Ainsi, les médias ont à peine parlé du premier rapport commun entre les deux organismes, issu d’un travail commun en décembre 2020, et rendu public le 10 juin dernier.
C’est évidemment fort regrettable tant il est remarquable que pour la première fois officiellement sont mis en évidence les liens entre crise climatique et effondrement de la biodiversité, liens sur lesquels de nombreux experts alertent depuis des années.
Sont enfin reconnus le fait que si la crise climatique affecte la biodiversité, l’effondrement de celle-ci influe négativement de manière majeure sur notre capacité à gérer la crise climatique.
Au passage, non seulement les médias y ont accordé une faible place, mais même le ministère de l’Ecologie français ne semble pas avoir compris l’importance de ce rapport commun. Ainsi, seule une version en anglais (fort confidentielle) est disponible. Vous le chercheriez en vain sur le site du ministère ; alors en avoir une version traduite…
Pour en avoir connaissance, il faut aller sur le site de l’IPBES : « Biodiversity and climate change »
Alors que constate ce rapport ?
D’abord que parmi les diverses causes de l’effondrement de la biodiversité (changement d’utilisation des sols, exploitation intensive des ressources, pollutions, espèces invasives), le réchauffement climatique figure en bonne place.
Le rapport note ainsi que « Même à 1,5 °C, les conditions de vie vont changer au-delà de la capacité de certains organismes à s’adapter ». Des écosystèmes sont plus menacés que d’autres comme les récifs coralliens et des espèces plus en danger que d’autres comme toutes celles vivant près des pôles, là ou l’impact du réchauffement est de trois à cinq fois plus fort que sur le reste de la planète.
Le dérèglement climatique induit le dépérissement des forêts, l’augmentation des attaques de parasites, l’augmentation des incendies (on l’a vu cet été de manière spectaculaire avec le développement des « mégafeux », au cœur même de l’Europe), le dégel du permafrost qui conduit à l’augmentation de la décomposition de la matière organique et menace l’existence même des écosystèmes de toundra et des tourbières, le réchauffement des océans qui conduit à la diminution de l’oxygène dissous et impacte fortement de nombreuses espèces marines. Ainsi, un réchauffement global de 2° indique la perte des massifs coralliens, par acidification. En 200 ans, on est au dessus des derniers 300 millions d’années pour la disparition de cet écosystème. Et les ces récifs sont l’équivalent des forêts tropicales en milieu maritime.
Dans cette affaire, il y aura plus de perdants que de gagnants. Les espèces ne se déplacent pas ou très peu, ce sont les populations par sélection naturelle qui modifient leur aire de répartition. Et il est très difficile et très long de conquérir de nouveaux territoires.
Evidement quelques espèces sont (provisoirement !) gagnantes. Certaines augmentent leur aire de répartition vers le nord, mais pas toujours avec la compensation d’effectifs due à la perte de territoires plus au sud. D’autres hivernent plus au nord (comme la Cigogne blanche ou l’Hirondelle rustique en France), ou vont migrer moins loin. Certaines changent leur voie de migration pour compenser la désertification plus au sud. Un exemple est donné par une petite espèce d’oiseau européenne, la Fauvette à tête noire, dont une partie de la population a pu (en trente ans !) remplacer les territoires d’hivernage africains par des secteurs situés en…Europe de l’Ouest.
Mais la plupart est perdante. Les espèces nordiques déclinent. En montagne, les espèces cherchent à monter en altitude comme le papillon Apollon. Une étude autrichienne indique la disparition de plantes d’altitude (reliques glaciaires). Dans les Alpes, un oiseau, le Lagopède alpin est observé 100m plus haut qu’il y a 10 ans. On constate aussi un décalage migration-proies comme pour le Gobemouche noir, passereau nordique, qui est programmé pour revenir aux mêmes dates depuis des milliers d’années, mais qui ne peut plus élever ses nichées car les proies (insectes) ont vu leur pic de présence avancé de plusieurs semaines suite au réchauffement. Les colonies d’oiseaux marins deviennent stériles suite à la montée vers le nord des proies.
La toundra nordique disparait et avec elle le cortège des nombreuses espèces qui s’y étaient adapté comme par exemple le Renard polaire, victime de la nouvelle compétition avec le Renard roux qui envahit son territoire. Des espèces sont victimes de parasites nouveaux comme les amphibiens, les abeilles, auxquels elles n’ont pas le temps de s’adapter.
Les systèmes de coévolution entre espèces sont perturbés : avec l’augmentation du CO² les plantes poussent plus vite mais la teneur en azote nécessaire à la synthèse des protéines diminue. Un des résultats est une diminution de la croissance des chenilles, qui conduit à la diminution des oiseaux.
Le changement climatique accélère la perte de biodiversité. C’est une question de rythme, les espèces n’ont pas le temps de s’adapter à des changements si rapides.
Mais si les impacts négatifs du changement climatique sur la biodiversité sont mis en évidence depuis quelques années, on commence à prendre conscience que la diminution de la biodiversité influe aussi en négatif sur le climat.
Cette prise de conscience conduit les auteurs du rapport commun IPBES/GIEC à insister sur l’importance de cesser la destruction des écosystèmes qui stockent le carbone, en particulier « les forêts, les zones humides, les tourbières, les pâturages, les savanes, les mangroves ou les eaux profondes ».
Ils estiment que diminuer la déforestation pourrait faire baisser de 10% les émissions mondiales de CO² liées aux activités humaines.
Ils mettent aussi en avant l’importance de restaurer les écosystèmes dégradés qui est une solution « parmi les moins chères et les plus faciles à mettre en œuvre ». Cela permettrait ainsi de « recréer des habitats pour les animaux et les plantes, contenir les inondations, limiter l’érosion des sols, permettre la pollinisation ».
Ils notent l’urgence de réformer en profondeur le système agricole par l’agroécologie et l’agroforesterie en diversifiant les espèces végétales et forestières, à la fois pour agir sur le dérèglement climatique et sur l’érosion de la biodiversité. Ils remettent en cause les plantations d’espèces d’arbres exotiques, présentées comme solution pour le climat alors qu’elles sont plus sensibles au changement de celui-ci et aux parasites et très négatives pour la biodiversité.
Ils critiquent l’impasse des bioénergies, qui, pour maintenir la consommation actuelle d’énergie, sacrifient la biodiversité et mobilisent les terres au détriment des besoins en alimentation pour les populations.
Que conclure de tout cela ?
Préserver la biodiversité constitue un des meilleurs outils pour améliorer notre capacité de réponse au réchauffement climatique. Il faut en effet rappeler que les milieux naturels absorbent 50 à 60% des gaz à effet de serre produits par l’humanité. Le meilleur système de stockage de carbone, c’est la biodiversité, pas les délires technologiques de captation artificielle du carbone vanté par des apprentis sorciers qui rêvent surtout des dollars qui les accompagneraient.
C’est un cercle vicieux : le réchauffement climatique induit la perte de biodiversité qui elle-même aggrave le réchauffement climatique. Cela réduit les possibilités pour les humains de résister à ses impacts (voir la disparition des mangroves et le rôle des coraux dans la protection naturelle du littoral face aux tempêtes).
Il faut avoir en tête aussi la perte de la couverture forestière : il reste seulement 54% du niveau préhistorique depuis le néolithique.
Le changement climatique et l’érosion de la biodiversité sont à traiter ensemble. Ils s’amplifient l’un et l’autre, leurs impacts se cumulent, certaines causes sont communes, nos capacités d’atténuation et d’adaptation dépendent de l’un et de l’autre.
Agir pour enrayer la crise climatique, c’est agir pour préserver la biodiversité. Agir pour préserver la biodiversité, c’est agir pour enrayer la crise climatique et à minima agir pour mieux gérer celle-ci.
Frédéric Malvaud