Il y avait tout pour faire de la Fête de l’Humanité, ce week-end à Brétigny-sur-Orge (Essonne), l’événement politique de la rentrée. La rage intacte du peuple de gauche après la nomination de Michel Barnier à Matignon. La confluence des partis, syndicats, associations, médias indépendants, artistes engagé·es, citoyennes et citoyens qui ont amorcé et porté la dynamique du Nouveau Front populaire (NFP), et mènent toujours la bataille culturelle partout sur le territoire. Le nombre, enfin : 450 000 personnes ont déferlé en trois jours.
Pour les dirigeant·es de gauche et écologistes, cette Fête de l’Humanité devait être le shoot d’adrénaline qui les rappelle à leur responsabilité dans la lutte contre un Rassemblement national (RN) plus fort que jamais. Une lutte qui a repris de plus belle dans la perspective des prochaines législatives anticipées. Ce week-end devait aussi être le creuset d’idées nouvelles pour construire sa majorité à venir. Mais la rupture de François Ruffin avec La France insoumise (LFI), dramatisée par la sortie de son livre le 11 septembre et par les entretiens au vitriol qui l’ont accompagnée, en a décidé autrement.
François Ruffin et Raphaël Arnault à la Fête de l’Huma, le 14 septembre 2024. © Photomontage Mediapart avec AFP
Ce lundi, dans les médias, il n’en restait déjà que les échos des huées qui se sont élevées à l’Agora de l’Humanité contre le député de la Somme, et l’image d’un « Siamo tutti antifascisti » lancé par l’assistance pour saluer le député LFI Raphaël Arnault (ancien porte-parole de la Jeune Garde antifasciste), dont le sens a été travesti sur les réseaux sociaux pour donner l’impression d’une levée en masse contre Ruffin. Des discours qui ont été tenus, du thème discuté, des nuances qui se sont exprimées, il n’en aura jamais été question.
Le retour d’un clivage artificiel qui nuit à la gauche
Pas plus que des chiffres donnés par le député communiste Nicolas Sansu, comme pour rappeler aux belligérants que la guerre se jouait décidément ailleurs : « Sur les 185 circonscriptions les plus rurales en France, le NFP n’en détient que 31. En 2022, c’était plus de 50. En 2012, c’était 103. »
Bien sûr, la discorde entre François Ruffin et Raphaël Arnault ne sort pas de nulle part. François Ruffin s’est (encore une fois) excusé de ses « maladresses ». Dans son livre, il raconte avoir distribué des tracts différents (avec ou sans Jean-Luc Mélenchon) selon qu’il avait affaire à « un Noir ou un Arabe » ou à « un Blanc ». Un aveu dont la réacosphère s’est fait des gorges chaudes, tant il correspond aux procès en « communautarisme » de LFI, soupçonnée de régler son discours pour capter un supposé « vote musulman ».
« Tu as blessé énormément de camarades », lui a reproché Raphaël Arnault, rappelant que « la question antiraciste va être centrale dans la période ». Plus tard, il s’est targué d’avoir « ratatiné » la députée RN sortante du Vaucluse sans modérer son discours : « Peut-être que je suis un militant de terrain et que je n’en ai rien à faire de ce que racontent BFM et CNews ! », s’est-il vanté, en revendiquant de résister à « l’agenda raciste » des « classes possédantes ». Sous-entendant donc que François Ruffin y cédait, lui.
Aux heures de grande écoute, on prête désormais à une partie du public d’avoir « accusé implicitement [François Ruffin] d’être fasciste », ce qui ne correspond pas à la réalité. Et on s’interroge, sous des airs faussement angéliques : « Qu’est-ce que ça dit de l’état de la gauche et du NFP ? » Bien évidemment, les éternels adversaires de l’unité à gauche s’engouffrent dans la brèche dans l’espoir d’inverser le rapport de force en sa défaveur.
La lutte antiraciste mérite mieux que ces excommunications stériles qui ne galvanisent que le public de la Fête de l’Huma. L’électorat du NFP et celui que la coalition doit encore convaincre pour devenir majoritaire attendent de la gauche qu’elle réponde à leurs préoccupations au lieu de régler ses comptes par de vaines joutes de congrès en vue de la présidentielle de 2027.
Ce week-end, la gauche a sauté à pieds joints dans le piège qui lui est perpétuellement tendu dès qu’elle devient une menace électorale concrète. En surjouant leurs identités politiques respectives, François Ruffin et Raphaël Arnault ont participé au clivage artificiel qui sépare le « social » du « sociétal ». Le peuple de gauche n’a plus qu’à ronger son frein à nouveau, jusqu’au prochain « sursaut » au sommet. Pourvu qu’il ne se lasse pas.
Mathieu Dejean