Distribution de bouteilles d’eau, spots publicitaires de sensibilisation aux risques liés à la chaleur, ouverture des parcs tard la nuit... la fin du mois de juillet a marqué le retour du dispositif de prévention des fortes chaleurs, du sud de la France jusqu’à la capitale, Paris.
Avec 39 °C dans le Midi, 35 à Paris et 27 dans la nuit en Corse, la France vit sa première vague de chaleur de l’été. Treize départements étaient toujours placés en vigilance orange pour canicule par Météo France jeudi 1er août, et une dizaine en vigilance jaune.
Deux ans après la canicule de 2022, la plus meurtrière depuis celle de 2003 avec plus de 10 000 excès de décès, qu’est-ce qui a changé dans la manière dont l’État protège les populations les plus vulnérables ? Le Haut Conseil pour le climat (HCC), instance scientifique qui conseille l’Élysée, demande que l’été 2022 serve « de référence pour identifier, préciser et quantifier des vulnérabilités spécifiques et en déduire des besoins, possibilités et limites d’adaptation ».
Le ministère de la transition écologique met en avant la création d’un fonds vert « en réponse à l’été 2022 »,doté de deux milliards d’euros, pour soutenir la rénovation thermique :500 millions d’euros pour l’isolation des écoles, ou l’inclusion de la résistance à la chaleur dans le dispositif MaPrimeRénov’. Pour la gestion des conséquences sanitaires de la chaleur, il renvoie vers le ministère de la santé – qui n’avait pas répondu à Mediapart avant la publication de cet article.
Est-ce suffisant ? Mi-juillet, l’Association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA), qui rassemble les directions d’Ehpad et de services à domicile, a publié un communiqué s’inquiétant des vagues de chaleur qui venaient. « En période de canicule, les personnes âgées ont encore plus besoin d’être entourées qu’à l’accoutumée. La réduction du nombre de professionnels [...], occasionnée par l’immobilisme des pouvoirs publics, pourrait dramatiquement conduire à aggraver la surmortalité de personnes âgées vulnérables », prévient l’organisation, qui réclame des moyens pour embaucher du renfort à l’approche de ces vagues de chaleur.
« Les 3 000 décès annuels directement liés aux épisodes caniculaires imposent d’y remédier », plaide l’AD-PA dans son communiqué. Mais depuis cette alerte, à laquelle les représentants du milieu de l’aide aux personnes âgées sont désormais habitués, « [lesdits représentants n’ont] obtenu aucune réponse des pouvoirs publics », assure Romain Gizolme, président de l’association. Il prévient : « Si les pouvoirs publics restent immobiles, on pourrait arriver à un désastre. »
« Sur ce sujet, il y a eu un renoncement assez rapide des pouvoirs publics, à partir de 2004 », poursuit le directeur. L’année qui a suivi la canicule de 2003, et son bilan catastrophique de 15 000 morts, avait été marquée par un volontarisme jamais vu des pouvoirs publics. Parmi les avancées notoires : la création d’une cinquième branche de la Sécurité sociale dédiée à l’autonomie, la création d’une journée de solidarité pour financer la prise en charge des personnes âgées, l’obligation d’installation d’une salle climatisée dans tous les Ehpad, etc. Mais depuis, et malgré les milliers de morts de l’été 2022, rien n’a fondamentalement changé, assurent les représentants de la filière.
Des bénévoles des Jeux olympiques 2024 transportent des ventilateurs pour combattre la hausse des températures, le 29 juillet 2024. © Photo Aris Messinis / AFP
« Depuis 2003, il faut dire qu’il n’y a aucun portage politique du sujet », analyse Romain Gizolme, de l’AD-PA. Comme les autres associations du secteur de la prise en charge des personnes âgées, il guette l’arrivée d’une loi pour le grand âge, promise depuis 2018 par Emmanuel Macron. Pour Romain Gizolme, « sur ce thème, personne n’a jamais tenu ses engagements ».
Dans son rapport sur l’adaptation des politiques publiques aux enjeux climatiques, publié en mars 2024, la Cour des comptes accorde un chapitre entier à « la protection de la santé des personnes vulnérables face aux vagues de chaleur ». La Cour y confirme l’analyse de l’AD-PA et d’autres associations, appelant à « redimensionner » la réponse publique, jugée encore trop timide face à l’enjeu.
« Il manque une véritable politique publique »
« En dehors de ces années exceptionnelles comme 2022, même dans un été que l’on pourrait considérer comme normal, 5 000 personnes meurent de la chaleur », s’offusque Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation Abbé Pierre, reprenant les chiffres émis par Santé publique France pour l’été 2023. Celui-ci insiste sur le cas des « bouilloires énergétiques » que représentent les millions de logements mal isolés.
« Il y a des gens qui meurent véritablement de chaud dans leurs appartements, sous les toits, rappelle-t-il. Notre étude de l’année dernière, qui évoquait le sujet, a eu pas mal d’écho, y compris au sein des ministères, mais il n’y a eu aucune action. » « D’habitude, il y a au moins un peu de communication, à défaut de décisions véritablement utiles, poursuit-il. Mais là, même pas, et c’est encore plus inquiétant. » Il réclame donc un grand plan de rénovation thermique du parc d’habitat public, « mais l’État a encore économisé un milliard d’euros sur les bailleurs sociaux l’année dernière », rappelle-t-il, dépité.
Pour ceux qui n’ont pas de toit, c’est pire. « Il n’existe pas d’équivalent au “plan grand froid” pour les épisodes caniculaires », dénonce Guillemette Soucachet, coordinatrice de la campagne « Pas de santé sans toit » pour Médecins du monde. Il existe bien des initiatives locales, comme les bains-douches ouverts gratuitement et des maraudes associatives fréquentes, admet-elle, « mais il n’y a pas de places d’hébergement supplémentaires ouvertes par la préfecture comme quand il s’agit de vague de froid ». Alors, la prise en charge est au bon vouloir et selon les moyens des associations et municipalités. Pour Guillemette Soucachet, « il manque une véritable politique publique ».
Un manque également dénoncé par les organisations syndicales. En 2023, onze personnes sont décédées sur leur lieu de travail à cause de ces conditions climatiques, selon le décompte de la Direction générale du travail (DGT). En réaction, le gouvernement a publié le 28 juin un nouveau décret, permettant d’arrêter les chantiers et d’indemniser les salarié·es en cas de canicule. Une décision insuffisante pour les syndicats, d’abord car l’arrêt du chantier n’est pas obligatoire, et se fait à la discrétion de l’employeur, ensuite parce que le mécanisme ne peut être déclenché que si Météo France déclenche la vigilance canicule orange ou rouge.
Des épisodes de plus en plus violents>
Face à la résurgence de la chaleur, l’union locale CGT de Paris a relancé sa campagne désormais annuelle, plaidant pour l’arrêt total du travail au dessus de 28 degrés pour les travaux en extérieur, et 30 pour les métiers sédentaires. « Mais on a du mal à sensibiliser, y compris parmi nos troupes syndicales », se désole Adèle Tellez. Pour la jardinière de profession à la mairie de Paris et secrétaire générale de la CGT du XIXe arrondissement, « certains peuvent avoir l’impression qu’il s’agit d’un combat de confort, et pas un enjeu de santé. Pourtant, on sait désormais que la chaleur est parfois cause de maladies chroniques, souvent rénales ».
Et le mal risque d’aller crescendo. En France, les vagues de chaleur se multiplient. « Avant 1989, elles s’observaient en moyenne une fois tous les 5 ans. Depuis 2000, elles reviennent tous les ans. Cette tendance à l’augmentation des vagues de chaleur va se poursuivre : elles seront deux fois plus nombreuses d’ici 30 ans », explique le ministère de la transition écologique sur son site.
Or ces vagues de chaleur estivales successives tuent de plus en plus. Entre 2004 et 2022, ce surcroît de mortalité imputé par Santé publique France aux vagues de chaleur avoisine les 30 000 cas.
Au gouvernement, on dément tout manque d’anticipation. « Dans quelques années, les épisodes caniculaires ne seront plus des événements exceptionnels, mais routiniers, alors on s’y prépare, défendent auprès de Mediapart les équipes du ministère de la transition écologique. Ces épisodes seront plus fréquents, mais aussi probables sur une période plus étendue. On doit s’attendre à ce que les très fortes chaleurs soient envisageables de mai à octobre. Il faut se préparer à gérer autrement, par exemple à envisager des épisodes caniculaires hors des vacances scolaires, et c’est très différent. » Une préparation qui, pour l’instant, ne saute pas aux yeux.
Manuel Magrez