux.
Ensuite, la chasse généralisée sur tout le territoire conduit à un dérangement global de la faune, y compris bien sûr des espèces protégées, augmentant de manière considérable le stress des espèces et leur capacité à « supporter » une présence humaine de plus en plus importante. On a constaté (Tamisier 2003, voir biblio) que sur les sites chassés on trouve 5 à 50 fois moins d’oiseaux que sur les sites non chassés.
La pression des chasseurs sur les prédateurs, classés nuisibles (voir plus bas) et soumis à des destructions organisées avec la bienveillance de l’Etat, d’abord parce qu’ils sont en fait concurrents des chasseurs, participe au mauvais fonctionnement des écosystèmes.
Les aménagements et modifications des écosystèmes dans le but d’augmenter la pression de chasse (par exemple mares artificielles creusées dans des zones humides) ont le plus souvent des conséquences négatives pour la biodiversité.
On peut y ajouter l’introduction d’espèces exogènes (faisans, perdrix exotiques, etc) ou de populations d’espèces qui poseront ensuite problème (le cas du sanglier et des hybrides avec des porcs domestiques), pratiques totalement contraires à une gestion cohérente des milieux naturels (20 millions d’animaux relâchés annuellement en France).
Enfin, dans le contexte déjà noté d’effondrement de la biodiversité, il est illusoire de penser convaincre les citoyens des changements nécessaires sans modifier notre rapport à la nature et aux espèces sauvages. Il nous faut apprendre des relations plus « douces » avec les autres êtres vivants pour enrayer le déclin de la biodiversité. Le fusil n’est décidément pas la bonne méthode.
2. Abolir la chasse, un objectif au regard des enjeux.
Parce que la chasse « de loisir » induit un rapport violent avec la nature, parce que la chasse participe à l’effondrement de la biodiversité (pour certaines espèces de manière significative), parce que la chasse n’est en rien une forme de « régulation » des espèces, parce que la pratique de la chasse d’une minorité de citoyens entre en contradiction avec les attentes de la grande majorité des autres, abolir la chasse de loisir est non seulement possible, mais souhaitable.
3. La nécessaire prise en compte du contexte.
Mais à l’inverse, il faut tenir compte du contexte et prendre en considération qu’environ un million de Français s’adonne à cette activité, encore prégnante en milieu rural. Parmi les chasseurs, certains (la grande majorité !) sont des électeurs de droite, voire de l’extrême droite, mais un certain nombre d’entre eux pourraient être sensibles au positionnement du NPA et certains sympathisants, voire militants sont peut-être chasseurs. Promouvoir maintenant l’abolition de la chasse comme une mesure à réaliser par la loi repousserait à coup sûr ceux-là dans l’autre camp. Il paraît donc nécessaire de défendre l’idée de l’abolition de la chasse sans en proposer l’interdiction légale. L’idée est de chercher à convaincre sans contraindre et de mettre en avant les mesures indispensables de réforme de la chasse.
4. Comment avancer ? Des propositions transitoires.
Une série de 8 mesures d’urgence permettrait de pacifier le débat en limitant de manière significative l’impact de l’activité de chasse sur les milieux naturels et la biodiversité. On peut estimer raisonnable d’en faire un bilan au bout d’une dizaine d’années d’application.
– Mesure 1 : protection de toutes les espèces dont le statut de conservation est défavorable à l’échelle européenne ou française. Ainsi, en France, 42 des 63 espèces d’oiseaux chassables, soit les deux-tiers, sont en déclin. Ces espèces doivent faire l’objet d’un moratoire de chasse tant que leur statut de conservation ne s’est pas amélioré.
– Mesure 2 : suppression « réelle » de la notion de nuisibles. Dans la loi de « reconquête de la biodiversité » de 2016, le terme de « nuisible » a été supprimé. Mais juste le terme ! Comme le soulignent Chantal Canz et Olivier Cizel (voir biblio) : « Sur les espèces dites nuisibles, la loi supprime ce vocable pour le remplacer par espèces non domestiques ou par espèces susceptibles d’occasionner des dégâts, mais sans changement sur le statut de ces espèces qui peuvent toujours être détruites ». Bref, « qu’en termes galants ces choses là sont mises » disait Philinte dans le Misanthrope ! On a donc strictement rien changé. Le terme « susceptible d’occasionner des dégâts » doit être lui aussi supprimé. En effet, la loi permet la régulation d’espèces, même si elles sont protégées. Il est urgent d’établir la charge de la preuve. Une espèce ne doit pouvoir être régulée que lorsqu’il a été démontré avec un dossier scientifique que la dite espèce a un impact significatif sur le plan économique ou un impact négatif sur la biodiversité. En particulier, les prédateurs carnivores doivent être protégés.
– Mesure 3 : interdiction de chasse dans les zones sous protection règlementaire (réserves naturelles, de statut national ou régional, cœurs de Parcs nationaux, sites sous Arrêtés de Protection de biotope, Réserves biologiques forestières).
– Mesure 4 : limitation de la saison de chasse. Actuellement, entre la saison effective et les chasses « de régulation », on chasse en fait toute l’année en France, y compris au sein de la plupart des réserves naturelles. La saison de chasse doit être limitée à la période allant du 1er octobre au 31 janvier, de manière stricte (les régulations d’espèces devant être réalisées dans cette période). Soit 4 mois, ce qui correspond aux préconisations émises par le Rapport Lefeuvre de 1999 (voir biblio), afin de respecter la protection des espèces pendant la migration prénuptiale et la période de reproduction.
– Mesure 5 : interdiction des pratiques visant à favoriser des espèces qui occasionnent régulièrement des dégâts économiques. Il en est ainsi surtout du sanglier, qui occasionne 85% du total des indemnisations. Or, cette espèce a vu ses effectifs augmenter considérablement suite à une série de pratiques des chasseurs leur permettant de bénéficier d’un réservoir de « gibier » particulièrement rentable sur le plan financier : élimination de ses prédateurs, en particulier loup et lynx, nourrissage artificiel permanent (agrainage), croisement généralisé avec des cochons domestiques. Interdiction de l’introduction de gibier d’élevage dans le milieu naturel.
– Mesure 6 : interdiction de la chasse à courre.
– Mesure 7 : l’office Français de la Biodiversité (OFB) doit être chargé de la police de la chasse, mais il doit être totalement indépendant du monde de la chasse.
– Mesure 8 : interdiction de la chasse le week-end, les jours fériés et pendant les vacances scolaires. La France est un des rares pays d’Europe où l’on peut chasser tous les jours de la semaine, ce qui occasionne de plus en plus de conflits d’usage (avec les promeneurs, les activités de loisirs) et augmente considérablement les risques d’accidents (150 à 200 blessés et 20 morts par an).
5. Une évolution en cours des mentalités.
Le rapport des Français à la chasse a considérablement évolué. Aujourd’hui, l’opinion a franchement basculé, rendant possible des évolutions. Ce sont les politiques (dont beaucoup sont chasseurs) qui sont en retard sur l’opinion et la défense de la chasse est de plus en plus une affaire d’intérêts de classe. Ceci a été particulièrement mis en évidence lors de l’épisode de l’anniversaire du président Macron à Chambord, organisé par le lobbyiste de la chasse Thierry Coste, ancien responsable de CPNT (Politis du 22/12).
Ainsi, un sondage de novembre 2017 indique que : 71 % des interrogés ne se sentent pas en sécurité lorsqu’ils se promènent dans la nature en période de chasse, 84 % des sondés se disent contre la pratique de la chasse à courre, 79 % des sondés sont favorables à la réduction de la durée de la période chassable, 82 % des Français se prononcent en faveur du dimanche comme journée non chassée, 66 % des Français sont opposés à la réglementation qui autorise toute l’année la destruction de 19 espèces classées nuisibles. Tous ces chiffres sont en forte augmentation par rapport aux sondages antérieurs.
Frédéric Malvaud
Bibliographie
– Nuisibles, une notion en débat. SNPN. Le courrier de la nature N° 306, 2017
– La chasse en France, le positionnement de la SNPN. Le courrier de la nature N° 298, 2016
– Chasse et nature. Michel Brosselin. Le courrier de la nature N° 72, 1981
– Le jeu de rôle des dégâts de gibier. François Spitz. INRA. Courrier de l’INRA N° 33, 1998
– Chasse et oiseaux migrateurs, réflexion sur l’organisation de la chasse en France. Alain Tamisier. CNRS. Alauda 70.1, 2002.
– Pour une France sans chasse. Darlot et Spataro. RAC 2015
– Comment se promener dans les bois sans se faire tirer dessus ! Marc Giraud. Allary Editions 2014
– Le livre noir de la chasse. Pierre Athanase. Sang de la Terre. 2011
– Rapport scientifique sur les oiseaux migrateurs. Lefeuvre Jean-Claude. 1999
– Effets du dérangement par la chasse sur les oiseaux d’eau. Revue d’Ecologie, 58. Tamisier Alain et al. 2003
– LOI n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. Légifrance.
– Livre blanc. Loi biodiversité. Chantal Canz et Olivier Cizel. Editions Législatives. 2017