Une réunion « décisive » et exclusivement masculine s’est tenue jeudi 19 septembre à Matignon sous l’égide de Michel Barnier. Le premier ministre avait convié ce jour-là les figures qui comptent dans l’écosystème macroniste désormais élargi à la droite traditionnelle, pour ne pas dire franchement réactionnaire. L’objet de la discussion : valider l’accord entre le camp présidentiel et le parti Les Républicains (LR) et apporter les derniers réglages au gouvernement qu’il allait officiellement présenter deux jours plus tard.
Autour de la table : Bruno Retailleau, Laurent Wauquiez, Gabriel Attal, Franck Riester, Marc Fesneau, Édouard Philippe, Hervé Morin, Laurent Hénard, Hervé Marseille… Des hommes, rien que des hommes. Cet entre-soi aurait pourtant pu être – très légèrement – nuancé par la présence d’une femme, le MoDem ayant envoyé in extremis sa secrétaire générale Maud Gatel afin qu’elle participe aux échanges.
Laurent Wauquiez, Franck Riester, Gabriel Attal et Édouard Philippe. © Photomontage Armel Baudet / Mediapart
L’intéressée a même franchi les contrôles de sécurité de la Rue de Varenne, signe que sa présence avait bien été annoncée. Mais une fois parvenue aux portes de la réunion « décisive » – c’est important de le souligner de nouveau –, elle a été priée de patienter à l’extérieur de la salle, les hôtes de Matignon arguant qu’elle n’était initialement pas prévue dans le plan de table. Pendant que ces messieurs discutaient tranquillement de l’avenir de la France, elle a donc… attendu dans l’antichambre que la réunion se termine.
Cet épisode n’a pas vraiment perturbé ses participants. Il en dit pourtant long sur la façon dont les décisions sont prises au plus haut niveau de l’État, tout autant que sur le fond de ces décisions. Sans surprise, la composition du gouvernement reflète ce contexte 100 % masculin. Il est bien paritaire mais, comme dans l’équipe sortante menée par Gabriel Attal, tous les ministères régaliens – les postes les plus prestigieux et les plus puissants – sont occupés par des hommes.
Quant à l’égalité entre les femmes et les hommes, censée être la grande cause des deux quinquennats d’Emmanuel Macron, elle a été rétrogradée dans l’architecture gouvernementale, passant d’un ministère délégué à un simple secrétariat d’État. Ce dernier n’est même plus rattaché à Matignon, comme ce fut le cas par le passé, mais placé sous la tutelle du ministre des solidarités, de l’autonomie et de l’égalité entre les femmes et hommes, Paul Christophe. Encore un homme.
C’est Salima Saa, un énième transfuge de la droite traditionnelle, membre fondatrice de l’Association des amis de Nicolas Sarkozy, qui succède à Aurore Bergé dans cette fonction. Après avoir longtemps grenouillé à l’UMP (Union pour un mouvement populaire, devenue LR), celle qui fut brièvement présidente de l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (2011-2012), puis préfète de Corrèze (2020-2022, nommée à ce poste par Emmanuel Macron), intègre donc le gouvernement de Michel Barnier, avec plusieurs de ses ex-camarades de parti.
La colère des militantes féministes
Sa nomination a d’autant plus surpris – d’autres diront plus simplement consterné – les militantes féministes que le parcours de Salima Saa ne compte aucune expérience ni engagement justifiant qu’on lui confie le poste de secrétaire d’État à l’égalité entre les femmes et les hommes. En 2012, l’intéressée s’était même publiquement moquée de ce portefeuille, en déclarant dans les colonnes de Slate : « On est à l’écoute des femmes plus que des militantes. Un ministère des droits des femmes, je trouve ça ridicule en 2012, pas moderne ! »
« Un malheureux secrétariat d’État à l’égalité femmes/hommes placé sous l’autorité d’un ministre des solidarités (homme), un portefeuille à LA famille, et non LES familles… on n’avait pas vu ça depuis au moins quinze ans ! La droite tradi et réac est vraiment revenue au pouvoir ! », a réagi l’ex-ministre socialiste Laurence Rossignol. Dans un communiqué commun, une vingtaine d’associations – dont le Planning familial, la Fondation des femmes ou encore le Collectif national pour les droits des femmes (CNDF) – ont jugé que « l’absence d’un ministère de plein exercice sur les droits des femmes, avec un budget dédié, [était] une provocation ».
Les intitulés de ministères sont souvent anecdotiques et font l’objet d’âpres batailles d’egos sans intérêt majeur. Mais, à l’instar de l’ordre protocolaire du gouvernement, ils prédisent le poids politique de chaque membre du gouvernement et du rapport de force qu’il ou elle pourra instaurer dans les discussions budgétaires ou les arbitrages sur les priorités. « Le procès des violeurs de Mazan suscite un émoi sans précédent. Chacun·e prend la mesure du besoin urgent que les victimes de violences puissent déposer plainte sans crainte et appréhension, et de la nécessité de lutter réellement contre la culture du viol », poursuivent les associations féministes.
Celles-ci sont également « inquiètes » d’autres nominations du gouvernement Barnier, qui compte plusieurs ministres opposés de longue date aux droits des femmes et des minorités de genre – sur l’inscription de l’IVG dans la Constitution, le mariage pour tous et toutes, et même l’interdiction des thérapies de conversion pour les personnes LGBTQI+. Les associations féministes espèrent mobiliser lors des deux prochaines journées de manifestation, le 19 octobre en soutien aux victimes et le 23 novembre dans le cadre de la Journée mondiale de lutte contre les violences sexistes et sexuelles.
Depuis la première élection d’Emmanuel Macron en 2017, et sa promesse de faire de l’égalité entre les femmes et les hommes la priorité numéro un de son mandat, celles-ci ont déjà largement déchanté. Le président de la République avait commencé à en faire des cocottes en papier en choisissant de promouvoir Gérald Darmanin à l’intérieur quand il était visé par une plainte pour viol (un dossier désormais classé) et de nommer Éric Dupond-Moretti à la justice malgré ses positions hostiles à #MeToo.
Après avoir soutenu ses anciens ministres Damien Abad et Nicolas Hulot au nom de la présomption d’innocence, il a achevé de révéler son penchant masculiniste en prenant la défense bruyante de Gérard Depardieu malgré la dizaine de témoignages le visant et son renvoi devant la justice. Le gouvernement Barnier s’inscrit dans la droite ligne de cette évolution.
Lénaïg Bredoux et Ellen Salvi