Hans Köbrich a travaillé de nombreuses années dans l’industrie automobile. Aujourd’hui à la retraite, il est toujours actif syndicalement et participe au groupe de travail sur l’internationalisme d’IG Metall Berlin, qui entretient et développe des relations internationales avec des partenaires au niveau des organisations de base. Le groupe de travail se préoccupe également beaucoup de la question « changement climatique et monde du travail », ce qui l’amène à organiser différentes initiatives de sensibilisation dans les entreprises et les syndicats.
Gerhard Klas s’est entretenu avec Hans Köbrich.
Gerhard Klas - Au début de l’année, une alliance plutôt inhabituelle, composée de l’Allgemeines Deutscher Fahrradclub (ADFC, Association allemande des cyclistes), de l’Alliance pour le rail, du syndicat des chemins de fer et des transports (EVG), de l’IG Metall et de Zukunft Fahrrad (Avenir Vélo) a publié une déclaration intitulée « Amorcer un tournant dans les transports - écologique, économique et social ». Il y est réclamé un transfert significatif du trafic vers le rail - au détriment du trafic individuel motorisé. Est-ce plus qu’un tigre de papier ?
Hans Köbrich - Je trouve déjà très positif que les syndicats se préoccupent beaucoup plus que par le passé du dossier de la crise climatique. C’est une prise de position que nous avons toujours réclamée : Les syndicats et le mouvement social doivent travailler ensemble. En l’occurrence, avec des associations aussi.
Que l’IG Metall en soit partie prenante, je trouve cela fondamentalement positif . Mais ensuite vient un « mais » : la réalité de la pratique d’IG Metall est quelque peu différente. Face aux défis posés par la crise climatique, IG Metall a certes mis en avant la nécessité d’une transformation, et a également organisé de grandes manifestations et des congrès à ce sujet. Il est bien clair que les sources d’énergie renouvelables doivent être davantage utilisées au détriment de la consommation d’énergie fossile.
Mais IG Metall est prise entre deux feux : Ses membres produisent de nombreux produits nocifs pour l’environnement dans le cadre d’une industrie dirigée selon les règles du capitalisme. Elle ne tient guère compte des restrictions qui sont aujourd’hui requises dans le contexte du réchauffement climatique. Son cadre d’action reste trop étroitement défini par les impératifs de la Sozial partnerschaft (partenariat social) et de la Standortlogik (priorité à la défense des sites en Allemagne), il est trop fortement imbriqué dans les stratégies axées sur le profit des grands groupes.
Quel est sur ce plan le bilan de ce que l’IG Metall de Berlin a fait concrètement ?
Le tournant nécessaire dans le domaine des transports, en faveur duquel IG Metall a lui-aussi pris position, n’est pas suffisamment bien présenté sur les lieux de travail. C’est pourquoi notre groupe de travail avait proposé d’organiser une réunion de l’IG Metall Berlin sur le thème « Crise climatique et syndicats ». Cela a pris du temps avant que nous n’obtenions gain de cause.
Notre commission et les questions qu’elle soulevait n’étaient pas prioritaires pour l’ancienne direction. Jan Otto, le troisième secrétaire général en deux ans, a lui trouvé le sujet extrêmement important. En tant que membre des Verts, cela correspond aussi à sa façon de voir les choses.
Cependant, le sujet nous a été retiré des mains. Un grand congrès avec pour thème la transformation a été organisé à Berlin par la fédération IG Metall et son comité directeur, avec des scientifiques et surtout des représentants de comités d’entreprise et des détenteurs de mandats syndicaux. Notre façon d’aborder ces questions n’y jouait plus aucun rôle et certaines questions importantes ont été laissées de côté, comme celle de la gestion des ressources et, par conséquent, la critique de la contrainte à la croissance inhérente au capitalisme.
Un an plus tard, il y a eu une autre conférence sur la transformation. Celle-ci était déjà nettement plus réduite et le contenu a été visiblement revu à la baisse. Il ne devrait plus y avoir d’autres conférences. Car le thème du « climat » est passé au second plan en raison des guerres actuelles et des prétendus « intérêts de sécurité ». Cela s’est d’ailleurs exprimé dans le terrifiant appel au réarmement que le syndicat IG Metall a ensuite rendu public en collaboration avec l’association fédérale de l’industrie de la sécurité et de la défense.
C’est surtout lorsque des fermetures d’usines sont programmées, mais aussi lorsque les entreprises automobiles et les sous-traitants ne fonctionnent pas à plein régime, que certains salariés au moins montrent une certaine ouverture aux débats sur la conversion. Quelles sont les tâches qui attendent le syndicat dans le cadre de ce changement structurel massif dans l’industrie automobile ?
Chez IG Metall, les documents sont souvent très bons, mais ils sont en contradiction avec ce qui est vécu dans la pratique. Et ce n’est pas de la mauvaise volonté. Le cadre structurel dans lequel nous évoluons est extrêmement contraignant. Nous avons une pratique syndicale qui est beaucoup trop étroitement ancrée dans le cadre de la collaboration entre partenaires sociaux. Ce n’est malheureusement pas porteur d’avenir, malgré toutes les déclarations qui parlent d’une transformation socio-écologique.
Dans la pratique, on gère la misère, bien qu’il y ait aussi des responsables syndicaux bien intentionnés. Ils cherchent à trouver des solutions d’une manière ou d’une autre dans le cadre qui leur est imparti. Mais c’est justement ce cadre qu’ils devraient dépasser, sauter par-dessus leur propre ombre. Dans le syndicat, celles et ceu qui le veulent sot très peu nombreux.
Pour réussir ce tournant dans les transports, il y a un besoin énorme de sites de production et de personnel. Alstom, le plus grand fabricant de véhicules ferroviaires, a ses livres de commandes pleins et n’est en rien en mesure d’accepter de nouvelles commandes. D’un autre côté, de nombreuses usines automobiles tournent à vide. Pourquoi cela ne change-t-il pas la façopn d’envisager les choses ? Qu’est-ce qui empêche par exemple les comités d’entreprise ou les responsables syndicaux de s’engager en faveur de la production de tramways ?
L’usine de fabrication de trains d’Alstom (anciennement Bombardier) à Henningsdorf près de Berlin est sur le point d’être fermée. Ils sont en pleine crise, alors qu’il y a un énorme besoin de technologie ferroviaire. Même les capacités existantes ne sont pas utilisées. C’est délirant parce que les décisions sont prises selon des critères économiques et non politiques et sociaux.
Qui produit quoi pour qui - telle est la question centrale. Mais dans le capitalisme, la seule chose qui vaille est la suivante : si l’entreprise ne dégage pas de profits - quelle que soit l’utilité sociale de la production - alors il y faut qu’il y ait des restrictions, qu’il y ait des réductions de personnel. Et c’est le drame dans cette histoire. Ce n’est pas une tâche facile que d’amener les collègues à accepter de passer de la production d’un bien socialement nuisible à celle d’un bien socialement utile.
Mais il y a aussi des résistances syndicales. Le mouvement pour le climat à Wolfsburg en sait quelque chose : le dialogue avec IG Metall est au point mort et le syndicat a une attitude vraiment négative vis-à-vis du mouvement climatique. De faux tracts portant le logo d’IG Metall ont été diffusés avec pour titre : « Volkswagen construit maintenant des tramways ». C’est du détournement (adbusting).
À ce moment-là, le puissant syndicat IG Metall de Wolfsburg s’est senti poussé dans ses retranchements, il ne pouvait pas le tolérer. En fait, il aurait dû dire : « Hé, les gars, vous avez raison ! »Je crois que le secrétaire d’IG Metall Wolfsburg en aurait été capable, je le connais un peu. Flavio Benites m’a fait l’ impression d’être quelqu’un d’ouvert, mais il lui faut certainement faire avec les contraintes et les pressions qu’il rencontre dans son organisation - par exemple le choix de défendre un verdissement du capitalisme vert, ce qui ne peut pas fonctionner.
Le débat actuel sur le « socialisme des infrastructures », auquel notre groupe de travail a invité le sociologue du travail Klaus Dörre d’Iéna, suscite un peu d’espoir. Selon lui, les chemins de fer, l’approvisionnement en électricité et en eau, mais aussi le logement, devraient (re)devenir propriété commune.
Ce serait un pas dans la bonne direction. Et certainement aussi un pas que l’ IG Metall pourrait faire. Mais il reste à voir si cela va au-delà de la théorie. Car les contraintes imposées à IG Metall par sa conception actuelle du partenariat social sont vraiment très strictes. Il faudra sortir de ces limites.