La relecture des textes d’ENSEMBLE ! permet de constater la présence de thèmes récurrents d’analyse, de quelques fondamentaux que personne ne remet en question, et cela, au-delà des « grands thèmes » que nous énumérons volontiers.
Par exemple, lors du texte final de l’AG d’ENSEMBLE ! de novembre 2020, nous avons voté un texte énumératif de nos préoccupations pour une reprise du travail stratégique : « l’auto-organisation des luttes et la gestion des communs ; la révolution et les ruptures que cela suppose ; la place du « déjà-là » dans les voies d’action, les questions du pouvoir politique, des institutions, des libertés publiques, des élections, de la démocratie et de l’actualité de l’autogestion ; la place de l’écologie, des dominations et discriminations, l’émancipation dans sa pluralité (féminisme, antiracisme…), et la question du type d’organisation politique que nous voulons construire. ».
Si nous rajoutons, l’anticapitalisme et l’anti-impérialisme, nous avons un canevas très général qui balise nos raisons d’engagement.
Nous avons pu avancer et proposer plusieurs textes, «
S’il demeure des thèmes permanents dans nos écrits qui circulent et semblent faire spontanément accord, il peut être utile d’en mettre quelques-uns en valeur. Les parcourir tous est une entreprise d’une autre nature.
1. Le dépassement de la coupure entre « social » et « politique ».
La coupure entre le « social » et le « politique » a un fondement théorique dans la représentation et une institution pratique dans les élections. Celles-ci désignent un·e parlementaire supposé·e « représenter », l’ensemble des électeurs/trices de sa « circonscription », même celles et ceux qui n’ont pas voté pour sa personne.
Cette coupure est constamment questionnée voire remise en chantier dans nos textes, mais de façon marginale ou inattendue.
Le texte de la FASE, « Osons la révolution démocratique » en est un bon exemple, bien qu’antérieur à l’existence d’ENSEMBLE ! « Toute l’expérience du XXe siècle témoigne qu’il ne peut y avoir de transformation profonde si le social, le culturel et la politique institutionnelle restent dissociés. 1 »
Ce thème de la non-dissociation du social et du politique est à l’œuvre dans les textes de références du Mouvement.
Le chapitre 1, « Notre orientation politique », examine la situation sous le mandat de Hollande de la manière suivante : « Pour la première fois sous un gouvernement de gauche, il existe à gauche une force politique rassemblée, unitaire, autonome et indépendante, disponible, pour porter les exigences populaires et résister aux pressions du Medef et des marchés. Une forme déterminée à rassembler des majorités à gauche, dans le mouvement social, au Parlement, autour de propositions de lois actant de nouvelles avancées pour le mouvement populaire. 2 »
Et un peu plus loin, il est écrit : « Tout est à faire pour engager un vrai changement, et ne pas laisser la place à la démobilisation et à l’abstention favorisant un retour d’une droite flanquée d’une extrême droite candidate au pouvoir. Il faut donc travailler à dresser les contours de ce que pourrait être cette nouvelle majorité au sein de la gauche et dans le mouvement social. Un gouvernement issu de cette majorité s’appuierait en permanence sur de puissantes dynamiques populaires, indispensables à la transformation immédiate des conditions de vie du grand nombre. 3 ».
Lors de notre AG des 11, 12, 13 novembre 2022, nous définissions notre politique de la façon suivante : « Notre objectif est de construire ce Front social, écologique et politique, entre les organisations du mouvement social et écologique, les associations de luttes et la NUPES, sur des enjeux stratégiques : bifurcation et planification écologique, nouvelles conquêtes sociales, mutations dans le travail, émancipation collective contre toutes les dominations, droits universels, mise en évidence de la nécessaire redistribution des richesses pour garantir les droits sociaux et le redéploiement des services publics, dont les questions cruciales de la santé et de l’Éducation nationale, etc. 4 »
Cette liaison entre social et politique est manifeste dans le texte « Démocratie en crise ».
Sous le titre « Une chambre de l’initiative citoyenne pour le présent et le futur », le premier paragraphe explique que « Nous soutenons la création d’institutions issues de l’auto-organisation de la société qui font apparaître l’horizon possible de l’émancipation et de l’autogestion généralisée. 5 »
Cette proposition est une annulation de la « Représentation » et la proposition de l’émergence d’une véritable citoyenneté.
Lorsque le texte à discuter lors du CN et de l’AG à venir « Quelles priorités pour notre activité » propose de « Renforcer ce NFP politico-social », il est dans la tradition de nos prises de position antérieures. L’existence durable de la coupure représentative explique la nécessité de cette proposition.
2. La coupure entre social et politique demande de nouvelles modalités d’organisations.
L’introduction de nouvelles formes d’organisation est effective dès la constitution d’ENSEMBLE !, dans ses textes de références.
« Il faut maintenant engager et expérimenter des formes de participation citoyenne, collectives. Sous des dénominations diverses, des « assemblées citoyennes » se pérennisent, des « collectifs citoyens » se construisent, des « comités populaires » se développent. Parfois, ils se créent en association locale du Front de Gauche, à laquelle, on peut adhérer et être partie prenante des discussions et décisions d’action.6 »
Et dans la deuxième partie titrée « Notre travail d’élaboration programmatique pour un projet émancipateur » une partie se nomme « Démocratie directe, autogestion et participation des citoyens et des salariés » développe les mêmes constatations à partir de l’existant. Par exemple : « Les expérimentations déjà vivantes (coopératives, Amap, éco-hameaux, zones de gratuité, gestion publique décentralisées, etc.) nous apparaissent comme des déjà-là […] qu’il faut soutenir et développer.7 »
L’intérêt de ces deux exemples tient à ce qu’il donne des formes identiques à des « niveaux » différents de la réalité, la politique et l’économie. La coupure sociale/politique disparaît, soulignant que chacun·e est pleinement acteur·rice autonome quel que soit le niveau de la réalité sociale. L’émancipation est le cœur de cette révolution organisationnelle.
C’est la constatation que fait le texte « Débat émancipation, matériaux de travail » écrit en 2014 et discuté lors de l’université d’été de Bordeaux en 2015 : « Nous affirmons le primat de la démocratie, c’est-à-dire la possibilité effective pour toutes et tous de participer à toute forme de pouvoir existant dans la société et nous plaçons la démocratie au cœur du processus d’auto-émancipation. 8 »
Notre AG de novembre 2022, se situe exactement dans cette perspective.
« Nous pensons que, dans notre société, des capacités sociales, des forces militantes, des initiatives collectives montrent qu’il faut, pour pouvoir réellement changer la société, réduire autant qu’il se peut le décalage entre ces possibilités et les mobilisations sociales et politiques. Desserrer l’étau des institutions est indispensable pour sortir de la spirale des échecs parce que, nous le savons, tout ne vient pas d’en haut. Pour cela, dans les localités, faisons connaître nos propositions, participons à l’organisation d’assemblées avec les forces politiques, en invitant aussi les associations et les syndicats, assemblées ouvertes aux citoyen·nes intéressé·es. […] Toute cette dynamique est possible parce qu’il existe une multitude d’associations, de réseaux de lutte, d’accords d’unité d’action, nés des mobilisations des dernières années auxquelles nous avons participé, et avec lesquels nous sommes en lien.9 »
Ce sont ces idées traditionnelles dans ENSEMBLE ! que reprend le texte « Quelles priorités pour notre activité ».
« Quelles propositions faire pour que le plus grand nombre possible trouve une place dans l’élaboration des politiques publiques ? Même chose pour les collectifs citoyens qui ne peuvent se réduire à des comités de soutien aux partis et élus, mais doivent être des lieux où se débattent les mesures politiques à prendre. Notre objectif est d’aller vers des assemblées, des collectifs syndicaux, associatifs et citoyens. 10 »
3. Une nouveauté étonnante : la prise en compte de la montée du FN.
Sur le contenu des revendications, il n’y a guère de surprises.
La raison en est que depuis la fondation d’ENSEMBLE ! nous nous heurtons aux mêmes politiques néolibérales. Les luttes pour contrer celles-ci ont pris des dimensions importantes, mais elles n’ont pas été victorieuses, ni sur les retraites, ni le mouvement des Gilets Jaunes, ni contre les réformes concernant le travail, ni contre la loi sur l’immigration. Seule la sanctuarisation du droit à l’avortement dans l’article 34 de la constitution a été une revendication gagnante.
Plus désespérante est l’absence de la lutte contre le FN.
Dans les textes fondateurs, le FN n’est mentionné qu’une fois et encore, il s’agit davantage de la lutte contre le gouvernement Hollande. Dans la partie 2.3, Pour l’émancipation individuelle et collective, nous constatons « qu’après avoir subi des années d’une droite raciste et décomplexée qui a accéléré la banalisation des discours du FN et d’une partie de ses préconisations politiques, la gauche au pouvoir a non seulement renié ses engagements les plus significatifs en la matière (lutte contre le contrôle au faciès, droit de vote des résident·es étrangers.), mais une partie d’entre elle reprend désormais ouvertement les mêmes ficelles que la droite dure et l’extrême droite.11 ».
Lors de notre AG de 2022, il y a un progrès, le point 2.5.3 a pour titre L’extrême droite à un niveau encore plus élevé : « Le résultat des législatives marque aussi la force de l’extrême droite, déjà manifeste lors des présidentielles et au premier tour. Ses meilleurs résultats à des législatives vont bien au-delà de ses régions d’implantation traditionnelle. Ce score historique amène le RN avec 89 député·es, à revendiquer la place de premier groupe d’opposition. Ces faits importants imposent de réfléchir à comment relancer le combat antifasciste, par des batailles culturelles, idéologiques et des initiatives. 12 »
La lutte contre le RN est aujourd’hui beaucoup plus aiguë dans le contexte de crise institutionnelle liée à la dissolution où aucune « solution institutionnelle » n’apparaît avec la crise des partis politiques. Cette crise de représentation sans précédent épargne dans une large mesure le RN. Mais au-delà de cette crise de la démocratie représentative, c’est la bataille idéologique et culturelle sur la démocratie qui est en train d’être perdue. Nous devons refuser ce « choix » entre la « démocratie restreinte » réservée aux élites de la raison et la dictature fasciste.
L’importance du débat à avoir sur ce sujet est bien souligné dans le point 3 – Lutter contre les idées des extrêmes droites, du texte « Quelles priorités pour notre activité ? » auquel je renvoie.
Quelques remarques en guise de conclusion provisoire
ENSEMBLE ! est doté d’une ossature solide de positions et d’analyses.
Nous avons laissé de côté nos positions et analyses sur la situation internationale. Mais, si nous l’avions fait, nous parviendrions, je n’en doute pas, aux mêmes conclusions.
L’essentiel, c’est que cette « unité » de fond ne nuit pas à la diversité d’approches des situations singulières, ce qui permet des débats politiques riches et pour la plupart du temps sereins.
Contrairement à ce fond commun, les tensions véritables ont pour origine la scène politique « institutionnelle » comme dans l’épisode de la séparation du GES.
Et il y a un autre point qui saute aux yeux à la relecture de ces textes : nous retrouvons très souvent des phrases semblables, mais au lieu de « Front de Gauche », nous avons la « Nupes », et maintenant le « Nouveau Front Populaire ».
Nos fondamentaux sont stables même s’ils s’approfondissent, par exemple lors du travail sur la stratégie.
La gauche « institutionnelle » joue un jeu de division et d’unité en changeant de nom et au passage désespère son propre électorat.
Ce jeu, à somme non nulle, peut-il continuer longtemps ? Est-il susceptible de mobiliser le peuple de gauche, mobilisation nécessaire au changement ? Est-il capable de porter un projet de société avec toutes les composantes d’un bloc ? Et comment ne pas voir dans ces carences une des causes de la montée du FN ?
Pour surmonter ce jeu délétère, il ne suffit pas seulement d’un affichage (Front de gauche, NUPES, NFP), il faut un ensemble de collectifs, à la base, pour obliger les forces politiques institutionnelles à ne pas rompre l’unité. En prévision des élections présidentielles, il est de la plus grande urgence de mettre en place une procédure « unique » de désignation d’un candidat NFP qui ne soit pas une auto-nomination, sinon la situation de 2017 se reproduira et le Front National prendra l’Élysée.
Jean-Paul Leroux. Les 26-27 août 2024
Notes
- 1Osons la révolution démocratique, Édité par La fédération pour une alternative sociale et écologique, avril 2011, p. 9.
- 2Textes de références du Mouvement, 1.Notre orientation politique, 23,24 novembre 2013, p. 6
- 3Ibidem.
- 4Textes adoptés lors de l’AG d’ENSEMBLE ! de novembre 2022, p.11.
- 5Démocratie en crise, propositions à débattre, ENSEMBLE ! Janvier 2022, p. 15
- 6Textes de références du Mouvement, 1. Notre orientation politique, 23,24 novembre 2013, p. 8.
- 7Textes de références du Mouvement, 2. Notre travail d’élaboration, 23,24 novembre 2013, p. 14.
- 8Débat Émancipation, matériaux de travail, ENSEMBLE ! 2015, p. 8.
- 9Textes adoptés lors de l’AG d’Ensemble ! de novembre 2022, p. 12.
- 10Quelles priorités pour notre activité, Janie Arneguy, Marie-Claude Herboux, Cécile Leroux, Etienne Adam, Pierre Cours-Salies, Jean-Marie Fouquer, Jean-Paul Leroux, p. 2-3.
- 11Textes de références du Mouvement, 2. Notre travail d’élaboration, 23, 24 novembre 2013, p. 16.
- 12Textes adoptés lors de l’AG d’Ensemble ! de novembre 2022, p. 9
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