La victime a consulté de nombreux professionnels et aucun n’a pensé à la soumission chimique.
Qu’est-ce que c’est ? Quels produits sont utilisés ? Comment agir si on pense être victime ?
Quelques bases pour la compréhension et l’autodéfense.
D’où je parle ?
Je suis médecin.
Je suis militante féministe.
J’ai été formée sur la soumission chimique.
J’en ai moi-même été victime, il y a longtemps.
L’ignorance et le silence sont la meilleure arme des agresseurs. Pour que cela cesse, parlons et informons.
La soumission chimique est le fait de faire consommer un substance psychoactive à une personne à son insu pour lui faire faire des choses qu’elles ne veut pas faire. La vulnérabilité chimique est la même chose, mais avec une substance prise volontairement par la victime.
Dans la majorité des cas, le but est l’agression sexuelle. Mais on peut aussi soumettre chimiquement quelqu’un pour le voler, pour « avoir la paix », pour lui faire prendre des décisions contre son consentement (signer un papier, etc).
Dans quel contexte peut-on être victime ? On pense toujours au contexte festif, en soirée, mais le plus fréquent, comme pour toutes les violences sexuelles, c’est le milieu familial, à but de viol conjugal ou d’inceste. Elle existe aussi dans le cadre amical et professionnel.
Toute substance psychoactive peut être utilisée, qu’elle ait un effet sédatif (=qui endort), amnésiant, et/ou un effet stimulant/désinhibant. Les produits les plus fréquemment utilisés sont des médicaments qu’on trouve dans la pharmacie de millions de gens en France.
Les anxiolytiques comme les benzodiazépines, les somnifères, les opiacés légaux ou illégaux, les anti histaminiques sédatifs, la MDMA, le fameux GHB (pas le plus fréquent contrairement à ce qu’on pense), l’alcool, la 3-MMC... la liste est longue et non exhaustive.
Certains produits entraînent une amnésie partielle ou totale, sans forcément que la victime soit inconsciente. Il peut ne pas y avoir d’amnésie mais la victime, sous l’effet du produit, fait des choses qu’elle n’aurait pas fait dans son état « normal » (particulièrement sous MDMA, 3-MMC).
On peut donc voir des images d’une victime qui semble consciente et « participante » et qui n’est pour autant pas consentante. Je rappelle que même en-dehors d’une prise de substance, lors d’une agression, la sidération est fréquente – et la victime peut « ne pas se défendre ».
Il est impossible de faire une liste de tous les symptômes qui peuvent être liés aux différents produits ou aux agressions. On peut évoquer l’amnésie des faits, des nausées ou vomissements au réveils, des douleurs aux parties intimes, des IST « non expliquées », etc.
Que faire pour « prouver » qu’on a été ou qu’on est victime de soumission chimique ? Il faut essayer d’identifier la substance dans l’organisme, et là il y a des choses à savoir pour maximier la possibilité de recueillir ces preuves.
L’identification de la substance dans le sang ou les urines est le plus simple, mais il faut agir très vite car le délai d’élimination est TRÈS COURT. Plus les court comme le GHB, c’est six heures maximum. Pour d’autres produits, le délai peut aller jusqu’à 48 heures.
Le prélèvement peut se faire à plusieurs endroits (maison des femmes, hôpital, certains labos), ça dépend des territoires. Viols Femmes Informations (0 800 05 95 95) est une ligne qui pourra vous orienter avec des pros formé·es à l’écoute. A défaut, vous pouvez appeler le 15 ou le 17.
Si vous êtes « hors délai », on peut faire un prélèvement sur les cheveux. Le prélèvement se fait au moins 4 à 6 semaines après la prise de substance, le temps que les cheveux un peu. On coupe une mèche à ras, de l’épaisseur d’un stylo, à l’arrière du crâne.
ATTENTION : les colorations, décolorations, défrisages, permanentes... bref, tous les traitements un peu « agressifs » peuvent altérer les cheveux et fausser le prélèvement. Il faut donc laisser ses cheveux « au naturel » en attendant d’être prélevée.
L’analyse des cheveux est chère (plusieurs centaines d’euros), seuls certains labos spécialisés le font, et n’est remboursée que dans le cadre de prélèvements médico-légaux avec une plainte déposée. C’est un problème quand on veut se tester sans être sûr, pour savoir.
Je mesure à quel point il est difficile de « réagir vite ». On est dans le cirage, on est dissocié, sidéré, on a honte... Mais je pense aussi que le manque d’informations joue beaucoup. J’espère que ce texte sera utile pour ça.
Si on a besoin de faire consommer, même volontairement, un produit à quelqu’un pour pouvoir coucher avec, c’est qu’il y a un énorme problème. Notamment avec l’alcool qui le plus grand pourvoyeur de viol par vulnérabilité chimique. Dans le doute, abstenons-nous.
Je rêve d’un monde où tout le monde aurait prioritairement en tête le respect et le bien-être de la personne en face de lui quand il souhaite coucher avec. Et vous dire que parfois, c’est OK de coucher avec quelqu’un qui a un peu bu, si on est sûr qu’il/elle est d’accord.
Mais comme beaucoup de gens se comportent avec les corps des autres comme des Dobermann avec un steak, je réitère : dans le doute, abstenez-vous si la personne est droguée ou bourrée. Il vaut mieux « louper » une occasion de coucher que traumatiser à vie une personne.
Cette affaire Mazan n’est pas un fait divers. C’est l’horrible partie émergée de l’iceberg gigantesque et terrifiant que sont les violences sexuelles, et notamment les violences sexuelles intra familiales. J’aimerais qu’on se dire « plus jamais ça ». Qu’on se regarde tous en face.
Un jour, je parlerai de ce qui m’est arrivé à 15 ans, de la violence que ça a été de vivre avec ça. La honte, la colère, la peur. J’aurais eu besoin de voir des femmes en parler sans honte, moi qui suis restée dix ans seule avec ce truc. On parle pour nous et pour les autres.
Nos histoires sont toutes différentes et très similaires. On nous dépossède de tout, nos corps, nos souvenirs, notre parole. Nos histoires ne sont pas des faits divers. Ce sont des faits politiques. Par la lutte, nous venons reprendre ce qu’ils nous ont volé. On va rien lâcher.
Docteur Zoé
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J’ajoute ici le lien vers l’asso « M’endors pas », qui sensibilise et lutte contre la soumission chimique. Elle a été créée par Caroline Darian, fille de la victime et victime elle-même de l’affaire Mazan. Je salue encore une fois leur courage, tout mon soutien.