Comme chaque année depuis 2011, la petite commune d’Haillicourt, au centre de l’ancien bassin minier du Nord-Pas-de-Calais, se prépare en cette fin d’été à la saison des vendanges. Il y a bientôt 15 ans, un habitant du coin et un vigneron charentais ont en effet initié un projet emblématique de la reconversion de la région, en faisant le pari d’y cultiver la vigne. Pari réussi, puisque le Charbonnay, un vin blanc bio, est aujourd’hui le premier vin commercialisé des Hauts-de-France.
Classé au patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco en 2017, reconnaissance ultime du travail des mineurs à travers les âges, ce bassin minier porte toujours les traces de ce passé industriel qui a définitivement marqué la région : de Valenciennes à Béthune, partout des montagnes noires se dressent vers le ciel comme autant de monuments dédiés aux gens de la mine.
Ce sont des terrils faits de schistes noirs et de résidus de charbon, amas de déchets miniers érigés du début du XIXe siècle jusqu’à la fin de l’exploitation au début des années 90. Ils sont encore au nombre de 200, atteignant pour certains 100 à 130 m de haut et, bien qu’héritage patrimonial, ils restent des déchets. Leur avenir n’est pas tout tracé : qu’en faire ?
La gestion de ces terrils est entre les mains de nombreux acteurs et propriétaires locaux, qui ont parfois des idées surprenantes de valorisation : base de loisirs sur le terril des Argales à Rieulay, piste de ski artificielle sur un terril de Nœux-les-Mines ou donc vignoble sur un terril d’Haillicourt…
Mais la plupart du temps, ils sont laissés à la nature. La question se pose alors de leur évolution dans le temps : deviennent-ils des écosystèmes à part entière ? Se fondent-ils dans la nature locale ? Ou au contraire, relarguent-ils des éléments dans l’environnement dont celui-ci se passerait bien ? C’est tout un travail de recherche alliant écologie, géologie et pédologie qu’il convient de mener pour prévoir l’évolution des terrils non exploités, et de les gérer au mieux.
Une biodiversité insoupçonnée
Les terrils constituent des systèmes singuliers vis-à-vis de la topographie et géologie régionale. Pentus, ils exposent leurs flancs aux effets d’une météo capricieuse. Constitués d’une roche noire qui garde la chaleur, ils sont un terrain meuble qui ne retient pas l’eau, et le soufre y est présent dans des proportions inégalées dans la région.
Ces sites accueillent ainsi une faune et une flore spécifiques : le terril d’Ostricourt, par exemple, est à moitié couvert de bouleaux et de chênes, et à moitié d’une végétation rase. Très fleuri au début de l’été, il se couvre d’amanites tue-mouches à l’automne. On peut y retrouver des espèces habituellement friandes de conditions méditerranéennes, comme le pavot cornu avec ses fleurs jaunes et ses glauciennes en cornet, ou encore le criquet à ailes turquoise et le lézard des murailles, qui aiment les habitats chauds et secs.
Les quatre saisons déploient ici quatre paysages totalement différents, que l’on ne voit nulle part ailleurs dans le Nord-Pas-de-Calais : la nature a repris ses droits et s’est adaptée. Mais pour que les terrils puissent accueillir cette biodiversité, il leur a fallu évoluer, se transformer, pour amener un stérile minier à devenir fertile.
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8 ans de recherche à flanc de terril
Quels sont les secrets de ce processus d’évolution ? Et son impact sur l’environnement proche ?
Ce sont les objectifs du projet ENTRESOL financé par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR). Chercheurs de l’Université de Lille et de CY Cergy Paris Université, nous étudions depuis huit ans la minéralogie du schiste et son altération, la formation d’un nouveau sol (processus dit de pédogenèse) et les transferts d’éléments vers les eaux de surface (eaux d’écoulement, de ruissellement, etc.).
Nous avons sélectionné 3 terrils répartis de Hénin-Beaumont à Valenciennes : chacun présente une végétalisation, une connexion à la nature environnante et des réceptacles des eaux superficielles (mares, étangs, ou fossés).
Depuis 2016, plusieurs campagnes d’échantillonnage nous ont permis de récupérer des kilos de schiste non altéré, de schiste en cours d’altération, et de sol. De même, tous les trois mois depuis deux ans, nous prélevons les eaux de surface qui entourent les terrils, afin d’en analyser la composition chimique et d’étudier son évolution saisonnière.
Analyses du centimètre au nanomètre
Les échantillons de roche sont observés à toutes les échelles : du centimètre grâce à des microscopes optiques, au nanomètre via des microscopes électroniques haute résolution.
Ainsi, chaque phase qui s’altère et chaque phase qui se forme sont identifiées, caractérisées, décrites et analysées. Nous utilisons même des accélérateurs de particules afin de déterminer la forme chimique que les éléments prennent dans ces phases néoformées.
Grâce à ce protocole minutieux, nous avons pu mettre en évidence le phénomène de drainage acide minier, qui jusqu’alors n’avait pas été décrit dans la région, mais est très connu sur d’autres sites à travers le monde, notamment là où sont exploités des métaux : sous l’action de l’eau, de l’atmosphère, du gel, du soleil, les minéraux du schiste tels que les argiles, les feldspaths, les pyrites, les oxydes, vont s’altérer, s’oxyder, se dissoudre, et libérer des éléments qui vont permettre la cristallisation de nouveaux minéraux tels que les hydroxydes de fer ou la jarosite (sulfate de fer et de potassium).
Ce processus engendre souvent des pollutions des écosystèmes, mais ici, il est assez lent, assez localisé (sur quelques centimètres superficiels du terril) et effectif à une petite échelle (échelle micrométrique) pour amener à la constitution d’un sol plutôt qu’à une dissémination de polluants.
D’un stérile minier à un sol fertile
Sur ces terrils, nous avons ainsi pu décrire de nouveaux sols que l’on peut considérer comme assez évolués au vu des conditions défavorables. À partir de la fragmentation et de la transformation du schiste en surface, se développent plusieurs horizons successifs (« couches » du sol).
Un premier horizon très organique, similaire à de l’humus de sous-bois, un second très fin mélangeant matière organique et minérale, un troisième fait de schiste altéré et oxydé fixant fer, potassium et soufre, et enfin le schiste non altéré constituant le terril, qui se situe entre 10 et 30 cm de profondeur suivant le site.
Ce sol, bien qu’acide (pH < 5), s’enrichit progressivement en nutriments provenant du schiste mais aussi de la flore. Il est colonisé par de nombreux micro et macro organismes, tels que des collemboles, araignées, vers, mousses, champignons. Sous végétation rase, un sol se développe en moins de 10 ans alors même que la pente est instable (ravinement), raide (30 à 50°) et soumise à des conditions météorologiques fortes (ruissellement). Cette vitesse d’évolution est impressionnante, tout comme la colonisation par une végétation haute.
À ce rythme, les terrils présenteront dans quelques dizaines d’années des sols très évolués, favorables à l’implantation de nouvelles espèces, enrichissant encore la biodiversité locale. Il n’est cependant pas dit que les écosystèmes singuliers observés actuellement puissent subsister, sans intervention humaine, notamment par l’abattage de la végétation haute : ils laisseront peut-être la place à un nouvel équilibre écologique plus proche de ce que l’on retrouve dans les forêts de la région.
Emily Lloret, Enseignante-chercheuse, Université de Lille et Franck Bourdelle, Professeur des Universités, CY Cergy Paris Université
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