Des forces de police omniprésentes, des drapeaux français partout et La Marseillaise qui résonne tous les jours : après une cérémonie d’ouverture compliquée, les politiques d’extrême droite ont retrouvé le sourire pour ces Jeux olympiques (JO). Alors que le programme du Rassemblement national (RN) sur le sport est presque inexistant et que le parti utilise surtout le monde sportif comme carburant à polémiques – des questions du voile dans la pratique athlétique aux clubs de football supposément « communautaristes » –, les élu·es du parti se gargarisent de chaque médaille d’or française depuis le début de la quinzaine.
Président du parti, Jordan Bardella multiplie ainsi les partages de félicitations des diverses fédérations françaises, comme les 123 député·es du parti élu·es au mois de juillet. Les Jeux olympiques avaient pourtant commencé par la cérémonie d’ouverture orchestrée par Thomas Jolly, qui se voulait inclusive et irrévérencieuse, au grand dam de nombreux cadres du RN. Marine Le Pen et Jordan Bardella ont ostensiblement gardé le silence et évité de se joindre au concert de lamentations qui a duré plusieurs jours sur les plateaux de CNews, le second se contentant de partager la prestation de Céline Dion, à l’inverse de nombreux élus du parti.
Proche conseiller de Marine Le Pen et député européen, fondateur d’une « association des parlementaires contre le wokisme », Philippe Olivier s’est empressé de dénoncer « un acte de militantisme davantage que d’olympisme », tandis que Jean-Philippe Tanguy critiquait « les provocateurs d’opérette » et « les wokistes subventionnés ». Ancien directeur général du parti devenu simple eurodéputé après l’échec relatif des élections législatives, Gilles Pennelle a fait partie du chœur des critiques, aux côtés de la députée du Var Laure Lavalette ou de l’élu des Bouches-du-Rhône Franck Allisio, qui a déclaré sur X que « s’ils avaient représenté Mahomet comme ils ont représenté le Christ, la France connaîtrait une énième épidémie d’attaques au couteau et une énième vague d’émeutes ».
© Photomontage Mediapart avec l’AFP
Députée de Seine-et-Marne, Béatrice Roullaud a eu « honte » devant cette « volonté affichée de glorifier le wokisme et le transgenre », tandis que l’éditorialiste Guillaume Bigot, nouvellement élu à l’Assemblée nationale, regrettait qu’« en Macronie, seuls la négation de soi et le métissage forcé sont à célébrer ». Porte-parole du parti et toujours partant pour alimenter une polémique, Julien Odoul a, évidemment, considéré que la prestation d’Aya Nakamura était « un saccage pour la culture française ». Il y a quatre mois, il avait déjà rédigé une tribune pour s’insurger contre la possibilité que la chanteuse soit présente lors de la cérémonie d’ouverture.
Les médailles des forces de l’ordre célébrées
Une fois la compétition lancée, l’heure est désormais à la célébration. Entre quelques photos de fêtes locales et premiers coupages de rubans, les 123 député·es d’extrême droite n’oublient pas de féliciter les sportifs et sportives français·es qui ramènent des médailles. « Trop souvent, la politique sportive est vue par le prisme des tweets de félicitations, tempère Aleksandar Nikolic, député européen et référent sport du RN. Je pense que le sport mérite plus que ça, comme d’autres secteurs. Il faut des vraies idées sur le sport à l’école, sur le sport associatif... »
Plusieurs fois annoncée et reportée, la publication des 24 mesures du RN pour le sport sur lesquelles a planché l’eurodéputé est censée être pour bientôt, assure-t-il à Mediapart, avant de se réjouir de la banalisation du RN dans le monde du sport : « Aujourd’hui, des dialogues sont possibles. Pour les élections, le Comité national olympique et sportif français (CNOSF) a refusé de se positionner contre nous. Oui, certains footballeurs, certains sportifs et anciens sportifs se sont positionnés contre nous, c’est vrai, mais il n’y a pas eu le même mouvement de rejet que dans le passé », se félicite-t-il.
Les élu·es du RN ont un attrait tout particulier pour les nombreux concurrents membres des forces armées. Un post du ministère des armées comptabilisant, au 3 août, 12 médailles françaises remportées par des sportifs et sportives appartenant à ce que l’institution appelle « l’armée des champions » a été abondamment partagé par les élu·es du RN.
Syndicaliste policier devenu eurodéputé, Matthieu Valet adore les JO et les forces de l’ordre, et tient à ce qu’on le sache. Il n’hésite pas à se faire filmer dans son salon célébrant la médaille de bronze du pongiste Félix Lebrun, et n’oublie jamais de féliciter les policiers et gendarmes qui disputent des épreuves, de la coureuse de demi-fond Anaïs Bourgoin, « une flic en or », à la sabreuse Manon Apithy-Brunet, à laquelle il adresse « toutes [ses] félicitations », rappelant que « cette gendarme [est] marraine du 1er régiment d’infanterie de la Garde républicaine », en passant par Camille Jedrzejewski, policière médaillée de bronze en tir sportif, qui « fait honneur à l’uniforme ».
Les représentant·es du RN n’oublient pas non plus de s’engouffrer dans les polémiques qui peuvent agiter les réseaux d’extrême droite, pour occuper le terrain médiatique pendant l’été. La volonté de la Commission européenne de comptabiliser les médailles de l’Union européenne a ainsi été accueillie par les critiques de plusieurs eurodéputé·es, à l’image de Mathilde Androuet, qui a tenu à rappeler qu’« il n’y a pas de nation européenne ». Une position qui rappelle celle de Marine Le Pen, qui assurait lors de l’élection présidentielle de 2017 « aimer le sport qui, face à une mondialisation qui efface les identités nationales, est un des moyens efficaces pour ressouder la nation française ».
Sans surprise, la campagne de harcèlement subie par la boxeuse algérienne Imane Khelif, accusée de ne pas être « une vraie femme », a été alimentée par plusieurs élus d’extrême droite, Julien Odoul, porte-parole du parti, dénonçant l’intégration « d’athlètes hommes transgenres dans les compétitions sportives féminines »,tandis que le député Antoine Villedieu affirmait que « les hommes n’ont pas leur place dans le sport féminin ». Une illustration de la « panique morale » autour de l’impossibilité « de définir ce qu’est une “vraie femme” autorisée à concourir » décrite par la sociologue Anaïs Bohuon dans les colonnes de Mediapart.
Il est en revanche un domaine qui ravit le RN : l’hypersécurisation des Jeux olympiques, avec une très forte présence policière et un nettoyage social de la capitale. Si Jean-Philippe Tanguy regrettait sur Sud Radio, quelques jours avant l’ouverture des JO, que Paris soit devenu « une espèce de prison à ciel ouvert où l’on ne peut plus circuler », d’autres se réjouissent de l’ambiance de la quinzaine olympique.
« Depuis le début des JO de Paris 2024, l’insécurité dans la capitale a drastiquement diminué. Plus de policiers et de gendarmes = tranquillité publique et sérénité retrouvée. C’est ce que nous proposons au RN », écrivait sur X la députée de Haute-Marne Laurence Robert-Dehault, partageant un visuel du parti remerciant les forces de l’ordre. « Le Paris olympique est sécurisé. Il n’y a plus ni pickpockets, ni vendeurs à la sauvette. Une circulaire a organisé l’évacuation temporaire des migrants et leurs campements. La ferveur nationale s’exprime partout. Et les habitants sont contents », affirmait pour sa part l’élu de la Somme Matthias Renault.
« J’ai l’impression que le programme du RN est beaucoup appliqué pendant ces JO, résume Aleksandar Nikolic. Il y a une forte présence policière, moins de vols à la sauvette, de pickpockets, de vendeurs de produits illicites dans les rues de Paris, et une cohésion nationale, une valorisation du drapeau... Oui, ces JO ressemblent beaucoup à la France qu’on voudrait. »
Youmni Kezzouf