Montpellier (Hérault), Tours (Indre-et-Loire).– Les personnes qui votent Rassemblement national (RN) sont-elles indécrottablement racistes et perdues pour la cause ? Ou existe-t-il encore un chemin pour une unité des classes populaires qui ne se fasse pas aux dépens de leurs fractions racisées ? La question hantait bon nombre d’interventions et d’interpellations lors des ateliers de l’université d’été du Parti communiste français (PCF), qui se tenait ce week-end au palais des congrès de Montpellier, le Corum.
Après l’enchaînement de records électoraux du RN et l’augmentation documentée des actes racistes et antisémites en 2023, il était difficile de faire l’impasse sur le sujet. Or, l’expression des responsables nationaux du PCF a été timorée voire contestée sur ces sujets, comme cela avait été le cas lors du refus de Fabien Roussel (comme de la direction du Parti socialiste) de participer à une marche « contre les violences policières, le racisme systémique et pour les libertés publiques »,le 23 septembre 2023. La bataille contre le RN, quant à elle, a surtout consisté à dévoiler sa nature antisociale. Mais cela suffit-il, quand les violences et l’expression des préjugés se libèrent ?
Militants communistes réclamant un gouvernement Nouveau Front populaire, le 14 juillet 2024. © Elsa Biyick / Hans Lucas via AFP
« Le PCF a une longue histoire de prise au sérieux de la question de l’immigration et du racisme. On oublie souvent qu’il y a eu des communistes à l’origine du Mrap [Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples – ndlr] et aussi du Crif [Conseil représentatif des institutions juives de France – ndlr]. Mais l’importance de cette question s’est affaiblie dans le dispositif communiste,admet Guillaume Roubaud-Quashie, maître d’œuvre de l’université d’été. Depuis le dernier congrès, une nouvelle dynamique a été enclenchée, avec un travail théorique relancé. Non seulement parce que la question vaut en elle-même, mais aussi parce qu’elle est stratégiquement cruciale. »
« Le racisme est à la fois une abjection morale et un outil pour fracturer la société et diviser les classes populaires », analyse de la même façon le responsable dela commission du parti consacrée à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme, le conseiller régional du Grand Est Bora Yilmaz. Cette commission « est en reconstruction depuis moins d’un an », a-t-il expliqué à Mediapart samedi après-midi, en marge d’un atelier animé avec un autre membre de la commission, le philosophe Florian Gulli, auteur de L’antiracisme trahi (PUF, 2022).
Polarités militantes
Au cours de leur présentation, les deux hommes ont tenté de définir une ligne qui se distingue à la fois d’un universalisme abstrait, inattentif au vécu des personnes subissant le racisme et décrédibilisé par des incantations morales sans effet, et d’un antiracisme politique auquel ils reprochent de développer une conflictualité centrée sur la « race », limitant les possibilités de constructions majoritaires voire conduisant à des essentialisations inversées. « Il y a un enjeu générationnel dans cette tension, estime Bora Yilmaz, entre des militants aux conceptions encore ouvriéristes et d’autres, plus jeunes et davantage socialisés aux courants les plus dynamiques de l’antiracisme contemporain. »
De fait, des polarités très fortes se sont exprimées pendant l’atelier. Certaines militantes ont rué dans les brancards en dénonçant le racisme diffus dans toute la société, une élue noire d’un petit village de l’Est affirmant n’avoir « jamais vu autant de violence envers la différence » depuis 30 ans qu’elle vit en France. Un responsable de fédération a regretté la loi de 2004 interdisant les signes religieux ostensibles en milieu scolaire, en soulignant à quel point elle est incomprise ou mal perçue à l’étranger, soulevant des réprobations indignées dans l’assistance.
D’autres personnes se sont montrées très dures envers les partenaires de gauche soupçonnés de frayer avec des groupes et des thèses « communautaristes ». La France insoumise (LFI) était clairement dans le viseur, une Montreuilloise accusant par exemple le parti mélenchoniste d’être « allé faire son marché dans les mosquées ». À la tribune, Florian Gulli et Bora Yilmaz n’ont pas relevé mais critiquent explicitement la stratégie du « populisme de gauche », consistant selon eux à agréger des mouvances politiques, quitte à reprendre ou conforter leurs thèses sans distance. Ils pointent ainsi le passage de plusieurs députés LFI dans le média « décolonial » Paroles d’honneur, auquel participe l’activiste controversée Houria Bouteldja.
« Je fais le pari, résume Florian Gulli, que les affects racistes peuvent aussi régresser. Il y a sans doute des personnes irrécupérables, mais d’autres qui ont “codé” ainsi des situations objectives, de concurrence pour les biens sociaux, ou d’insécurité, auxquelles on peut donner des interprétations et des solutions de gauche. Si l’on estime que ce n’est pas possible, alors il n’y a plus grand-chose à faire, et il n’y aura jamais de bloc populaire. »
Dans l’assistance de l’atelier, un jeune militant de Mayenne a donné du grain à moudre à ses espoirs, en se présentant comme un « rescapé de l’extrême droite » ayant autrefois partagé des opinions « racistes, homophobes et transphobes ». « Je venais d’un milieu social gagné à ces thèses, dont les membres savent très bien ce qu’ils font quand ils votent RN », a-t-il témoigné en ajoutant : « Ce qui m’a fait bouger, c’est le contact avec des militants. » « C’est avant tout une affaire de rencontres réelles,poursuit-il auprès de Mediapart. Cela exige un travail au quotidien, pas une simple distribution de tracts. »
Un enjeu ascendant chez les Écologistes aussi
L’ambiance était différente aux journées d’été des Écologistes, qui ont aussi mis les luttes antiracistes à l’agenda de leur université d’été. Il a ainsi été question de « créolisation », d’« intersectionnalité » et de « racisme systémique », là où ces notions sont maniées avec des pincettes ou contestées au sein du PCF. Mais les deux ateliers dédiés à la question témoignent également d’une dynamique récente, enclenchée au forceps. La commission antiracisme, qui les a pris en charge, existe depuis seulement un an au sein du parti.
La première des deux rencontres avait surtout pour objet de dresser un bilan de l’antiracisme chez les Écologistes et de discuter des ambitions qu’ils doivent se donner sur la question. Un sujet résumé ainsi par Myriam Olivier de Sardan, militante marseillaise du collectif afroféministe Les Rosas : « C’est bien, mais ce n’est pas assez. Je ne vais pas vous féliciter : ce n’est pas parce que vous êtes les moins pires que vous êtes les meilleurs, il faut continuer. »
Tous et toutes semblent s’accorder sur ce point : les Écologistes progressent, mais il faut aller plus loin. « Ça n’a pas été si simple de monter la commission antiraciste, même dans ce territoire censé être acquis à notre cause de la gauche, et ça doit nous poser question », rappelle une de ses fondatrices. Pour Elisabeth Abanda Ayissi, qui en est responsable, la question centrale est de « transformer les sujets antiracistes en agenda politique, et d’arriver avec cet agenda lors des élections municipales et présidentielles ».
Maire écologiste de la ville de Grenoble (Isère), Éric Piolle a défendu dans sa ville, contre vents et marées, sa volonté de faire autoriser le burkini dans les piscines durant plusieurs années. « Nous sommes pour que les femmes s’habillent comme elles veulent, partout, tout le temps, autant en Iran où les femmes se battent pour leurs droits que dans nos piscines », a réaffirmé l’édile, rappelant que le concept de laïcité était largement dévoyé ces dernières années. Il regrette toutefois ne pas « avoir été particulièrement soutenu [dans ce combat], ni par le parti, ni par la classe politique ».
La députée de Paris Léa Balage El Mariky rappelle que les personnes racisées sont celles qui subissent le plus les conséquences des dégradations climatiques et environnementales : « C’est la question du racisme environnemental. Tant qu’on continue à envoyer nos déchets au Vietnam ou dans d’autres pays d’Asie, en polluant leur environnement et en y exposant les enfants aux microplastiques, réduire notre consommation de plastique c’est aussi décoloniser notre rapport à ces pays. »
Fabien Escalona et Névil Gagnepain