François Ruffin avait commencé la charge dans l’entre-deux-tours des dernières élections législatives : le voilà qui en remet une couche, dans Itinéraire, ma France en entier, pas à moitié aux éditions Les Liens qui Libèrent. Dans ce livre écrit dans l’urgence d’un été post-élection et post-frayeur, il réaffirme son opposition à la stratégie de Jean-Luc Mélenchon et de La France insoumise. Cela fait plusieurs années que le député de la Somme s’inscrit en faux contre la direction de son mouvement à qui il reproche de cliver la gauche et de diviser le peuple en segments électoraux. Pire, il reproche à la FI de ne se concentrer que sur certaines de ces fractions : les jeunes et les habitants des quartiers populaires.
Les mots et le ton qu’il choisit pour le dire sont d’une violence qui confine à l’insulte et que l’on pensait plus le propre des insoumis que du nouveau Ruffin : il fustige, dans son livre et dans une interview qu’il a donné à Apolline de Malherbe sur RMC, le crasse mépris de classe de Jean-Luc Mélenchon qui auraient traité les habitants d’Hénin-Beaumont d’ivrognes, d’obèses et d’illettrés – non sans que cela rappelle les « sans-dents », cette si abjecte façon d’appeler les catégories populaires, que Valérie Trierweiler avait mis dans la bouche de son ancien compagnon François Hollande.
Contrairement à ce que laissent entendre certains commentateurs, il ne faudrait pas n’y voir qu’une lutte intestine, fratricide et sans merci entre deux candidats potentiels à la présidentielle de 2027. Les raisons de ce divorce sont assurément plus profondes. Elles tiennent dans la structuration de fait de l’électorat des insoumis mais aussi de la gauche qui tend, au fur et à mesure des années, à se cantonner dans les seules métropoles, notamment dans les centres-villes (où vivent beaucoup d’étudiants) et les quartiers populaires. La conséquence pour Mélenchon est de concentrer l’effort militant sur ceux-ci quand Ruffin, du fait de son implantation dans la campagne désindustrialisée amiénoise, veut parler aussi à ceux qui se sentent exclus de ce que le leader insoumis appelle « la Nouvelle France ».
Disons les choses simplement : là où Ruffin pose de façon très juste une problématique à laquelle la gauche doit s’affronter urgemment, c’est quand il dit qu’il faut parler à une France en entier, pas à moitié, cette fameuse « France des bourgs et des tours » dont il se fait le porte voix. Mais là où il convainc moins, c’est quand on ne l’entend parler que de la France des bourgs. C’est à cette seule France là qu’il donne visages et noms. La possibilité de coexistence d’une pluralité d’incarnations, de discours et de stratégies est un préalable pour que la gauche puisse un jour à nouveau prétendre à conquérir le pouvoir. Mieux : il va falloir d’urgence trouver les voies et moyens pour inventer un discours qui subsument les expériences différentes que les individus et les groupes d’individus font de leur vie, qu’ils vivent à la campagne ou dans les métropoles. Autrement dit, on ne peut pas construire la gauche en France mais aussi la France tout court si on n’est pas irrigué par toutes ces composantes.
Pablo Pillaud-Vivien