La cure d’austérité de 60 milliards d’euros que le gouvernement de Michel Barnier compte infliger au pays en 2025 va coûter cher en termes de points de croissance. Encore récemment, l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) estimait à au moins 0,8 point de PIB pour 2025 la perte de croissance due aux 40 milliards de baisses de dépenses publiques et aux 20 milliards de hausses d’impôts annoncés dans le projet de loi de finances (PLF) 2025.
De ce fait, il est très peu probable que le niveau de croissance de 1,1 % en 2025 que le gouvernement espère – le même que pour 2024 – soit atteint.
Les dégâts de ces coupes sur l’activité risquent même de se faire ressentir sur plus long terme. Un indicateur devra notamment être scruté de près : celui de l’investissement des collectivités locales. Leurs dépenses pèsent en effet pour près de 60 % de l’investissement public en France et soutiennent des pans entiers de l’économie et des services publics pourvoyeurs d’emplois.
Tout le tissu économique local, en somme, dans des secteurs comme le bâtiment, le logement, l’éducation, les travaux publics, la rénovation urbaine ou la protection de l’environnement.
Les élus locaux vont devoir faire avec des soutiens de l’État rabotés en 2025. © Nicolas Guyonnet / Hans Lucas via AFP
L’Institut de l’économie pour le climat estime aussi que les collectivités locales ont un rôle important à jouer pour atteindre les objectifs fixés par la stratégie nationale bas-carbone. Mais, pour ce faire, il leur faut doubler l’effort d’investissement pour le climat durant la décennie pour atteindre au minimum 12 milliards d’euros par an.
Pourtant, dans le budget 2025 du gouvernement, une grande part de l’effort de redressement des comptes publics repose sur les collectivités, pour environ 20 % de la baisse des dépenses publiques.
Un pari risqué : on se souvient que la dernière fois qu’un exécutif – celui de François Hollande – a coupé significativement les vivres des collectivités, l’investissement public local a chuté d’un point de PIB entre 2013 et 2016, rendant la croissance de l’économie atone et d’autant plus complexe le « retournement » de la courbe du chômage que l’ancien chef de l’État avait affiché comme mantra.
Près de 10 milliards de coupes
Dans son PLF 2025 qui sera discuté en séance publique à l’Assemblée nationale à partir du lundi 21 octobre, l’exécutif actuel dit vouloir couper 5 milliards d’euros de soutien de l’État aux communes, intercommunalités, départements et autres régions. D’abord en gelant pour 3 milliards d’euros diverses dotations visant à soutenir le budget de fonctionnement des 450 collectivités ayant la surface financière la plus importante.
Ensuite en réduisant de 1,2 milliard d’euros les transferts de TVA promis aux collectivités pour compenser leurs pertes de recettes liées à la suppression la taxe d’habitation et à la réduction du champ de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Et, enfin, en rabotant pour 800 millions d’euros dans le mécanisme de prise en charge par l’État de la TVA sur certaines dépenses d’investissement des collectivités.
Mais la note en 2025 pour le secteur public local va aller bien au-delà de ces 5 milliards d’euros. En effet, d’une part les collectivités verront le fonds vert, que l’État a créé pour orienter leurs investissements vers le verdissement de l’économie, raboté de 2,5 milliards d’euros d’autorisations d’engagements en 2024 à 1 milliard en 2025.
Et, d’autre part, leurs frais de personnel vont mécaniquement grimper car il est inscrit dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) de 2025 une hausse de quatre points du taux des cotisations de retraite sur les salaires des agent·es des collectivités territoriales, ce qui renchérira leurs dépenses de fonctionnement de 1,3 milliard. Autant d’argent qu’elles ne pourront pas dépenser ailleurs.
À cela s’ajoute une série de dotations de l’État dont le montant ne suivra pas l’inflation. Ainsi, globalement, « l’effort budgétaire qui pèserait en l’état sur les collectivités locales s’établirait entre 8,5 et 9 milliards d’euros pour 2025 », estime Philippe Laurent, vice-président de l’Association des maires de France (AMF) et maire de Sceaux (Hauts-de-Seine).
Nombre d’élus locaux dénoncent la disproportion d’un tel effort : pourquoi les collectivités locales participeraient-elles autant au rétablissement des comptes publics alors que leur déficit ne représente que 6,4 % du déficit public total et leur dette, seulement 8 % de la dette publique ?
À Bercy, on estime en fait que c’est le train de vie des collectivités locales qui est responsable du dérapage récent des comptes publics, et qu’il faut donc qu’elles en paient le prix : dans une lettre envoyée aux commissions des finances des deux chambres du Parlement début septembre, les deux ministres des finances et des comptes publics de l’époque, Bruno Le Maire et Thomas Cazenave, écrivaient que le risque de voir le trou dans les comptes publics se creuser nettement en 2024 était « lié à une augmentation extrêmement rapide des dépenses collectivités territoriales […] et qui pourrait à elle seule dégrader les comptes de 16 milliards ».
Un chiffre que contestent les élus locaux. « Nous n’avons eu ni détail ni explication de ces 16 milliards d’euros, explique Philippe Laurent. On sait juste que c’est une estimation de Bercy pour la fin de l’année mais on ne sait pas d’où ça vient. »
De moins en moins de ressources
Les élus locaux sont d’autant plus irrités qu’ils sont déjà soumis à des règles budgétaires strictes : contrairement à l’État, les collectivités locales doivent en effet réaliser chaque année un excédent sur leur budget de fonctionnement, c’est-à-dire que leurs recettes – provenant des transferts financiers de l’État et des taxes locales – doivent être supérieures à leurs dépenses de fonctionnement, constituées de leurs frais de personnel, de leurs achats et des dépenses d’intervention inhérentes à leurs compétences – par exemple l’assainissement ou la gestion des écoles publiques pour les communes, les dépenses sociales pour les départements, les aides aux entreprises ou la gestion des lycées pour les régions.
C’est à partir du montant de cet excédent de fonctionnement – auquel il faut ajouter des dotations d’investissement de l’État – qu’elles peuvent lancer des investissements à plus ou moins grande échelle. Le déficit des collectivités ne correspond finalement qu’au montant de dette qu’elles empruntent chaque année pour boucler le financement de leurs projets.
« Donc, in fine, quand il y a une hausse du déficit des collectivités locales, c’est qu’il y a eu plus d’investissements dans la rénovation, les équipements, etc. Il faut savoir ce que l’on veut ! », pointe Philippe Laurent.
Il faut aussi dire qu’il devient de plus en plus complexe pour les collectivités de se prémunir contre les cures de rigueur que leur impose l’État. En effet, leur autonomie fiscale, c’est-à-dire leur capacité de lever l’impôt en cas de coup dur, ne cesse de se réduire. Depuis la réforme de la taxe professionnelle sous Nicolas Sarkozy, l’État supprime un à un les impôts locaux sur lesquels les collectivités ont le pouvoir de moduler le taux.
Dernier exemple en date : la suppression de la taxe d’habitation par Emmanuel Macron. « Il y a clairement un affaiblissement des marges de manœuvre financières des collectivités locales qui rend de plus en plus difficilement supportables les coups de rabot de l’État », confirme Emma Chenillat, conseillère chargée des finances locales à l’Association des petites villes de France (APVF).
En matière fiscale, il ne reste ainsi plus que les taxes foncières sur lesquelles les seules communes peuvent agir. Mais nombre d’entre elles sont déjà au taquet. Une étude récente de la Banque postale sur les finances des petites villes – celles dont la population est comprise entre 2 500 et 25 000 habitant·es – révèle que le levier fiscal n’est plus mobilisable pour plus de la moitié d’entre elles, « compte tenu du niveau d’effort fiscal déjà atteint ». Et l’étude d’ajouter que « face au mur d’investissement, la réduction des modes de financement à disposition des petites villes demeure assez préoccupante ».
Pis, plus les prochaines élections municipales de 2026 approcheront, moins les maires se risqueront à augmenter les impôts fonciers, de peur de déplaire à leurs administré·es, et donc moins ils lanceront de projets d’investissement. « On est coincés », concède Philippe Laurent.
Dégâts sociaux
Du reste, la catégorie de collectivité locale la plus démunie face à la situation actuelle est sans nul doute celle des départements. Les coupes dans le budget 2025 vont en faire tomber plus d’un dans le rouge. « Avec ce nouveau coup de rabot, nous allons passer de 30 % à 85 % de départements en grande difficulté financière », alerte Sébastien Vincini, président du conseil départemental de la Haute-Garonne.
Il évalue à 1,2 milliard d’euros le manque à gagner des départements dans ce budget. Ils n’avaient pas besoin de cela : les principales recettes des départements que sont les taxes sur les transactions immobilières, appelées droits de mutation à titre onéreux (DMTO), sont en chute libre à cause de la crise du logement. En deux ans, cela représente « une perte de 6 milliards d’euros » pour les finances des départements, s’inquiète Sébastien Vincini.
Le problème, c’est que face à l’effondrement de leurs recettes, les départements ont à leur charge des dépenses de solidarité qui augmentent fortement : le revenu de solidarité active (RSA), l’aide sociale à l’enfance (ASE), l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) ou la prestation de compensation du handicap (PCH).
Ainsi, selon l’Observatoire de la décentralisation et de l’action sociale (Odas), la charge nette d’action sociale qui repose sur les départements a quasiment doublé en vingt ans, soit un rythme quatre fois plus élevé que la croissance du PIB. Et si les dépenses liées au RSA tendent à se stabiliser ces dernières années, celles dédiées à l’aide sociale à l’enfance, au soutien aux personnes handicapées et au soutien aux personnes âgées dépendantes vont croissant du fait de la hausse des besoins.
Bref, l’équation financière des départements devient insoluble. Et les coupes dans le budget 2025 seront rédhibitoires. Sébastien Vincini pense par exemple qu’il sera contraint de couper « dans le dur » des compétences de son département, en réduisant le nombre de places dans les maisons d’enfants à caractère social (MECS), en rabotant les soutiens financiers aux Ehpad, déjà structurellement déficitaires, ou en réduisant le nombre d’heures d’aide à domicile pour les personnes âgées dépendantes. C’est aussi cela, les conséquences concrètes des économies budgétaires décidées à Paris.
Mathias Thépot