C’est une sanction inédite qui vient d’être prise par le groupe parlementaire des Insoumis : l’exclusion d’un député, mis en cause pour harcèlement moral et sexuel et violences sexuelles. Il s’agit d’Hugo Prevost, 25 ans, élu député dans l’Isère en juillet, après avoir battu l’ancien ministre Olivier Véran.
Dès la fin août, le comité de suivi contre les violences sexistes et sexuelles (CVSS) de La France insoumise (LFI) a été saisi par le syndicat Union étudiante qu’il a cofondé et dans lequel il occupait des responsabilités jusqu’à son élection à l’Assemblée nationale.
Hugo Prevost à Grenoble le 15 septembre 2024. © Photo Jean-Baptiste Bornier / Le Dauphiné Libéré / PhotoPQR via MaxPPP
Dans ce document de 17 pages, que Mediapart a pu consulter, au moins quatre personnes accusent le jeune parlementaire de violences sexistes et sexuelles, comprenant pour une femme des attouchements et des rapports non consentis, et pour les trois autres des « pressions constantes », du « harcèlement moral, sexuel » et des propos sexistes au travail de 2020 à 2024, avant son élection en tant que député.
« Ce signalement vise à prévenir un risque que Hugo Prevost reproduise au sein du mouvement et/ou de son cabinet parlementaire des schémas de harcèlement et des faits de violences sexistes et sexuelles », peut-on lire dans le signalement. « Si un silence a longtemps régné au sein de l’organisation pour ne pas dénoncer ses agissements, son investiture électorale a participé à briser ce silence pour éviter de nouvelles victimes. »
Dans un communiqué diffusé dans la soirée du mardi 8 octobre, LFI indique également que la CVSS a recueilli plusieurs témoignages faisant état de « faits graves à caractère sexuel pouvant relever d’infractions pénales, antérieurs à son élection ».
Six jours plus tôt, le mouvement explique qu’une délégation mandatée par le bureau du groupe parlementaire LFI-NFP a auditionné Hugo Prevost : « Il est ressorti de cette audition, ainsi que des éléments du dossier constitué par le CVSS à l’appui de plusieurs témoignages, que la gravité des faits reprochés et leur caractère systémique nécessitaient de saisir le groupe parlementaire afin qu’il prononce une sanction. »
Contacté à plusieurs reprises depuis l’annonce de son exclusion par LFI, Hugo Prevost ne nous a pas répondu.
« Décision salutaire » et « soulagement »
Éléonore Schmitt, responsable du syndicat Union étudiante (anciennement L’Alternative), est une de celles qui ont lancé l’alerte dans son mouvement. Elle affirme avoir été elle-même victime de violences – des faits qu’elle ne souhaite pas détailler auprès de Mediapart, mais qu’elle a retracés précisément devant la CVSS.
La porte-parole d’Union étudiante souhaite « briser l’omerta » aujourd’hui pour que « la parole des victimes » ne soit plus « silenciée ». D’après elle, son syndicat « ne fait pas exception dans la reproduction des schémas de domination ».
Face à l’éviction d’Hugo Prevost, elle évoque « un soulagement » : « Quand on dit que la honte doit changer de camp, c’est important aujourd’hui qu’il y ait des sanctions contre les hommes auteurs de violences faites aux femmes dans les partis et les syndicats car sinon la seule finalité, c’est que les femmes finissent par en partir. »
LFI n’a pas toujours été exemplaire dans sa gestion des violences sexistes et sexuelles, à commencer par l’affaire Adrien Quatennens – réintégré quatre mois après sa condamnation pour violences conjugales puis écarté sous la pression féministe.
Cette fois, la militante étudiante, Eléonore Schmitt, assure avoir été soutenue et accompagnée par la cellule dédiée aux violences sexistes de La France insoumise : « Les partis de gauche ne sont pas toujours exemplaires sur la lutte contre les violences faites aux femmes, cette exclusion est un message fort envoyé et un précédent pour la suite. »
Une première alerte avant les élections
D’après nos informations, un haut responsable de LFI a pourtant été alerté dès la mi-juin, soit avant les élections des 30 juin et 7 juillet. Un militant isérois depuis dix ans – au Parti de gauche puis à LFI – a en effet écrit à Paul Vannier, le responsable des élections, le 14 juin, assurant selon ses mots que le candidat était « connu à Grenoble pour être un harceleur ». Sans plus de détails ni d’éléments précis mettant en cause l’ancien syndicaliste étudiant. Un message auquel Paul Vannier n’a jamais répondu, d’après cette source.
« J’ai été très surpris qu’ils mettent Prevost sur cette circonscription : ça devait être une femme pour respecter la parité, et c’est une réputation qu’il avait depuis plusieurs années... »,explique ce militant auprès de Mediapart.
Sollicité, Paul Vannier répond n’avoir « aucun souvenir d’avoir reçu un tel message », qu’il recevait au moment de la dissolution « des centaines de messages chaque jour » et n’avait pas « la possibilité de tous y répondre et encore moins de me souvenir de chacun d’entre eux ». Il poursuit : « Et notre cellule, seule instance habilitée à recevoir officiellement des signalements, n’en a reçu aucun avant la fin du mois d’août. Dans le cas contraire, nous aurions pu évidemment appliquer un principe de précaution. » Et ajoute : « Voilà aussi pourquoi il est très important de disposer d’une cellule dédiée, à même de donner suite à des signalements de ce type pour saisir le cas échéant notre comité électoral, responsable des investitures. »
Mediapart a pu échanger avec trois des personnes entendues par le CVSS et citées dans le signalement de 17 pages transmis par Union étudiante à LFI. Dans un compte rendu d’audition sont mentionnés des « faits pouvant s’apparenter à des violences sexuelles et des violences psychologiques » avec des conséquences sur la santé physique et psychique de certaines personnes entendues.
Dans son signalement, le syndicat atteste que le député de l’Isère a « rabaissé, dénigré et insulté de façon systémique des femmes » et qu’il aurait fait régner auprès de certaines d’entre elles « un climat de terreur » dans une forme de « contrôle sexuel et politique des femmes ».
Une membre du syndicat, interrogée par Mediapart, rapporte des propos sexistes à son égard et envers d’autres femmes du syndicat : « Il rabaissait les femmes, ne les prenait pas en considération, les poussait à bout de façon récurrente »,nous explique-t-elle.
Dans le signalement d’Union étudiante, un autre syndicaliste évoque également, en tant que témoin, les « coups de pression » d’Hugo Prevost vis-à-vis d’une femme et l’ambiance sexiste qu’il aurait fait régner par ses propos.
Une troisième femme a témoigné pour ce signalement d’un « climat d’angoisses et de tensions permanentes » et a également été entendue par le CVSS. Contactée par téléphone, elle préfère rester anonyme et nous explique qu’à présent, elle qualifie ces comportements de « harcèlement moral ». « Ce que j’ai dit à la cellule c’est que c’était extrêmement ténu à saisir, que ça a été très destructeur pour mon estime de moi-même et qu’à la fin, je me liquéfiais et étais en panique quand je voyais son numéro s’afficher sur mon téléphone »,nous dit-elle.
Elle a constaté de sa part une forme de « délégitimation » des personnes qui n’étaient pas dans « un investissement total » pour le syndicat. Elle assure aussi qu’il « manageait les gens aux coups de pression » et l’assumait. Elle n’a pas été victime de violences sexistes et sexuelles mais analyse : « Une grande partie du problème vient aussi de la quasi-impossibilité à dénoncer le harcèlement moral dans les milieux politiques parce que c’est érigé en mode de fonctionnement. Cette forme de violence tolérée installe une structure où il va être d’autant plus facile de perpétrer des violences sexistes et sexuelles derrière. »
Contacté, Hugo Prevost n’a pas donné suite pour réagir à ces affirmations.
« Culture viriliste dominante »
L’un des autres faits reprochés à Hugo Prevost dans le signalement qu’Union étudiante a transmis au CVSS est « sa complaisance avec les personnes accusées de violences sexistes et sexuelles au sein de l’organisation ». Il est accusé d’en avoir « protégé plusieurs ayant été formées par lui », ce que disent également Éléonore Schmitt et une des autres membres du syndicat avec qui nous avons échangé. Cette dernière nous explique avoir « entendu Hugo Prevost soutenir des hommes suspectés d’agressions en disant que les personnes victimes les attaquaient parce que c’était politique ».
Le signalement du syndicat évoque également une « culture viriliste dominante et une domination de genre, un sentiment de loyauté à l’organisation et une banalisation des violences ».
Sont aussi signalés dans le rapport transmis à La France insoumise des propos transphobes qui auraient été tenus par Hugo Prevost, comme : « Vous me faites chier avec les genres, vous pouvez pas arrêter vos conneries ?! »
Une dernière femme avec qui nous n’avons pas pu échanger est citée dans le signalement : « Elle dit aujourd’hui avoir été victime de violences psychologiques, avec une perte de confiance en elle et une dégradation importante de sa santé mentale sur la période de leur relation », retrace le syndicat dans son rapport.
Au sein du syndicat étudiant, un conseil d’administration exceptionnel était organisé mardi soir. Léa Jules-Clément, responsable nationale de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles depuis début septembre, insiste pour que les choses changent.
Elle explique qu’un « plan d’action » va être mis en place afin de « multiplier les espaces en non-mixité, les formations, les dispenser plus souvent et à toutes les échelles, et pour recenser les protocoles locaux de lutte contre les violences sexistes et sexuelles et encourager à mettre a minima une personne ressource par antenne locale pour rediriger ».
Plusieurs organisations de jeunesse ont été secouées par des affaires similaires depuis #MeToo, notamment le syndicat Unef, le Mouvement des jeunes socialistes (MJS) et les Jeunes Communistes (JC).
Sophie Boutboul et Mathieu Dejean